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Notre héros cessa enfin de se débattre; ses yeux cependant, étaient rivés au visage de Christian Ivanovitch: ce dernier, manifestement contrarié, se mit à arpenter son cabinet de long en large. Il y eut un silence prolongé.

– Je vous remercie, Christian Ivanovitch, je vous remercie infiniment: je suis très touché de tout ce que vous avez fait pour moi, aujourd’hui, dit enfin M Goliadkine, en se levant avec un air déconfit: je vous garderai une éternelle reconnaissance pour votre gentillesse.

– Assez, assez, je vous le répète, calmez-vous, répliqua d’un ton sévère le médecin à cette nouvelle tentative de Goliadkine. Il le poussa à nouveau dans le fauteuil, puis ajouta: Et maintenant, dites-moi ce qui vous préoccupe. Faites-moi part de vos ennuis. Et d’abord de quels ennemis s’agit-il? Qu’est-ce qui ne va pas chez vous?

– Non, Christian Ivanovitch, non, laissons tout cela pour une autre fois, répondit M. Goliadkine, les yeux fixés au plancher; laissons tout cela pour un autre jour, un jour plus favorable, Christian Ivanovitch, un jour où tout deviendra clair, où les masques, que portent certaines personnes, seront enfin tombés… oui, quand tout sera enfin éclairci. À présent… je veux dire, après tout ce qui s’est passé entre nous… vous avouerez vous-même, Christian Ivanovitch… Permettez-moi de vous souhaiter le bonjour, Christian Ivanovitch, conclut Goliadkine, en se levant cette fois d’un air résolu et prenant son chapeau.

– Ah! bon, comme il vous plaira… Humm!…

Le médecin observa un court silence, puis reprit:

– Sachez, en tout cas, que de mon côté, je ferai tout ce qu’il m’est possible de faire… sachez que je vous veux du bien, le plus sincèrement.

– Je vous comprends. Christian Ivanovitch, je vous comprends: oui, je vous comprends parfaitement aujourd’hui… En tout état de cause, je vous prie de m’excuser de vous avoir dérangé, Christian Ivanovitch.

– Humm!… Non… Ce n’est pas cela que je voulais dire. Enfin, faites comme il vous plaira. Suivez votre traitement, comme d’habitude.

– Je continuerai mon traitement, comme d’habitude comme vous me l’ordonnez, Christian Ivanovitch, oui, je le continuerai… j’irai acheter les médicaments à la même pharmacie… De nos jours, Christian Ivanovitch, être pharmacien n’est pas une mince affaire.

– Comment? Dans quel sens dites-vous cela?

– Dans le sens le plus ordinaire, Christian Ivanovitch. Je veux dire par là, qu’ainsi vont les choses de nos jours…

– Humm!…

– Oui, et que le moindre godelureau, je ne parle pas seulement des pharmaciens, se permet aujourd’hui toutes les insolences à l’égard d’un homme de bien.

– Humm!… Que voulez-vous dire par là?

– Je dis, Christian Ivanovitch… je parle d’une certaine personne que nous connaissons tous, Christian Ivanovitch, que nous connaissons bien, vous et moi, je parle de Vladimir Semionovitch, pour le nommer…

– Ah!…

– Oui, Christian Ivanovitch, mais je connais également des gens qui parfois ne se gênent pas à passer outre aux usages mondains pour dire ce qu’ils pensent.

– Ah!… Comment cela?

– Eh bien! très simplement; mais il s’agit là, au fond, d’un cas particulier… Enfin, je disais qu’il y a des gens qui savent, à l’occasion, vous servir une arête à la crème.

– Comment? Vous servir quoi?

– Oui, une arête à la crème, Christian Ivanovitch… c’est une expression populaire. Oui, des gens qui savent bien tourner leur compliment… et cacher leur malveillance… on en trouve des gens comme ça, Christian Ivanovitch.

– Des compliments?

– Oui, des compliments, des félicitations… Tenez, Christian Ivanovitch, ces jours derniers un de mes amis intimes…

– Ah! Et alors? fit le médecin, dévisageant avec attention M. Goliadkine.

– Oui, un de mes amis intimes avait à féliciter un autre de mes amis, un homme fort sympathique, enfin, ce qu’on appelle un excellent ami. Ce dernier venait d’être promu à un grade supérieur de l’administration; l’ami, dont je parle, lui présenta ses félicitations en ces termes: «je suis profondément heureux, Vladimir Semionovitch, de vous présenter mes félicitations, mes plus sincères félicitations, à l’occasion de votre promotion. D’autant plus heureux que c’est de nos jours, comme personne ne l’ignore, le règne des fils à papa.»

M. Goliadkine ponctua ces dernières paroles d’un hochement de tête plein de malice et d’un clignement d’œil narquois à l’adresse de son vis-à-vis.

– Humm!… Et alors il lui a dit cela?

– Oui, il le lui a dit. Christian Ivanovitch, il le lui a dit, tel que. Et cela, en regardant droit dans les yeux André Philippovitch, l’oncle de notre galopin. L’oncle de Vladimir Semionovitch. Et au fait, Christian Ivanovitch, qu’est-ce que cela peut bien me faire qu’il ait été promu au grade d’assesseur, oui, qu’est-ce que cela peut bien me faire? Et, de plus, il veut se marier, alors que le lait de sa nourrice n’est pas encore sec sur ses lèvres, si vous me permettez cette expression… Oui, je le lui ai bien envoyé à ce Vladimir Semionovitch… Maintenant je vous ai tout dit, permettez-moi de me retirer.

– Humm!…

– Oui, Christian Ivanovitch, permettez-moi maintenant de me retirer. Après mon allusion aux fils à papa, j’ai voulu faire d’une pierre deux coups. Nous étions chez Olsoufi Ivanovitch; c’était avant-hier. Je me suis donc tourné vers Clara Olsoufievna qui venait de chanter une romance sentimentale et lui dis: «Vous avez chanté cette romance avec beaucoup de sentiment, en vérité, mais ceux, qui vous écoutent ne vous admirent pas d’un cœur très pur.» Mon insinuation était claire, Christian Ivanovitch, vous la comprenez bien. Je lui signifiais nettement, par cette allusion, que ce n’était pas elle que l’on recherchait, mais qu’à travers elle on briguait autre chose.

– Ah! Et lui, qu’a-t-il fait?

– Il a avalé la pilule, Christian Ivanovitch, pour me servir de l’expression populaire.

– Humm!…

– Oui, parfaitement, Christian Ivanovitch. Quant au vieillard, au père de la demoiselle, je lui ai dit: «Olsoufi Ivanovitch je sais tout ce que je vous dois, j’apprécie, à leur juste valeur les bienfaits dont vous me comblez depuis mon enfance. Mais, je vous en supplie, ouvrez les yeux, Olsoufi Ivanovitch. Regardez autour de vous! Pour ma part, j’essaie de tirer l’affaire, au clair, au grand jour, Olsoufi Ivanovitch.»

– Ah! C’est cela!

– Parfaitement Christian Ivanovitch. C’est cela.

– Et lui, alors?

– Lui? Que voulez-vous, Christian Ivanovitch, il s’est mis à bafouiller, à parler de choses et d’autres… il m’a dit: «Je te connais bien… Son Excellence est un homme plein de générosité…» Et sur ce, il se lança dans des considérations vagues. Que voulez-vous? avec les années il a pris un sérieux coup de vieux, comme on dit.

– Ah! bon. Voilà où en sont donc les choses.

– Parfaitement, Christian Ivanovitch. Et nous en sommes tous un peu au même point. Un vieillard, vous dis-je. Il a déjà un pied dans la tombe, comme on dit, mais, qu’on se mette à débiter des ragots devant lui, le voilà tout ouïe…