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Ils sortirent dans le vestibule, puis dans l’escalier brillamment éclairé. Une foule nombreuse se pressait dans l’escalier. La porte d’entrée s’ouvrit bruyamment. M. Goliadkine se trouva sur le perron, toujours en compagnie du médecin. Dans la cour stationnait une voiture attelée de quatre chevaux qui piaffaient d’impatience. En trois bonds, l’odieux imposteur se trouva devant la voiture et tira la portière. D’un geste persuasif, Christian Ivanovitch engagea notre héros à monter. En vérité, il n’était guère utile de persuader M. Goliadkine. Il y avait suffisamment de monde pour le faire monter…

Délirant de terreur, M. Goliadkine se retourna. L’escalier illuminé était bourré de monde. Des yeux pleins de curiosité le fixaient de toutes parts. Sur le palier du premier étage, Olsoufi Ivanovitch, en personne, présidait à la cérémonie. Il se tenait sur son siège d’infirme et contemplait la scène avec attention et compassion. Tout le monde attendait. Lorsque notre héros se retourna un murmure d’impatience parcourut la foule.

«J’espère qu’il n’y a, en tout ceci, rien de blâmable… rien qui puisse susciter la sévérité et attirer sur moi l’attention générale… en ce qui concerne ma vie publique?» murmura notre héros, complètement désemparé. Un tumulte de voix s’éleva autour de lui. Des gens hochaient la tête en signe de dénégation. Des larmes jaillirent des yeux de M. Goliadkine.

«En ce cas, je suis d’accord… je confie entièrement mon sort à Christian Ivanovitch…»

À peine eut-il prononcé les pactes par lesquelles il remettait son sort entre les mains de Christian Ivanovitch, que tous les assistants poussèrent ensemble des exclamations, des cris terribles, assourdissants, des cris de joie et de triomphe. L’écho funeste de ces clameurs courut tout le long de la multitude.

Christian Ivanovitch et André Philippovitch prirent M. Goliadkine chacun par un bras et se mirent à le hisser dans la voiture. Suivant sa lâche habitude, son sosie le poussait par derrière. Pour la dernière fois, l’infortuné M. Goliadkine se retourna et parcourut du regard l’assistance. Il frissonnait de tous ses membres comme un petit chat sur lequel on jurait versé un grand broc d’eau froide – si on veut bien nous permettre cette comparaison. Il monta dans la voiture. Christian Ivanovitch le suivit aussitôt. On ferma la portière. On entendit le bruit du fouet sur les flancs des chevaux qui démarrèrent entraînant l’équipage… Tout le monde se précipita derrière la voiture.

Les cris frénétiques de tous ses ennemis accompagnèrent son départ.

Pendant quelques instants encore il parvint à distinguer quelques visages autour des portières de la voiture qui l’emportait.

Mais, petit à petit, ses ennemis furent distancés. Bientôt il ne les vit plus. L’indigne sosie de M. Goliadkine fut celui qui resta le plus longtemps dans leur sillage. Les mains dans les poches des pantalons verts de son uniforme, il courait, le visage radieux. Il bondissait tantôt à droite, tantôt à gauche de la voiture. À plusieurs reprises, il s’accrocha à la voiture et envoya en guise d’adieu, des baisers aériens à son infortuné ami.

Mais la fatigue prit le dessus. Ses apparitions devinrent plus rares et bientôt il disparut complètement.

Une sourde douleur tenaillait le cœur de M. Goliadkine. Son sang en ébullition battait à ses tempes. Il suffoquait. Il eût aimé se déboutonner, mettre à nu sa poitrine, la frotter de neige, l’arroser d’eau fraîche. Bientôt il sombra dans l’inconscience la plus complète… Quand il revint à lui, il constata que la voiture roulait sur une route qu’il ne connaissait pas. À droite et à gauche il vit des bois. La campagne était déserte et aride… Soudain, il défaillit en voyant deux yeux de flamme qui le fixaient dans l’obscurité, deux yeux qui étincelaient d’une joie infernale et funeste.

«Ce n’est pas Christian Ivanovitch. Qui est-ce? Est-ce lui? Lui? Non, c’est Christian Ivanovitch, mais c’est un autre Christian Ivanovitch. C’est un Christian Ivanovitch effrayant…

– Christian Ivanovitch, je n’ai rien fait, il me semble… Christian Ivanovitch, commença notre héros d’une voix timide et chevrotante, cherchant à adoucir, par sa docilité et son humilité, le cœur du terrible médecin.

– Vous aurez droit à un logement gratis, avec chauffage, éclairage et service, ce que vous ne méritez pas, fit Christian Ivanovitch.

Sa réponse sévère sonna comme un verdict impitoyable aux oreilles de notre héros. M. Goliadkine poussa un cri et saisit sa tête dans ses mains. Hélas, depuis longtemps il avait pressenti tout cela.