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La Turque, pour sa part, semblait découvrir la volupté d’une flemme parfaitement organisée. Ses occupations domestiques étaient fractionnées de relais. À tout instant, on la voyait lovée sur un canapé, en posture récamière, fumant une cigarette à embout de carton doré ou lisant, avec impudence, d’horribles illustrés de son pays dont les dessins de couverture faisaient grincer les dents d’Adolf.

Ces ancillaires, pratiquement livrées à elles-mêmes, puisque Monsieur était absent et Madame enfermée dans sa chambre, ne déployaient quelque énergie qu’au retour d’Heineman, lequel ne se préoccupait que de son gigolo. Parfois, le géomètre dressait l’oreille en percevant les échos d’une altercation en provenance de l’office où le chauffeur entendait se comporter en maître.

C’est sur lui que l’Autrichien jeta son dévolu pour percer le « mystère du vivarium ». Plus il réfléchissait à cette histoire du butin caché, plus il la jugeait abracadabrante. Il fut servi dans son dessein par un voyage que Kurt dut entreprendre aux États-Unis. En quittant son ami, Heineman pleura beaucoup.

— J’ai peur que tu t’ennuies, se lamentait-il ; jure-moi que tu ne me tromperas pas, même avec une fille !

Hitler jura ce qu’il voulut.

Une fois son amant parti, il opéra un rapprochement (sans intention douteuse) avec Hans, se faisant conduire dans des lieux de plaisirs où il convia le chauffeur à boire et manger.

Il découvrit rapidement que le bonhomme aimait l’alcool et les filles. Il avait passé de nombreuses années à la Légion étrangère française avant de se ranger et ne s’était jamais marié. Deux soirées suffirent à en faire une paire de joyeux compagnons.

C’est au cours des libations du second soir qu’Adolf aborda la question des serpents, comme si Kurt en parlait fréquemment, et l’ancien légionnaire proposa spontanément de les lui montrer en rentrant.

Surprenante expérience pour le jeune homme. Certes, il connaissait déjà ce genre de vivarium, mais jamais il n’en avait vu groupant une telle variété de reptiles. Ceux-ci étaient rassemblés par « compatibilité » dans des compartiments de verre chauffés aux infrarouges. Il y en avait tant, si diversifiés, qu’Hitler en fut incommodé. Les indications en blanc sur des plaques d’ébonite documentaient l’amateur à propos des pensionnaires de Hans.

Assis dans le fauteuil à déplacement latéral, Adolf examinait l’intérieur des cages.

— Comment nettoyez-vous leur habitacle ? demanda-t-il.

— Voyez : les reptiles reposent sur un grillage à grosses mailles. Je le soulève en pressant ce bouton et déclenche un système de jets rotatifs qui lavent le sol au-dessous. En quelques instants tout est clean.

L’Autrichien acquiesçait, cherchant où et comment on aurait pu ménager un recoin secret dans la partie cimentée.

Il n’en trouva pas, mais ne fut point découragé pour autant. Quelque chose lui disait maintenant que Graziella ne se leurrait pas.

Il dormit très mal cette nuit-là. Vers quatre heures du matin, toujours aux prises avec son insomnie, il décida de rendre visite à Mme Heineman. Il alla donc, nu-pieds et en peignoir, frapper à sa porte.

Elle était éveillée. La faible lueur d’une lampe de chevet creusait ses traits et enfiévrait son regard. Elle ne marqua aucune crainte de cette entrevue nocturne ; au contraire, il crut comprendre qu’il apportait un vague réconfort à la pauvre femme.

Il s’excusa de son audace, mais elle lui signifia qu’il ne devait pas perdre son temps en mondanités.

Comme naguère, il s’assit au pied du lit, dans la zone d’ombre qui dérobait son visage à l’infirme. Il se demanda si, étant en possession de tous ses moyens physiques, elle lui aurait plu. Il se répondit par la négative puisque, ce qui le touchait, c’était de la voir pareillement démunie et à merci.

— J’ai visité le vivarium, lui annonça-t-il, et l’ai attentivement examiné, à la recherche de la « cachette ». Je ne l’ai point trouvée, cependant je pressens qu’elle existe.

— Mais elle existe ! renchérit la malade. Essayons de nous mettre à la place d’Otto. Il a voulu placer son butin en lieu sûr ; la protection des reptiles est indéniablement une astucieuse trouvaille ; seulement, dans l’hypothèse où il lui eût fallu en disposer rapidement, cela risquait de compliquer les choses…

Il l’écoutait, pensif. Son regard accrochait le véhicule vide de la paralytique. À quoi ressemblait-elle une fois désappareillée ? Il ne possédait qu’une maigre expérience du corps féminin ; il le considérait comme un occasionnel objet de plaisir dont il avait peu usé. Jamais il n’avait eu l’occasion de le découvrir pleinement, en totalité, encore moins de se l’approprier de la main et du regard. Espèce de puceau mal initié, il ne savait de l’amour que ses propres ardeurs maladroites.

— Si nous dénichions ces bijoux, dit-il, qu’en ferions-nous ?

La question la cueillit au dépourvu.

— Eh bien, je suppose qu’il faudrait les vendre,

— À qui ?

— À des joailliers, nécessairement.

— Comment vous y prendriez-vous ?

— J’entrerais en contact avec des maisons sérieuses et les convoquerais ici, en vue de traiter.

— Ce qui impliquerait que votre mari soit out ?

— Bien entendu…

— Parce que je l’aurais supprimé ?

— Cela irait de soi, non ?

— Vous êtes sûre de vous !

— Non : de vous ! Tuer Kurt est votre vœu le plus cher. Je me trompe ?

Il lui adressa un sourire qu’elle ne put distinguer à cause du contre-jour.

— Et l’argent que vous retireriez de cette vente ?

— Nous le partagerions équitablement.

— Ensuite ?

— Je ferais revenir ma fille des États-Unis pour essayer de la connaître enfin ; mon époux a profité de ma maladie pour nous séparer.

— Et moi ?

— Vous quitteriez cette maison pour aller conquérir le monde, monsieur Adolf Hitler.

Elle éclata de rire, comme à leur première rencontre.

11

Il eut un sommeil agité, plein de fiel et de colère. Mais au réveil il avait découvert la cachette.

La vérité jaillit en lui tout naturellement, sans le moindre effort, comme le retour inopiné d’un souvenir d’enfance. Il revit l’entrée du vivarium au moment où ils y pénétrèrent, Hans et lui. Pendant quelques secondes, le local ne fut partiellement éclairé que par la lumière de l’escalier et la lueur orangée des infrarouges. Puis le chauffeur enclencha le commutateur et l’endroit se trouva illuminé.

Adolf se mit sur son séant. Il craignait que son esprit ne fut embrumé par un reste de torpeur et s’efforça de réfléchir sans précipitation. Mais tout était minutieusement réglé dans sa tête.

L’un des infrarouges différait des autres. Le caisson porteur était plus grand et il se trouvait suspendu d’une manière mobile au plafond, grâce à un système télescopique qui permettait de l’abaisser et de le remonter.

Hitler s’habilla rapidement et descendit prendre le petit déjeuner alors que la cuisinière savourait encore le sien. Elle l’accueillit fraîchement, ce qui le rendit furieux.

Il se pencha au-dessus de la table sur laquelle elle bâfrait, vida le bol de la lourde femme sur la nappe et déclara, son nez touchant presque le sien :

— Servez-moi à l’instant, sinon je vous vire à coups de pied dans votre gros cul de vache !

Elle faillit s’étouffer de surprise, de peur et de courroux ; mais les yeux d’Hitler la dissuadèrent de protester.

Hans se rasait quand il frappa à sa porte…

— Il est arrivé quelque chose à Madame ? s’inquiéta-t-il.

Le jeune homme le rassura :