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— À cause de vos foutus serpents, je n’ai pu fermer l’œil de la nuit. Alors je vais employer la méthode empirique, traiter le mal par le mal. J’ai horreur d’être soumis à des pulsions irraisonnées. Prêtez-moi la clé du vivarium, pendant que vous achèverez votre toilette, je resterai en compagnie de ces horribles créatures.

— Bravo ! C’est cela, le courage ! déclara le baroudeur assagi.

Différents trousseaux s’offraient, fixés au mur par des crochets. Il en saisit un qu’il présenta à Adolf.

— Actionnez la clé plate en premier, recommanda-t-il, sinon tout reste bloqué ; le vieil Otto était très spécial.

Quand il pénétra dans le vivarium, Hitler eut une nausée car l’odeur des reptiles se montrait obsédante.

Ce qu’il fit alors fut pour lui une opération de routine, tant il l’avait ressassée. Il se rendit tout droit à l’infrarouge « spécial » chauffant un compartiment destiné à une race de vilains serpents noirs constellés de taches ocre. La lampe se trouvait à environ un mètre de sa portée. L’Autrichien chercha un moyen de l’atteindre sans pénétrer dans la cage.

Sa perplexité fut de courte durée car il vit, contre une paroi, une tige de fer à l’extrémité recourbée. S’étant emparé de ce crochet, il s’en servit pour amener à soi l’appareil. Celui-ci obéit docilement et descendit avec la base à laquelle il adhérait. Un astucieux système de dérouloir logé dans le plafond permettait ce souple halage.

Contrairement à ce qu’on pourrait croire, Adolf agissait méthodiquement avec un calme de chirurgien expérimenté. Il tira le fil au maximum, puis déposa la carène du transformateur sur le fauteuil. Dorénavant, il devait découvrir le dispositif d’ouverture.

N’ayant rien détecté au bout de cinq minutes et pensant que le chauffeur n’allait plus tarder, il remit tout en place et s’abîma dans la contemplation des immondes bestioles.

La journée fut creuse. La perspective de mettre la main sur les bijoux le préoccupait à peine. Il s’aperçut que l’appât du gain ne serait jamais pour lui une motivation susceptible de le mobiliser entièrement. Quel allait être le but de sa vie si aucun appétit ne le tourmentait ? Amour et fortune lui semblaient dérisoires. Que restait-il hormis ces deux moteurs ? L’ambition du pouvoir ? Utopie !

Il chercha un début de réponse dans la lecture des journaux, en vain. Un instant, il évoqua l’altruisme. Une foule d’individus avaient prôné l’allocentrisme. Mais il le jugea comme étant une démarche de scout.

Le seul spectacle intéressant qu’il pouvait fournir c’est à lui-même qu’il le donnerait.

Il se rendit dans le bureau de Kurt où il n’avait jamais mis les pieds. Ayant son P.C. au siège de ses affaires, Heineman l’utilisait très peu ; la pièce faisait songer à ces appartements témoins dans lesquels tout est rassemblé pour une vie exemplaire, mais que l’absence de l’homme pétrifie.

Une photographie solennelle trônait sur la table de travail. Elle représentait un homme à demi chauve, dont le visage lourd et le regard impitoyable, aggravé d’un monocle, incommodaient. Une dédicace tempérait la sévérité de l’image :

N’oublie pas, Kurt, que la vie t’appartient.

Otto.

C’était écrit en caractères gothiques par le pilleur de juifs !

Comment avait-il fait pour mourir dans son lit, ce criminel d’État ?

Adolf explora les tiroirs du meuble, espérant y dénicher le code d’ouverture du bloc. Il eut beau se livrer à de minutieuses recherches, il ne releva aucun indice pouvant le mettre sur la voie.

Le soir venu, il proposa à Hans une dernière virée nocturne avant le retour du maître, programmé pour le lendemain après-midi.

L’ancien militaire accepta d’enthousiasme. Il le convia dans l’un des meilleurs restaurants de Munich où, sous prétexte de bonne chère, Hitler fît boire son compagnon au-delà du raisonnable. Il l’acheva dans une brasserie sous des flots de bière.

Bien qu’il n’eût pas son permis de conduire, l’Autrichien pilota la grosse voiture pour rentrer. Il aida le chauffeur à grimper chez lui, l’allongea et poussa la sollicitude jusqu’à ôter ses chaussures.

12

Décidément, il se conduisait avec Graziella comme avec une épouse. Une espèce d’intimité, due à la maladie de l’infirme, se créait spontanément.

Elle dormait profondément quand il rentra de chez Hans. Selon son habitude, il alla prendre place au pied du lit et attendit son réveil. Son souffle menu ressemblait à celui d’un petit animal pelotonné dans sa chaleur.

Sa chemise de nuit bâillait, dégageant un sein de couleur laiteuse qu’il s’efforça de ne pas regarder. Il estima qu’elle s’amaigrissait chaque jour davantage. Un nutritionniste s’occupait-il de son alimentation ? À présent qu’elle ne quittait pratiquement plus sa chambre, elle déclinait. Sa peau se faisait translucide, le peu de muscles dont elle disposait encore devenaient flasques.

Il aurait pu passer la nuit complète ainsi, à la contempler dans l’abandon de l’inconscience. Il n’éprouvait aucune espèce d’amour pour la malheureuse, seulement une obscure compassion. Le sort se montrait impitoyable à son égard : il avait ruiné sa santé, sa beauté, lui avait arraché son unique enfant et imposé un mari homosexuel qui la haïssait.

Elle finit par sentir la présence d’Adolf, eut un tressaillement et ouvrit les yeux.

En l’apercevant, elle lui sourit.

— Je pense que je devais rêver de vous, balbutia-t-elle.

— J’en suis convaincu.

Il avança la main en direction de Graziella et déposa sur son ventre une housse à chaussures en feutrine, fermée par un lacet.

— Qu’est-ce que c’est ? demanda-t-elle.

— Le butin de guerre de votre aimable beau-père, ma chère.

Elle parut effrayée.

— Vous l’avez trouvé ?

— La preuve !

La chose pesante sur son estomac continuait de lui faire peur. Elle n’osait y toucher.

— Vous êtes certain que… que c’est bien cela ?

— Pouvez-vous l’ouvrir ? Il suffit de tirer sur le cordon. Elle ne s’y résolvait pas, comme s’il se fut agi de quelque trésor pharaonique inspirateur de malédiction.

— Le vieux savait se montrer prudent, reprit Hitler ; il a desserti toutes les pierres, ce qui rend leur identification aléatoire.

Venant en aide à la paralytique, il dénoua lui-même le sac et fît couler son contenu sur le drap. Cela forma un petit tas étincelant à la lumière de la lampe.

— Seigneur ! soupira Graziella, mais c’est énorme !

Puis soudain :

— Où étaient-elles cachées ?

— Dans le corps d’un projecteur. Mon attention fut attirée par l’un d’eux, plus gros que les autres. Si le sinistre Otto les avait tous fait exécuter au même gabarit, jamais je ne l’aurais repéré. Cela dit, j’ai bien failli être bredouille car le socle comporte une suprême astuce : il est de forme cubique, dont les deux parties sont séparées grâce à un pas de vis fixé en son milieu, et le travail d’ajustage est si parfaitement réalisé qu’on ne le voit pas.

Elle touillait les gemmes et les laissait glisser entre ses doigts. Il s’agissait uniquement de pierres précieuses : diamants, rubis, émeraudes. L’infâme nazi ne s’attardait pas sur de la broutille. Seule, la qualité supérieure l’intéressait.

Le jeune Autrichien essayait d’évoquer l’époque heureuse où des femmes plus tard déportées et saccagées, se paraient de ces joyaux dont on les avait dépouillées avant de les anéantir.

Un peuple d’ombres se dressait dans la chambre aux odeurs déprimantes. Des spectres par milliers chez un presque fantôme.