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— Puisqu’un guet-apens a été organisé, c’est que quelqu’un était au courant de la chose, nécessairement, tu es bien d’accord ?

— C’est évident, mais en ce qui me concerne je n’en ai soufflé mot !

— Pas même à la bonne ?

— Surtout pas à cette vieille cancanière ! D’ailleurs, elle prenait son jour de congé.

— Tu as bien une idée sur la manière dont la fuite s’est produite ?

Le Dante demanda à Vicino :

— Peut-être l’avez-vous dit à l’un des jeunes ?

Gian Franco se leva et vint le gifler à deux reprises.

— Il s’agissait d’une surprise que je leur préparais, imbécile !

— Tu es marié ? demanda le Sicilien.

— Non.

— Tu as une amie ?

— Oui, mais…

— Comment se nomme-t-elle ?

— Fiona Lambarelli.

— Adresse ?

— Via Florentina, 14.

— Téléphone ?

D’une voix blême, le Dante énonça le numéro de sa belle.

L’homme de Palerme le nota au dos d’une enveloppe sortie de sa poche, puis il fit claquer ses doigts et le Parrain de Gênes lui amena son portable. Sans parler, Don Boccario lui tendit le papier où il venait d’inscrire le renseignement.

— Tu as entendu ? Elle s’appelle Fiona Lambarelli, soupira-t-il.

Le Ligurien composa le numéro. Son impassibilité créait une tension insoutenable. Une sonnerie d’appel vibra et on décrocha presque immédiatement.

— Fiona Lambarelli ? demanda-t-il d’un ton neutre.

— Elle-même ; qui est à l’appareil ?

— Ne vous occupez pas de ça. Vous êtes bien l’amie de… Il interrogea Vicino du regard. Celui-ci dit le nom de son homme de main que l’autre répercuta aussitôt.

— Pourquoi ? s’inquiéta la femme.

— Oui, ou non ? insista la voix morte de son correspondant.

— Oui, et alors ?

— Maintenant, écoutez : le Dante a organisé un certain pique-nique. Vous voyez ce que je veux dire ?

— Naturellement.

— Je vais faire appel à votre mémoire : cette sortie a eu lieu lundi, d’accord ?

— En effet. Pourquoi ?

— Le Dante vous en a-t-il parlé AVANT lundi ? Réfléchissez.

— Oui, assura la femme, il me l’a dit dimanche. Pourquoi ?

— Vous en êtes certaine ?

— Évidemment.

Le Génois coupa la communication et se tourna vers Don Boccario pour lui donner le résultat de ce bref entretien, mais le vieillard avait déjà perçu la réponse, de même que Vicino et le Dante.

— C’est faux ! se récria ce dernier. Cette crétine se trompe ! Gian Franco exhala un long soupir ennuyé et se leva.

— Viens ! jeta-t-il à son maître Jacques.

— Je jure sur le sang du Christ et la mémoire de Sa Très Sainte Mère que cette idiote commet une erreur ! Hurla-t-il. C’est une pute ! Une vermine !

— À cause de toi, ma femme est morte ! dit Vicino. Marche ! Il lui donna une bourrade dans le dos.

Sur un signe, le Parrain de France libéra la porte. Ils sortirent tous les cinq dans le couloir silencieux. Le Don venait d’allumer son cigare et, tout en marchant, soufflait sur le bout embrasé pour en accentuer l’incandescence.

Le cortège se rendit dans la chambre-cellule où, naguère, on avait retenu Nino. Le maître des lieux l’ouvrit et s’effaça pour laisser entrer le Dante.

Au moment de passer devant lui, leurs regards s’agrippèrent. Ce fut d’une extrême intensité. Le porte-flingue de Vicino esquissa une sorte d’acquiescement et pénétra dans la pièce. Il s’assit sur la couche étroite en murmurant :

— Vous direz à ma mère que j’ai pensé très fort à elle.

— Je le lui dirai ! promit Gian Franco.

Le Parrain de Palerme et celui de Gênes dégainèrent chacun leur pistolet fixé sous leur bras gauche. Comme il avait dû passer une frontière, Pietro n’était pas chargé. Ils se placèrent le long du lit. L’un pointa le canon de son arme sur l’oreille du camorriste, l’autre contre sa poitrine, à l’emplacement du cœur. Ils tirèrent presque simultanément.

Le Dante s’abattit sur le flanc.

— Il avait une belle voix, fit Vicino.

23

Le pare-brise avait tenu bon, mais le nez de Nino n’existait plus. On procéda à plusieurs interventions chirurgicales.

Chaque jour, à son chevet, où elle passait de longues heures à le contempler en lui murmurant des tendresses, Maria tentait de retrouver sous les épais pansements son visage « d’avant », cette figure d’archange polisson qui tant la faisait vibrer. Elle profitait de l’absence du personnel soignant pour le masturber ou prendre son pénis dans sa bouche.

Un jour de démesure sexuelle, elle posa son slip et le chevaucha fougueusement. Cette étreinte hospitalière fut bruyante. Au plus fort de leur frénésie, quelqu’un entra et se retira précipitamment à la vue, cependant charmante, de leur enlacement. Ils ne surent jamais qui les avait surpris. La jeune épouse rougissait devant chaque infirmière ou femme de service ; si l’un des internes lui adressait la parole, elle se mettait aussitôt à bafouiller.

En apprenant le décès prématuré de Dante, Nino afficha un grand scepticisme. Personne n’aimait le bigleux bourru, si fortement antipathique, mais le garçon ne croyait pas à son indiscrétion ; il se rappelait avec quelle énergie celui-ci courait, écumant, à l’assaut de la colline pour tenter de rattraper l’agresseur. Et surtout, il avait appris qu’il lui devait la vie.

— On a peut-être été vite à l’accuser ! assura-t-il.

Maria répondit que le Parrain était aussi infaillible que le pape et la discussion en resta là.

Il fut à la fois flatté et contrarié lorsqu’elle lui annonça que Vicino voulait les prendre à demeure. Certes, il s’agissait d’un insigne honneur, mais cette promotion allait compromettre une partie de leur liberté. Son épouse le rassura, lui expliquant qu’ils occuperaient un appartement situé au-dessus de celui du maître de la Camorra et que leur intimité n’en serait pas troublée. De toute manière, les vœux du chef avaient valeur d’ordres. Ils ne pouvaient que s’incliner.

Gian Franco décida que Nino devait faire un enfant à sa femme. L’envie de brûler les étapes le prenait. Ayant eu la révélation de sa paternité, il aspirait déjà à devenir grand-père. Maria le lui promit.

Un matin qu’elle s’était rendue tôt au chevet du blessé, on vint le chercher pour le conduire à la salle des soins. Elle demanda de l’accompagner et le préposé ne s’y opposa point.

Lorsqu’elle découvrit le nouveau visage de son mari, elle retint un cri de frayeur. Le nez saccagé brouillait les dominantes du visage. À la place de l’appendice régulier qui lui donnait un profil de statue grecque émergeait une sorte d’infâme tubercule plein d’asymétrie. La « chose » relevait du colimaçon. Elle brillait vilainement, telle la cicatrice d’une brûlure ; se constellait de zébrures bleuâtres, s’enflait en son milieu pour, au contraire, se pincer aux narines.

Cette figure dévastée emplit la jeune femme de répulsion et de chagrin.

Qu’en était-il de son jeune berger arcadien ? Il n’évoquait en rien ce qu’il avait été. Ce n’était pas à proprement parler un monstre, mais un être disgracieux inspirant la pitié.

Elle parvint à se contenir et le quitta sous le premier prétexte venu. Ne fit qu’une ruée jusqu’à son nouveau domicile.

Une fois rentrée, elle sanglota si fort que la bonne, alarmée, se hâta de prévenir Vicino. Il accourut, anxieux.

Maria se précipita dans ses bras et, toujours pleurant, lui révéla la mutilation de son mari. Le Parrain parvint à l’apaiser, lui fit valoir qu’un médecin d’hôpital n’atteignait pas au savoir-faire d’un chirurgien esthétique de réputation mondiale. On allait rechercher de toute urgence ce qu’il existait de mieux dans ce domaine. Nino irait à Rome, à Paris, voire à New-York si nécessaire, mais retrouverait sa petite gueule d’apollon-voyou.