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À cet instant précis on informa Gian Franco qu’un certain Adolf Hitler, recommandé par son neveu d’Amsterdam, désirait lui parler.

24

Le Parrain reçut le visiteur dans son bureau privé de fenêtre, après qu’il eut passé, sans le savoir, par l’arceau détecteur d’armes. La jeunesse de l’arrivant le surprit.

En ce jour ensoleillé d’automne, Adolf portait un pantalon beige, une veste sport à petits carreaux vert et marron, une chemise crème au col ouvert. Il avait récemment opté pour une coupe de cheveux raide et courte, mettant en évidence la mèche tant souhaitée par sa grand-mère. Une ombre de moustache soulignait son nez. Elle s’étofferait probablement au gré des rasages, mais figurait présentement à l’état de duvet juvénile. L’œil sombre et le visage carré exprimaient la hardiesse.

Vicino qui s’y connaissait en « natures » flaira immédiatement la détermination du garçon. Toujours avare de civilités, il ne tendit pas la main, mais lui désigna un siège.

— Vous vous appelez réellement Adolf Hitler ? fit-il sans ironie.

— Choisit-on un tel pseudonyme ? riposta Adolf. « Touché ! » songea Gian Franco.

— Ça doit être lourd à porter ? demanda-t-il.

— Absolument pas, puisque c’est mon nom. Il n’est encombrant que pour les autres.

Force fut au camorriste de s’incliner devant l’esprit de son vis-à-vis.

— Mon neveu m’a annoncé votre probable visite.

— Me voici !

— Il m’a dit que vous auriez des pierres à vendre ?

— En réalité, elles appartiennent à une amie qui se méfie de son inexpérience.

— Il y en a beaucoup ?

Adolf sourit et dit :

— Davantage : brillants, rubis, émeraudes ! Toutes de cette qualité.

Il fouilla la poche de son pantalon, en sortit une poignée de petite monnaie qu’il déposa sur le bureau et touilla de l’index. Il y avait là des pièces autrichiennes, allemandes et italiennes. Il récupéra un énorme brillant parmi celles-ci et le tendit à son hôte.

— Vous n’avez pas de grands égards pour une aussi belle pierre ! s’exclama Vicino.

— Le diamant ne se raye pas, répondit Hitler, c’est lui qui raye les autres minéraux.

Une fois de plus, Gian Franco lui accorda un point.

Il ouvrit un tiroir, y prit une loupe de bureau pour étudier le brillant. Il émettait en l’auscultant de petits, gémissements d’aise.

Vicino avait toujours été fasciné par les gemmes. Cette passion datait de sa jeunesse, alors qu’il travaillait comme chasseur dans un palace d’Amalfi. Une vénérable comtesse allemande, entichée de sa frimousse, l’avait hébergé dans son lit. Il s’y était, ma foi, vaillamment comporté. À l’issue de ce demi-viol, la vieillarde, salope jusqu’au bout, voulut procéder à sa toilette intime. Pendant qu’elle fourbissait son gland au-dessus du lavabo, le gamin saisit une superbe bague posée sur la tablette et l’avala. Ayant constaté le larcin, la douairière rameuta tout l’hôtel. Elle prétendit déposer une plainte à la police contre le jeune chapardeur, mais le directeur l’en dissuada, alléguant combien sa réputation en souffrirait. Les parents de cet enfant de quinze ans contre-attaqueraient à leur tour pour détournement de mineur. Vaincue, la dame aux sens débridés avait fui le palace.

L’histoire ne s’arrête pas là. Certes, on avait congédié Vicino, malgré ses farouches protestations d’innocence, mais le plus surprenant est qu’il ne retrouva jamais le bijou dont l’expulsion fut probablement différée. Il croyait le sentir parfois, au gré des ballonnements ou flatulences auxquels même les meilleurs d’entre nous sont assujettis.

— Vous demandez combien pour cet objet ? fit-il, parvenu au bout de son examen.

— Un prix raisonnable, répondit Hitler.

— Cela ne veut rien dire ! maugréa Gian Franco.

— Dans mon esprit, cela veut tout dire, se rebiffa le jeune homme. Écoutez, monsieur, il y a trois jours que je suis à Naples. Avant de me présenter chez vous, j’ai voulu savoir à qui j’allais m’adresser. J’ai appris que vous étiez, pour ainsi dire, le maître de cette ville !

— Vous n’avez pas eu envie de rebrousser chemin ?

— Au contraire, je trouve l’aventure plaisante. Loin de m’intimider, votre personnalité me met en confiance et je vous demanderai d’établir vous-même la valeur de cette pierre.

— Vous semblez être un garçon aussi singulier que son nom, fit le Parrain.

Hitler scruta son interlocuteur.

— J’ai beaucoup d’admiration pour vous, assura-t-il. Je devine les embûches placées sur votre route. Les êtres de votre trempe sont en voie de disparition ; un jour prochain, vous le savez, toutes les mafias ou camorras du monde seront balayées.

Le vieil homme écoutait, souriant, ce garçon au parler catégorique. Son calme, son énergie, le plongeaient dans une certaine perplexité. Pour la première fois depuis un demi-siècle, il trouvait face à lui un individu que son pouvoir laissait de marbre.

Il posa les mains l’une sur l’autre en un geste exprimant de sa part une profonde méditation.

— Monsieur Hitler, murmura-t-il de sa voix toujours essoufflée, avez-vous déjà supprimé des gens ?

— Oui, monsieur ! répondit l’interpellé, sans broncher.

— Beaucoup ?

— Deux. Jusqu’à présent.

Le Parrain eut un semblant de sourire désabusé.

— Je le sentais !

— Vous sauriez m’expliquer ce qui motive cette impression ?

— Il s’agit d’une vague sensation.

Ils firent un moment « pensées à part ». Le premier, Adolf réagit :

— Je vais vous laisser cette pierre afin que vous réfléchissiez, dit-il.

Cette déclaration interloqua Vicino.

— Mon neveu m’a dit que vous avez refusé de la confier à Van Deluyck d’Amsterdam ?

— C’était un boutiquier, pas un seigneur !

25

Adolf laissa une forte curiosité au Parrain qui ne put le chasser de son esprit.

Pendant le dîner les réunissant, Maria et lui, il se montra peu attentif à ce qu’elle disait. Il comprit distraitement qu’une infirmière-chef, avec qui elle sympathisait, lui recommandait un brillant chirurgien plastique de Milan, lequel modelait aux accidentés des visages dignes de Michel-Ange. On allait contacter ce démiurge et le presser de rendre au jeune homme sa figure initiale. Vicino approuvait en pensant à autre chose. Il appréciait l’hospitalisation de Nino qui leur ménageait ces tête-à-tête. Il devait convenir que l’époux « ne faisait pas le poids ». Charmant, serviable et courageux, il manquait cependant de cette lumière éclairant les êtres d’exception. Il resterait un élément positif de la Camorra, plein de fougue et d’audace, mais n’obtiendrait jamais cette habileté de prélat, ni cette détermination qui font les vrais chefs.

Lorsqu’ils eurent épuisé la question concernant la chirurgie esthétique, Vicino parla d’Adolf Hitler. Ce nom la fit éclater de rire. Une telle homonymie pouvait-elle exister ?

— Tout existe ! répliqua l’auteur de ses jours.

— Et en quelle langue vous êtes-vous entretenus ?

— Il parle parfaitement l’italien de Florence, assura Gian Franco ; je crois qu’il y a fait plusieurs séjours afin d’étudier le dessin.

Elle perçut l’enthousiasme du Parrain, en fut troublée car il ne livrait jamais ses sentiments et peu ses impressions.