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Maria voulut savoir à quoi ressemblait ce phénomène qui avait l’heur de plaire à un homme aussi hermétique. Gian Franco promit de le lui faire connaître lors de sa prochaine visite. Puis il poussa vers elle une petite boîte de carton jauni, semblable à celles qu’il ne se résolvait pas à jeter et accumulait dans un tiroir de son bureau.

La jeune femme la saisit sans poser de question et en ôta le couvercle.

Elle fut interloquée par le plantureux brillant.

— C’est l’Autrichien qui vous l’a procuré ?

— En effet. Il aurait d’autres pierres à me proposer, affirme-t-il.

Dans un geste infiniment féminin, elle posa le diamant sur son annulaire gauche et mobilisa la lumière de la suspension.

— Je n’en avais jamais vu d’aussi gros, avoua-t-elle. Vous êtes sûr qu’il est vrai ?

— Comme je suis sûr d’être napolitain !

— C’est magnifique, ce flamboiement !

— Je te l’offre !

Elle cessa de sourire au joyau et, apeurée, le déposa dans la boîte qui, à son origine, avait contenu un médicament.

— Non merci, Don Gian Franco, fit-elle, ce n’est pas possible !

— Pourquoi ?

— Mais parce que je suis mariée !

— L’accepterais-tu de ton père ?

— Sans doute.

Le Parrain claqua des doigts et fit signe à Maria de s’emparer du téléphone portable accroché à un dossier de chaise.

— Appelle le Commendatore !

Elle s’exécuta sans poser de question. Elle dut patienter avant d’avoir Fanutti en ligne.

— Papa ? lança-t-elle d’une voix tendre qui égratigna le cœur du Parrain.

Après s’être enquise de sa santé, elle lui passa Vicino.

— Comment te portes-tu, saltimbanque ? demanda celui-ci. As-tu déniché un nouveau monstre ?

— Un Gabonais dont le sexe mesure soixante-trois centimètres.

— Tu vas faire rêver les dames ! plaisanta le Parrain. Figure-toi que je veux offrir une pierre fine à Maria ; elle la refuse sous prétexte qu’elle ne peut tenir pareil présent que de son époux ou de son père. Consentirais-tu à la lui donner toi-même ?

— Sûrement pas, déclina le Commendatore.

Et il raccrocha, laissant son correspondant décontenancé et furieux.

— Il n’a pas voulu ? s’enquit la jeune femme.

— Il est jaloux.

— De vous ?

— Il souffre de l’affection que je te porte.

Elle voulut continuer sur la question, mais Gian Franco eut un geste pour signifier qu’il entendait changer de sujet.

Lorsque Adolf revint, Johanna l’accompagnait. Les hommes de garde les prièrent de patienter, l’un d’eux appela Vicino pour lui signaler la présence de la fille. Il s’exprimait en napolitain, dans un langage de quartier inintelligible pour qui n’est pas né dans le golfe de Naples.

— Fais-les entrer ! fut la réponse.

Cette fois-ci, il alla les accueillir jusqu’à la porte.

Johanna portait une robe de lin, légère, et Hitler un blazer marine sur une chemise pervenche. Il avait noué une cravate à rayures et ce fut son premier motif de conversation.

— Pardonnez-moi, fît-il en pressant la main qu’aujourd’hui on lui consentait, hier je suis venu dans une tenue un peu désinvolte.

Il présenta sa compagne :

— Mlle Heineman, la propriétaire des pierres.

Le chef de la Camorra adressa à l’arrivante un sourire presque paternel, puis les pria de s’asseoir. Pendant que les visiteurs prenaient place, Vicino, fidèle à sa promesse, appela Maria par l’interphone.

Quelques minutes s’écoulèrent et elle entra.

Ce fut un instant décisif pour Adolf. À la vue de la jeune femme, il éprouva une intense sensation de chaleur tandis qu’une émotion inconnue le submergeait.

Il saisit la main tendue, s’inclina d’une manière qu’il sentait beaucoup trop germanique. Dans un seul regard, il sut la capter.

Quand il lâcha ses doigts, il n’eut plus qu’un but : se faire aimer d’elle.

Ils abordèrent sans différer la question du diamant.

— Si j’en crois mon expérience, déclara Vicino, cette pierre est de haute qualité. D’après ce que je comprends, elle ne possède aucun pedigree et c’est ce qui la rend dangereuse ! Vous avez pu vous en rendre compte à Amsterdam, mademoiselle ?

Prudente, Johanna acquiesça d’un faible signe de tête.

— J’ignore sa provenance, reprit l’Italien, mais je pressens qu’elle vous embarrasse. À mon avis, si le lot est important, il faudra le sacrifier au cinquième de son estimation, et encore !

Il la considéra avec une certaine bienveillance, ce qui ne correspondait guère à sa nature intraitable.

— Cela revient à dire qu’un diamant estimé à cent mille dollars ne vous en rapportera pas plus de vingt mille, vous me suivez ?

Elle ne répondit rien, se tourna vers Hitler pour quêter un conseil. Mais le garçon avait la tête ailleurs. Cette transaction commençait à l’énerver.

— À vous de voir ! jeta-t-il d’un ton presque hargneux qui la déconcerta.

Comprenant qu’il la peinait, il se reprit :

— Si votre projet vous tient toujours à cœur, un cinquième de la valeur totale vous permettrait de le réaliser…

Johanna Heineman réfléchit. Sentant une carence de son « conseiller », elle décida d’assumer seule son problème.

— Écoutez, dit-elle à Gian Franco, voilà ce que je vous propose : achetez-moi cette pierre à vos conditions et laissez-moi réfléchir en ce qui concerne les autres.

Le maître de la Camorra ne sourcilla pas.

— C’est votre choix, fit-il.

Il attira à lui un bloc de papier et se mit à le couvrir de petits chiffres noirs grouillant comme une fourmilière. Il s’interrompait pour réfléchir. Hitler trouva qu’il avait l’air d’un vieux Chinois aux prises avec son boulier.

À la fin, il écrivit une somme au bas de la feuille et poussa cette dernière en direction de l’Allemande.

D’accord ?

Elle jeta un regard au papier, mais ne se perdit pas en vérifications. Un grand détachement l’habitait. Cet homme grisonnant, au teint de plomb, lui inspirait un sentiment d’horreur. Elle avait hâte de quitter sa maison, Naples, l’Italie, et de retourner aux U.S.A. Maintenant, elle savait que l’Amérique était devenue sa véritable patrie. Il suffisait de la soudaine indifférence d’Adolf à son endroit pour la dessiller.

En constatant son attirance pour la jeune Napolitaine, Johanna comprenait qu’il n’existerait jamais rien de plus entre eux qu’une sympathie qui, déjà, s’étiolait. Elle ne lui en voulait pas, convenait que c’était mieux ainsi et ne demandait qu’à l’expulser de sa vie et de son souvenir.

Vicino quitta la pièce de sa démarche nerveuse pour aller chercher l’argent.

— Vous êtes sa fille ? demanda Adolf.

— Non, répondit Maria.

— Cependant vous lui ressemblez ! ne put-il s’empêcher de dire.

La jeune femme sourcilla :

— Vous trouvez ?

Craignant de s’être fourvoyé, il eut un hochement de tête assez vague.

— Déduction passe-partout, fit-il avec légèreté. Je vous vois en compagnie d’un monsieur ayant l’âge d’être votre père, j’en conclus qu’il l’est !

Il rit brièvement, sans rencontrer d’écho.

Les deux filles s’ignoraient et les minutes accroissaient la gêne ambiante, c’est pourquoi le retour de Vicino apporta une détente bienfaisante.

Il tenait une grosse enveloppe de papier kraft qu’il déposa devant Johanna Heineman.

— Voici la somme convenue, déclara Gian Franco ; en dollars. Je précise que ceux-ci furent imprimés par la banque des États-Unis, soyez sans crainte. Vous m’obligeriez en les recomptant.