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— Je vais m’occuper de ton mari ! décida le jeune homme.

— Tue-le, l’exhorta-t-elle. Fais vite !

27

Nino dormait mal car il lui était impossible de respirer par le nez. La dernière intervention qu’il venait de subir lui donnait la sensation d’avoir un trou béant au milieu de la face. À croire que son visage ne se composait que des yeux et de la bouche, comme sur une toile de René Magritte.

Par instants, le sommeil l’emportait, il s’assoupissait en émettant de vilains râles qui finissaient par le réveiller ; tout devait alors recommencer. Cette alternance de mauvais repos et de veille pénible sapait son moral. Ce garçon des rues souffrait de la vie hospitalière. Au lieu de prendre son mal en patience, une rébellion latente le mettait en transe. Mais, davantage encore que sa blessure, l’attitude de Maria le minait. Elle ne lui apportait plus cet amour fougueux qui le stimulait tant.

Assise à son chevet, elle se montait désorientée ; pis : elle s’ennuyait, louchant sur sa montre, s’emparant d’un magazine, ou se perdant dans une songerie dont il était exclu. Il nourrissait mille craintes à propos de leur passion si radieuse naguère, et, croyait-il, inaltérable. Pour tenter de se rassurer, il présumait que son épouse supportait mal leur séparation, ne pouvant se résigner à cette existence bancale. Lorsqu’elle ne possédait pas tout, elle ne possédait rien.

Nino occupait une petite chambre médiocre où il avait le privilège d’être seul. Une ampoule bleue, imperceptible lorsqu’on venait d’éteindre les lumières, gagnait lentement en intensité et permettait de découvrir la sécheresse de la pièce : un placard mural, la porte de la salle de bains, deux fauteuils tabulaires au siège de plastique tressé, la fenêtre étroite…

Il remâchait des rancœurs, évoquant le Parrain qui aurait pu veiller à son confort. Mais ses largesses étaient ostentatoires ou n’étaient pas. Il se consolait en pensant que Vicino vieillissait très rapidement. Un jour, son titre serait vacant ; peut-être alors, Nino jouerait-il un rôle dans la Camorra en qualité de dauphin ?

La porte s’ouvrit doucement. Une garde de nuit entra, tenant un petit plateau supportant une grosse seringue, des tampons d’ouate, un flacon au bouchon de caoutchouc et un garrot.

— Le professeur a prescrit une injection de sédatif pour vous assurer un sommeil de bonne qualité, chuchota la fille.

Elle avait un accent assez marqué que Nino estima germanique. Elle déposa son petit attirail sur la table de nuit métallique, massa l’avant-bras du patient après la pose du garrot, et entreprit d’emplir la seringue. Elle n’aspira que de l’air dans la fiole, puisque cette dernière était vide. Puis elle palpa du pouce une veine en saillie et, d’un mouvement déterminé, enfonça l’aiguille en disant :

— Respirez profondément !

— Qu’est-ce que c’est, comme produit ?

— Un mélange d’oxygène et d’azote, répondit-elle.

La fatigue du patient fit qu’il ne réagit pas à l’énoncé de cette formule.

— Cela fait effet en quinze minutes, promit l’infirmière en retirant l’aiguille.

Elle étancha les quelques gouttes de sang résultant de la piqûre, réunit son matériel sur le plateau et attendit.

Nino lui sourit.

Effectivement, quelques minutes plus tard, son visage se crispa en se couvrant de sueur.

— J’ai froid, gémit-il.

— Connard ! répondit-elle.

Landrini eut un spasme et son cœur s’arrêta.

La garde se retira sans hâte, se débarrassa de son nécessaire dans un vide-ordures proche des ascenseurs et emprunta l’une des cabines. Elle s’examina complaisamment dans les miroirs garnissant les parois.

Adolf avait sacrifié sa moustache naissante ; il s’en consola à l’idée que la suivante en serait fortifiée.

Une fois dans le hall d’entrée, il récupéra son imperméable accroché à une patère et quitta l’hôpital après avoir adressé un petit geste de sympathie à la préposée de nuit.

Une bruine quasi vaporeuse ouatait les lumières. Hitler se dirigea vers une ruelle proche. Dans une poche de son vêtement de pluie se trouvait un plastique à poubelle roulé. Il le déploya, y fourra sa blouse, sa perruque, et reprit sa marche en direction de l’hôtel. Chemin faisant, il se défît du sac à ordures dans une bouche d’égout.

Il se sentait pleinement heureux, comme si donner la mort apportait un sens à sa vie.

Une fois dans sa chambre, il se retint de téléphoner à Maria car la chose eût été imprudente.

Il se coucha nu entre les draps et étreignit l’oreiller en murmurant des paroles lascives.

NAPLES

28

Le Gabonais engagé par le Commendatore répondait au diminutif de Bambou. Âgé d’une trentaine d’années, il ne mesurait guère plus d’un mètre cinquante. Cet homme au torse carré, aux cheveux plantés très bas et aux arcades sourcilières proéminentes disposait, nous l’avons dit plus avant dans le livre, d’un sexe de soixante-trois centimètres. Cette mensuration, il convient de le préciser, sans porter atteinte à sa qualité de phénomène, était prise sous la verge, à la naissance des testicules.

Le sieur Bambou n’aurait jamais songé à exploiter cette largesse de la nature sans l’intervention du hasard.

Il travaillait comme maçon sur un chantier, quand une poutrelle de fer lui tomba dessus, brisant sa jambe gauche. Ses compagnons l’ayant dévêtu de l’hémisphère sud pour évaluer l’étendue des dégâts découvrirent alors la prodigieuse anomalie de l’Africain.

La nouvelle de ce pénis surdimensionné créa l’effervescence dans sa profession, son quartier et, finalement, toute la province où il habitait. Lorsqu’on ôta son plâtre, il fut assailli par les curieux (et principalement les curieuses) avides de contempler un déduit aussi exceptionnel. L’information atteignit les trompes d’Eustache d’un imprésario qui le prit aussitôt sous contrat. Entre actionner une bétonnière et déballer son phallus, il n’y avait pas à hésiter, la morale et les mœurs dussent-elles en pâtir.

C’est en suivant cette filière que Bambou se retrouva pensionnaire d’Aurelio Fanutti pour la plus grande prospérité de ce dernier.

Mais toute médaille a son revers. On n’est pas doté d’un membre aussi surprenant sans en faire subir les conséquences à autrui. Non seulement le Gabonais possédait l’outil, mais il éprouvait le besoin légitime de s’en servir. Comme on le devine, Miss Lola dut se dévouer. Dure épreuve pour son sexe imberbe ! Son employeur la dédommagea en augmentant ses émoluments mensuels de dix mille lires, ce qui permit à la déesse barbue d’envisager l’achat d’un grille-pain chromé à double compartiment, objet qu’elle convoitait depuis qu’une émission de la R.A.I. en avait vanté les avantages.

La vie à bord du théâtre ambulant se serait poursuivie vaille que vaille, de localité en localité, si une performance autre que sexuelle, de son artiste, n’avait laissé le Commendatore songeur. Bambou possédait le don de la lapidation. D’un jet de pierre, il tuait les chats, les chiens et même les oiseaux. Son adresse impressionna si fort Aurelio qu’il flaira un meilleur usage de cette singulière aptitude. Restait à assurer que son pensionnaire accepterait de prendre un homme pour cible. Le Gabonais y consentit volontiers.

Un matin où Fanutti le faisait répéter sur la rive déserte d’un torrent à sec, son téléphone portable retentit. Maria lui annonçait le décès de Nino. Elle le fit d’un ton calme, presque serein, qui impressionna son père davantage que la triste nouvelle. La jeune femme lui apprit que Landrini avait succombé à une crise cardiaque consécutive vraisemblablement à sa dernière intervention chirurgicale.

Interloqué, le Commendatore bredouilla son émotion, ses condoléances et ses regrets. Mais, à la réaction froide de sa fille, il sut que c’était de la salive perdue…