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L’Autrichien ressentait une horrible gêne à subir ces démonstrations en public. La scène avait lieu devant la porte du palace, pour la plus grande joie des chauffeurs de taxi agglutinés.

Soudain, les adieux déchirants tournèrent à la farce : la grosse Landrini, mère du mari défunt, mystérieusement prévenue de la liaison de sa bru après un deuil éclair se rua sur le couple enlacé, traitant Maria de « pute infecte », de « vomissure puante » et de bien d’autres injures honteuses mais joliment tournées. Elle cognait, griffait, mordait avec une telle rage que l’amoureux vint au secours de sa maîtresse en enfonçant violemment ses doigts en fourche dans les yeux proéminents de la houri. Les sbires du Parrain, venus chercher Maria, l’entraînèrent dans l’auto blindée et claquèrent la portière sur les premières phalanges de l’irascible matrone.

37

Le temps, toujours ensoleillé, lui permit de rouler décapoté, les cheveux et la cravate au vent. Devant lui, sur la droite, le Vésuve au double cratère se tenait sage dans l’azur. C’est tout juste si un léger nuage floconneux en couronnait le sommet.

La scène « napolitaine » qu’il venait de vivre le plongeait dans une sourde irritation. Discret, même dans l’outrance, il n’appréciait pas cette empoignade de viragos et sentait que son ardente maîtresse venait d’écorner leur bonheur. Trop intelligent pour croire à l’éternité des sentiments, Adolf convenait, avec résignation, que les fruits de la passion se gâtent comme les autres. Il se soumettait à cette fatalité avec mélancolie.

Il venait de parcourir une vingtaine de kilomètres lorsqu’il éprouva la sensation d’être suivi. Consacrant davantage d’attention à son rétroviseur, il détecta une grosse Fiat d’un jaune verdâtre, à une centaine de mètres derrière lui.

Hitler continua de rouler sans forcer l’allure puis, apercevant une station-service dans le lointain, mit son clignotant. Il avait fait son plein à Naples et se contenta de faire vérifier les niveaux. Du coin de l’œil, il surveillait le comportement de la Fiat : cette dernière semblait avoir continué sa route ; mais lorsqu’il repartit, il ne tarda pas à l’apercevoir sur une voie de détresse.

Elle s’en dégagea aussitôt après son passage. Confirmé dans sa certitude, il sourit. Loin de l’alarmer, l’incident l’amusait. Une telle découverte lui prouvait que les Israéliens entendaient surveiller ses faits et gestes de très près.

Une demi-heure plus tard, il quittait l’autoroute et pénétrait dans Saviano, filé à distance par son ange gardien obstiné.

Trouvant, à l’orée de la localité, un relais routier, Motel Agip, d’assez bonne apparence, Hitler s’y arrêta et retint une chambre jouissant d’une vue imprenable sur l’autoroute dont la circulation faisait grelotter les vitres. De sa fenêtre, il aperçut, sur le parking, la voiture à la couleur audacieuse. Il défit sa valise et rangea ses maigres effets dans un placard de bois blanc. Après quoi, il s’arma de son attirail de peinture.

À cette heure indécise de la matinée, la salle de café ne comportait que trois routiers occupés par une robuste collation, et un automobiliste solitaire (le sien) rêvassant dans la fumée d’un cappuccino.

Le jeune homme salua l’assistance d’un hochement de tête en gagnant le comptoir derrière lequel une gamine à tête d’orpheline s’activait sans bonheur apparent. Il opta pour un verre de vin blanc qu’il trouva trop sirupeux et confia aussitôt à la terre d’une plante verte ornant le zinc.

Une grande apathie régnait dans l’établissement, malgré la présence des camionneurs qui s’obstinaient à parler la bouche pleine. Adolf ne tarda pas à prendre le large, se demandant si « son homme » comptait le filer systématiquement ou s’il déciderait d’attendre son retour.

Il fut vite fixé. À peine dégageait-il son cabriolet que le type survenait. C’était un individu d’une quarantaine d’années, un peu enveloppé, au front dégarni. Ses cheveux d’un châtain tirant sur le roux frisottaient aux tempes. Il portait un complet de confection à carreaux dont les tons paraissaient aussi désastreux que celui de sa bagnole.

L’agacement qu’il lui causait décida Adolf à en finir le plus rapidement possible avec ce grotesque personnage. Il se dirigea vers le centre-ville et stoppa aux abords de l’église dans laquelle il pénétra. Hitler fit le tour de l’édifice.

Le lieu, enrichi de peintures naïves, le charma par la paix qui y régnait. Comme il était vide, le garçon escalada les degrés de bois conduisant à la chaire et s’assit sur un petit praticable servant à surélever le prédicateur.

Il connaissait l’impatience des hommes, les savait généralement inaptes à de longues attentes.

Une demi-heure s’écoula. La lourde porte grinça sur ses gonds. Adolf coula une œillade prudente entre les montants du petit lutrin mis à la disposition de l’orateur. Depuis bien des lustres, les « tribunes de Dieu » tombaient en désuétude car les prêtres parlent désormais aux fidèles depuis la table de communion, pour être exposés à la vue de tous les fidèles.

Il découvrit une vieille paroissienne, noire comme un insecte de l’ombre, perdue dans une interminable prière qu’elle ne devait interrompre que pour jacasser avec ses voisines.

La brave femme lâcha sa salve d’oraisons, se signa avec ardeur et retourna à ses fritures. En partant, elle se heurta à quelqu’un qui entrait et murmura des excuses.

Un second regard apprit au garçon qu’il s’agissait de son suiveur…

L’arrivant se planta à l’orée de l’allée centrale pour avoir un plan général de l’église. N’apercevant personne, il entreprit de l’inspecter, stoppant au passage devant les deux confessionnaux, en quête d’une possible présence. Après quoi, il traversa le chœur pour gagner les issues du fond ; mais l’une et l’autre étaient fermées à clé.

L’homme rebroussa chemin. Il s’immobilisa près d’un porte-cierges aux multiples branches. Les chandelles illuminèrent soudain le côté droit de son visage.

Hitler observait jusqu’aux expressions de l’individu. Il capta son sourcillement quand son attention s’arrêta sur la petite tribune octogonale.

« C’est un professionnel, songea-t-il : il va monter ! »

Comme si sa pensée enclenchait les décisions de son pisteur, ce dernier sortit du chœur et prit à droite pour gagner la chaire.

Adolf agissait sans avoir à décider ses gestes, programmés de toute éternité. Il se mit sur le dos, replia les jambes, ses talons touchant ses fesses, et attendit.

Bientôt, le poids de l’homme fit grincer l’escalier en torsade. Entre ses paupières mi-closes, Hitler vit surgir le buste du « chasseur ». Découvrant la silhouette inanimée sur le plancher, celui-ci stoppa net, guettant quelque frémissement révélateur. « Grimpe encore ! » l’exhorta intérieurement l’Autrichien. Toute sa volonté se concentrait sur cette invite. Adolf s’abstenait du moindre mouvement. Sa vie en dépendait. Il devenait marmoréen à force de tension.

Un temps interminable s’écoula. Il ressentait intensément la perplexité de son guetteur.

Soudain ce dernier tira sur l’une des jambes repliées de l’Autrichien. Le membre chut sur le côté, exactement comme s’il appartenait à un corps inconscient.

Rassuré, le « chasseur » acheva son ascension.

Il posait le pied sur l’estrade quand Hitler, qui n’en pouvait plus, poussa un cri rauque et projeta ses deux membres inférieurs dans le ventre de son adversaire. Il agit avec tant de violence que l’autre en eut le souffle interrompu et partit à la renverse.

Pendant les deux ou trois secondes que dura la chute, Adolf pensa que les circonstances le vouaient « au meurtre en escalier ». Depuis l’infirmière de Munich, en passant par la dame de Venise, il réalisait une étrange série. Peut-être écrirait-il un jour quelque traité sur le rôle des marches dans l’accomplissement du crime parfait.