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— San Gennaro ! s’exclama-t-elle en bloquant ses freins, elle est à vous, cette auto ?

— Montez, elle deviendra également la vôtre.

Il sortit dévisser la roue avant de la vieille bécane pour insérer le vélo dans le coffre.

Quelques voitures passèrent sans leur prêter attention.

Quand il eut fini, il lui tint la portière ouverte et la ferma ensuite d’un geste moelleux.

— Où m’emmenez-vous ? questionna-t-elle avec une ombre d’inquiétude.

— On pourrait aller dîner à Salerno, répondit Hitler. Vous aimez les produits de la mer ?

— Je ne sais pas, balbutia-t-elle, dépassée par l’événement.

Elle connut la plus belle soirée de son existence. Adolf la conduisit dans le meilleur restaurant de la ville, ils eurent droit à une table donnant sur la baie. D’inspiration touristique, la cuisine n’en était pas moins excellente. Fidèle à sa promesse, il lui fit savourer des coquillages, suivis d’un homard flambé avec, pour conclure, de la mozzarella tressée et des sfogliatelle, le tout arrosé de Champagne français dont les fines bulles la firent éternuer. Elle en but passablement, ce qui empourpra ses joues et perturba quelque peu son élocution.

Pendant la seconde partie du dîner, il lui caressa la main et, au dessert, l’embrassa avec retenue. Cette fille seule se trouvait en manque et devait constituer, au lit, une belle affaire.

Pourtant pareille perspective ne l’émoustillait pas. Sa pensée allait à Johanna. Lors de son ultime appel téléphonique, elle lui avait fait promettre de ne plus le contacter avant qu’elle n’en prenne l’initiative. Elle semblait tenir à cette résolution et il l’accepta. Seul accroc à cet accord : il fit l’acquisition d’un portable, dont il confia le numéro au répondeur de la jeune fille.

Ils furent les derniers clients à quitter le restaurant. La lune éclairait la côte d’Amalfi. Hitler se sentait plein de mélancolie. Il savait ce mal incurable ; ni l’action, ni l’amour ne sauraient l’en guérir. « Question de glandes », songeait-il pour se gausser de ses états d’âme.

Sur la route du retour, il engagea sa main droite dans le décolleté de sa compagne.

— Comment m’avez-vous dit que vous vous appeliez ? murmura-t-il.

— Sofia, fit-elle ; ce n’est pas gentil de ne pas vous en souvenir.

— Le Champagne, s’excusa Hitler.

— Que font vos parents ?

— Rien ! Ils sont morts.

— Pardon.

— Ne vous excusez pas, ce n’est pas votre faute.

— Un accident ?

— Exactement.

— Comme mon mari.

— On a bien fait d’arroser ça, railla le jeune homme.

Ce genre de cynisme la dépassait. Elle insista :

— Que faisait votre père ?

— Devinez ?

— Médecin ?

— Vous brûlez : il était boucher… Un coutelas au lieu d’un scalpel, ça revient au même.

Elle répéta, surprise :

— Boucher. Je n’y aurais pas pensé.

— Si vous saviez à quel point c’est répugnant, le froid de la viande, ferme et flasque à la fois. Et puis cette odeur qui semble ne pas en être une…

Il se tut pour évoquer de nouveau Johanna. Où se trouvait-elle ? Que faisait-elle ? Il étudia ses pulsions secrètes. La convoitait-il ? Il l’imagina dans ses attitudes suggestives et se demanda ce qu’il ressentirait, là, brusquement, si la jeune Allemande était en porte-jarretelles de dentelle noire, sans slip, avec un pied posé sur une chaise. Il devinait son sexe rose, légèrement entrouvert par sa posture. Il s’agenouillerait auprès d’elle pour la lécher doucement.

Hitler ne put pousser la scène au-delà de ce lapement parce qu’il n’arrivait pas à imaginer l’expression de la jeune fille. Serait-elle débordée par un flux sexuel ? Ou bien garderait-elle l’étrange vigilance qu’on sentait constamment en elle et qui la mettait hors de toute atteinte ?

Quand ils furent de retour à Saviano, Sofia dormait profondément, la joue appuyée sur l’épaule du conducteur. Son sommeil paraissait d’aussi bon aloi que ses pensées.

Il l’éveilla avec le regret d’interrompre ce total abandon.

Elle sursauta en reconnaissant sa petite maison aux volets bleus dans le faisceau des phares.

— Quelle heure est-il ? s’affola l’institutrice, comme si elle eût été attendue.

Il n’en avait qu’une idée approximative,

— Je vous laisse descendre. Ne fermez pas votre porte ; le temps d’aller garer la voiture un peu plus loin et je vous rejoins.

— Oh ! non, supplia-t-elle, c’est tout à fait impossible !

Sa protestation était trop catégorique pour être sincère. En deux petites minutes tissées d’arguments péremptoires, il obtint son consentement.

La maisonnette n’avait de charme qu’à l’extérieur. En réalité, elle offrait au-dedans une banale décrépitude. Les pièces avaient été peintes voici fort longtemps, dans des tons sombres qui attisaient leur tristesse. Le mobilier chiche et bancal, les abat-jour à perles, les images pieuses aux murs, le chapelet fixé à la tête du lit, tout, ici, racontait une résignation depuis toujours acceptée. Seuls, un poste de télévision et une étagère de bois blanc, chargée de livres neufs, mettaient une petite note de confort intellectuel dans cet univers délabré. Elle tira le vieux verrou grinçant et posa la joue contre sa poitrine.

— Je dois vous avouer quelque chose, chuchota Sofia. Il attendit, surpris mais non inquiet.

— Je ne peux pas en ce moment ! lui confia-t-elle.

Il mit quelques instants à comprendre et se sentit soulagé.

— Cela ne fait rien, répondit-il, héroïque à bon compte ; c’est ta belle âme que j’aime !

Elle l’embrassa, reconnaissante et déçue.

40

Le tee-shirt, d’inspiration française, représentait le Vésuve en train d’expectorer une abondante fumée sombre. On avait écrit sous le dessin : « Fume ! C’est du belge ! » Mais le personnage qui l’arborait n’était pas en mesure d’apprécier ce joyau d’humour. Petit, portant une barbe de dix jours, le nez veineux, les lèvres croûtées de vin et de tabac, l’œil fripon, il semblait en attente d’un passant argenté.

Les mains fichées dans les poches arrière de son jean, il tournait lentement autour de la caravane sous le regard exaspéré du Commendatore.

— Écoute, Francesco, fini par maugréer le forain, tu vas me l’user à force de l’admirer. Dans un cas pareil, deux questions seulement se posent : te convient-elle ? Et, es-tu en mesure de me la payer ?

Le petit homme avait travaillé comme clown, une ou deux décades auparavant. Ses prestations n’allaient pas au-delà de matinées enfantines. Puis un jour, son père avait défunté en lui laissant quelques biens, et il s’était mis à son compte. Sans véritable vocation, il avait préféré faire travailler les autres et encaisser la recette.

La réflexion sarcastique du vendeur le stimula. Il articula un prix nettement plus élevé que celui auquel Aurelio s’attendait. Ce dernier se hâta de tendre la main et l’autre topa.

Le reste ne fut plus que littérature.

— J’ai su ce qui est arrivé, murmura Francesco. Comment va Miss Lola ?

— Au pavillon des grands brûlés à l’hôpital de Rome.

— Sa barbe repoussera ?

— Penses-tu ; elle a la gueule cramée au troisième degré.

L’autre fit la grimace.

— C’était une belle artiste, assura-t-il.

— Elle possédait davantage de poils que de talent, ironisa Fanutti, mais elle en avait beaucoup.

Une amertume proche du désespoir assombrissait sa voix d’ordinaire claironnante.