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— Que comptes-tu faire, à présent ?

Le Commendatore sourit :

— Si je te le disais et que tu ne le répètes pas, ça pourrait te conduire en prison ; je préfère ne pas en parler.

Francesco revint chercher le véhicule le jour même en compagnie de son fils aîné ; paya rubis sur l’ongle, et demanda si la Vespa arrimée à l’arrière était comprise dans le prix, comme l’est la chaloupe avec le navire.

Aurelio répondit par l’affirmative.

Ses bagages personnels se trouvaient déjà entassés dans la vieille automobile qu’il venait d’acquérir.

Il regarda s’éloigner le convoi d’un œil froid.

41

Hitler aimait dormir seul. Partager la couche de quelqu’un l’insupportait. L’exception avait été Maria. Avec la Napolitaine, il avait savouré de se coller à son corps jusque dans l’inconscience du sommeil. Il s’était repu de sa chaleur animale, de son odeur de jeune femelle ; mais cette bestialité grégaire ne traduisait-elle pas une recherche du ventre maternel ? Son couple parental l’avait profondément déçu, sans qu’il en eût conscience. Gens frustres, dépourvus d’intelligence, il les avait subis plutôt qu’aimés.

Richard, son père, vivait par le travail et pour l’argent. Il rudoyait sa femme, son enfant et ses employés, vociférait au lieu de parler, buvait trop de bière, mangeait trop de viande, troussait les servantes de ses grosses pattes assassines et prônait les mérites du chancelier Adenauer. Les bulletins scolaires de son hoir l’intéressaient peu et il méprisait sa constitution chétive.

Sa mère vivait dans l’ombre du tyranneau, s’efforçant de l’admirer et, partant, de l’aimer. Son enfant la déconcertait parce qu’il appartenait « à une autre race ». Par instants, il posait sur elle un regard qui lui faisait détourner le sien et la laissait silencieuse, sotte et démunie.

Le jour où ses géniteurs fracassèrent leurs existences dans des bouteilles d’Heineken, Adolf apprit la nouvelle avec indifférence.

Il ne pleura pas, ne proféra aucune parole émouvante. Le soir venu, il s’enferma à clé dans sa chambre pour assister à une énième diffusion télévisée de Citizen Kane, son film-culte.

L’institutrice ronflait bruyamment, portant le comble à son agacement. Il risqua quelques menues recettes préconisées en pareil cas, telles que siffler ou de pincer les narines du dormeur, mais cette maigre thérapie ne déclenchait que de brefs répits.

Excédé, Hitler quitta la couche de sa demi-conquête et passa au salon ; un fauteuil déglingué l’accueillit.

Il songeait qu’il avait agi uniquement pour ce moment : être à pied d’œuvre dans la misérable maisonnette où, un jour de 45, deux militaires du Reich étaient venus chercher refuge après une fuite périlleuse de quelque deux mille kilomètres !

Quel asile pouvait-elle fournir à de tels fuyards ?

Au cours du dîner, il avait questionné Sofia sur les gens ayant habité la bicoque précédemment. Elle ne lui avait pas appris grand-chose. Cette masure appartenait à une tante de son mari qui, à leur mariage, la lui avait vendue en viager.

Naturellement, les Israéliens s’en étaient donné à cœur joie pour fouiller l’endroit. S’ils s’avouaient vaincus et passaient la main, c’est qu’ils ne nourrissaient plus grand espoir.

Pareille conclusion stimula Hitler. Chez cet être énigmatique, l’esprit de détermination s’exerçait quand le renoncement réduisait les autres.

Après tout, l’histoire du sac tyrolien avait refait surface très récemment, parce que la petite veuve avait liquidé les pouilleries de son grenier.

L’envie lui prit de s’y rendre.

Partant de la cuisine, une échelle de meunier y conduisait. Il l’escalada, se trouva devant une porte basse, disjointe, fermée par un loquet de fer.

Dans sa partie la plus élevée, la toiture descendait à un mètre cinquante du plancher, ce qui obligeait de circuler plié en deux. De toute évidence, on avait apporté un semblant d’ordre au galetas en empilant caisses et cartons le long des murs. Sofia avait vendu au brocanteur tout ce qui était quelque peu négociable. Une ampoule suspendue à un fil répandait une piètre lumière.

Hitler commença son exploration par un angle et se mit à tourner autour du grenier.

Les premiers cartons contenaient des livres de comptes aux couvertures de toile noire passablement blanchies par la moisissure du temps. Ils concernaient le commerce d’un certain Anselmo Curatti, négociant en grains et fourrages. Le premier registre commençait en 1928, le dernier finissait en 1953. D’après ces documents, il semblait que l’exploitant avait son entreprise à Mondali, une localité proche de Saviano. Adolf se demanda comment un homme gérant une exploitation pouvait se contenter d’un logement aussi indigent.

Il passa aux autres caisses qui recelaient un bric-à-brac de souvenirs : photos loqueteuses, papiers personnels. Tous avaient trait à la famille Curatti. L’explication la plus plausible était que le signor Anselmo, attaché à sa maison natale ne l’habitait point, mais y logeait quelque vieillarde familiale. L’institutrice lui en dirait probablement davantage. Il acheva son exploration, sans découvrir d’éléments intéressants.

Assis en tailleur, il continuait de s’abîmer dans une trouble réflexion. Les deux fuyards débarquent dans cette bicoque. Ils savaient pouvoir y trouver refuge. Pourquoi ? Probablement parce que l’un des deux hommes possédait des liens, soit familiaux, soit d’amitié, avec ses habitants. Combien de temps resteront-ils terrés dans ce coin perdu ? Aucune réponse ne peut être avancée. Que deviennent-ils ? Ont-ils fui par la mer, vers un autre continent ? En tout cas, ils abandonnent le fameux sac avec, à l’intérieur, les papiers militaires de Morawsky. Parce que ceux-ci sont compromettants ? Ou parce que l’homme en question n’en a plus besoin ?

Depuis le galetas, Adolf percevait les ronflements de sa jeune hôtesse ; ils emplissaient la maisonnette.

Une intuition l’avertissait qu’il détenait, à son insu, une information capitale. Il ne devait pas s’exciter, moins encore s’impatienter.

Il éteignit l’ampoule, ferma la porte grinçante.

Une fois en bas, il arracha la page de garde d’un livre, dessina un cœur sous lequel il écrivit : À plus tard, petite fée.

Et retourna chercher sa voiture dans la nuit fraîche.

Il était plus de quatre heures quand il parvint à son hôtel. L’établissement brillait encore de tous ses feux et trois musiciens sévissaient malgré l’heure tardive, pour faire valser les lambeaux d’une noce à bon marché. Les bouteilles de vin s’accumulaient sur les tables. Des vieillardes édentées s’obstinaient à danser entre elles avec des rires de gorgones ivres. Adolf décrocha sa clé au tableau et gagna rapidement l’étage.

Il fut surpris d’apercevoir de la lumière sous sa porte, confronta le numéro indiqué sur le mur avec celui de la plaquette de cuivre qu’il tenait. Indécis, il toqua. Une voix forte lui cria d’entrer. Il s’agissait bien de sa chambre, il reconnut son bagage sur la claie chargée de recevoir les valises. Deux hommes s’y trouvaient. L’un dormait tout habillé sur le lit, son chapeau sur la poitrine. L’autre fumait dans le fauteuil, les pieds sur la table. Hitler identifia aussitôt les occupants : des gardes du corps de Vicino.

— Salut, fît-il sans s’émouvoir ; quelque chose ne va pas ?

— Plusieurs, répondit le fumeur en ramenant ses jambes sur le sol.

Il s’empara de son téléphone privé et composa calmement un numéro.

Quand on décrocha, il murmura brièvement :

— Di Borgo ! « Il » vient de rentrer, on arrive !

Son acolyte s’était réveillé. Il se leva, coiffa son feutre et lâcha un gros pet sans joie.