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— Je peux savoir ce qu’il se passe ? demanda Adolf. Di Borgo écrasa sa cigarette dans un cendrier.

— C’est pas notre affaire ; on vous expliquera.

— Je prends ma voiture ?

— Inutile ; quelqu’un vous ramènera.

Une brume automnale ouatait la nuit ; les lumières ressemblaient à des taches sur un buvard. Le compagnon de Di Borgo pilotait sagement. Il mâchait du chewing-gum qui crissait sous ses dents. Avant de prendre place, Hitler avait hésité entre l’avant et l’arrière ; ses mentors paraissant sans opinion sur la question, il opta pour l’arrière.

Malgré le léger brouillard, le trajet fut rapide, la route dégagée permettait de réaliser une moyenne confortable. En moins d’une demi-heure, Es atteignirent l’immeuble du Parrain. Depuis la rue, l’Autrichien vit que le jardin d’hiver était éclairé.

Effectivement, c’est dans cet espace à l’odeur de Toussaint que Vicino l’attendait. Il portait une robe de chambre de velours pourpre matelassée, garnie d’un col châle noir qui accroissait son aspect maladif. Sa mine jaune, désastreuse, impressionna vivement l’arrivant.

— Qu’y a-t-il ? questionna le garçon, certain qu’on allait lui apprendre un malheur.

— Maria a eu un terrible accident, annonça Gian Franco d’un ton à peine audible.

Hitler s’assit en face de son hôte.

— Expliquez-moi !

— Elle revenait de Munich en voiture.

Adolf eut la présence d’esprit de feindre l’étonnement.

— Je la croyais avec vous, à Londres ?

— En réalité, elle était en Allemagne, chez la fille aux pierres précieuses.

Les traits d’Hitler se durcirent.

— Et puis ? interrogea-t-il âprement.

— Au retour, alors qu’elle roulait sur l’autoroute, entre Munich et Innsbruck, sa direction s’est rompue ; elle a défoncé le garde-fou et a percuté un poids lourd survenant sur l’autre voie.

— Morte ? demanda Adolf.

— Non, mais dans un état critique.

— J’y vais. Où est-elle ? fit-il en se levant.

— Reste ! lui enjoignit sèchement Vicino, tu ne peux rien pour elle. J’ai affrété un avion privé et Me Zaniti est parti à son chevet. C’est un homme intelligent et d’une grande expérience, il prendra les dispositions qui conviendront.

Hitler se résigna avec d’autant plus de soumission qu’il était heureux de pouvoir couper à pareille corvée.

— L’expert que j’avais dépêché avec elle a été tué sur le coup, reprit le Parrain : la glissière de sécurité l’a décapité.

— Je peux savoir pourquoi vous m’aviez tu ce voyage à Munich, Don Vicino ?

— Maria me l’avait demandé, non pour te faire des cachotteries, mais parce qu’elle était jalouse de l’Allemande,

— C’est ridicule !

— La jalousie d’une femme aimante ne l’est jamais, répondit son interlocuteur.

Il coula un regard intense à son visiteur. Une toux sèche lui vint ; la quinte fut longue et pénible. Des halètements rauques déchiraient sa poitrine.

— Je peux faire quelque chose ? s’inquiéta le garçon.

— La mort s’en occupe, souffla Gian Franco.

Il expectora dans sa pochette de soie, respira le plus largement qu’il put et se renversa contre le dossier du fauteuil pour essayer de calmer son oppression.

— J’ouvre une fenêtre ? risqua Hitler.

— Non ; par contre, branche l’air conditionné : le bouton vert, là-bas, à droite…

Un courant frais ne tarda pas à passer dans la pièce vitrée, agitant les larges palmes des plantes tropicales. Ce zéphyr artificiel ranima le bonhomme.

— Vous ne voulez pas que je téléphone pour avoir d’autres nouvelles ? proposa Adolf.

— Laisse : les hôpitaux détestent qu’on les tanne avec la santé des gens qu’ils ont en charge.

Voyant que son hôte reprenait bonne tournure, le jeune homme demanda :

— Trouveriez-vous incongru que nous abordions un autre sujet ?

— Parle ! soupira Vicino.

— Il s’agit d’un de vos hommes qui me suivait et que j’ai supprimé assez proprement dans l’église de Saviano.

— Bon Dieu ! C’est toi ! s’exclama le malade. On m’a rapporté ça, et je n’ai pas pris garde au nom du patelin.

— Voulez-vous dire que ce type opérait à votre insu, Don Vicino ?

— Comment peux-tu penser que je mette un contrat sur toi ? Je t’aime comme un fils ! Tout cela est grave, mon garçon, terriblement grave. En apprenant la fin de Busetti, j’ai cru qu’il s’agissait d’une affaire privée ! Mes camorristes ne sont pas des enfants de chœur ; ils ont leurs inimitiés et rancunes personnelles. Mais si c’est toi que l’on surveillait, ça prouve qu’on magouille dans mon dos.

De plus en plus revigoré, il ajouta :

— Tu vas m’aider, Adolf ! Il est temps de faire le ménage !

MUNICH

42

Johanna Heineman se sentait en proie à une anxiété qui lui gâchait la vie.

Depuis que Maria Landrini était repartie en Italie, flanquée de l’expert en pierres précieuses, elle n’avait plus de nouvelles de « sa rivale ». Elle se demandait si la voiture sabotée avait joué son rôle. Pour cette délicate besogne, elle avait fait appel à Hans, le chauffeur de son père. L’homme s’adonnait pleinement à son vice : l’alcool ; il appréciait ce chômage doré, buvant jusqu’à tomber et n’interrompant ses libations que pour culbuter des filles de joie. Il était d’autant plus libre que Johanna avait fait don des reptiles au vivarium de Munich.

Un matin, Fräulein Heineman vint sonner à sa porte alors qu’il n’avait pas eu le temps de dessoûler complètement. Son pyjama constellé de taches ignominieuses laissait apparaître un sexe peu amène.

La force de Johanna résidait dans sa franchise sans détour. Elle exposa en toute candeur à leur ancien employé qu’elle avait besoin de « trafiquer » la direction d’une voiture. Hans consentit à opérer ce travail comme s’il s’était agi d’une réparation et non d’une détérioration.

Lorsque la jeune fille lui en donna le signal, il accourut dans la propriété des Heineman où elle avait prié ses visiteurs de ranger leur véhicule. En moins d’une heure, l’ivrogne accomplit sa mission, prenant soin de laisser quelque fiabilité passagère à l’arbre de transmission.

Deux jours s’étaient écoulés et Johanna baignait dans une incertitude croissante.

Elle tentait fréquemment d’appeler Adolf au numéro qu’il lui avait laissé, mais la liaison Allemagne-Italie ne s’établissait pas sur son portable et se perdait dans des enregistrements internationaux.

De guerre lasse, elle finit par téléphoner au Parrain.

Son cœur faillit éclater quand elle reconnut la voix de l’Autrichien.

— Adolf ! fit-elle d’une voix d’orgasme.

Vicino se trouvant très près de lui, Hitler sut conserver une impassibilité prudente.

— Chère mademoiselle Heineman, dit sobrement le jeune homme, êtes-vous au courant de la terrible nouvelle ? Maria Landrini a eu un grave accident de voiture en Autriche en revenant de chez vous.

Comme sa correspondante ne répondait pas, il poursuivit :

— À la suite d’une mauvaise manœuvre, elle a franchi le rail de sécurité de l’autoroute et s’est jetée sous un poids lourd. Enfoncement du thorax et double fracture du crâne, son état est alarmant.

Johanna ressentit dans le tréfonds de son âme un sentiment bizarre ressemblant à de la reconnaissance. Elle bredouilla quelques mots proches des condoléances et, avant de raccrocher, déclara à Hitler qu’elle souhaiterait être tenue au courant de la situation.