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Son bref voyage à Munich l’avait dynamisé. Une fois encore, il évoqua son père, le rude boucher à l’encolure de bœuf, qui n’avait jamais connu de problèmes métaphysiques. Certains soirs, il l’entendait s’agiter sur sa mère. Ses geignements de goret et les grincements du sommier mettaient Adolf en rage. Ses parents lui donnaient le diminutif de « Dolfy », cela ajoutait à la haine qu’ils lui inspiraient.

Lorsqu’il fut de retour chez le Parrain, la servante lui apprit que Vicino tenait une assemblée extraordinaire avec son état-major. Il s’abstint de troubler la séance et attendit dans le jardin d’hiver dont le charme de Toussaint séduisait ce qu’il y avait de morbide en lui. Il aimait cette senteur douceâtre d’humus. Elle l’amenait à des évocations de choses « invécues » dont il appréciait le charme vénéneux.

Il patienta près de deux heures, regardant mourir le ciel dans le haut de la verrière insensible aux balles.

Enfin, il se produisit un remue-ménage maîtrisé. Des hommes prenaient congé à voix cérémonieuses. Les traînards se mirent à chuchoter ; ce sont toujours les « fayots » qui ont le plus grand mal à s’éloigner des puissants. Puis un silence suivit, feutré, comme chez les vieux tabellions.

Au bout d’un temps qui parut interminable à Hitler, le Parrain surgit.

— On me dit que tu es arrivé depuis des heures, Adolf ! Pourquoi ne nous as-tu pas rejoints ?

— Je n’appartiens pas à la Camorra.

— Pour moi si, mon garçon. Les deux tiers des hommes qui viennent de partir ne possèdent pas tes qualités.

— La réunion s’est bien passée ?

— Ils sont tous à me lécher le cul en me prodiguant des serments d’amour, mais la plupart ont un poignard dans leur manche.

Il semblait si las, si triste, que l’Autrichien en fut remué.

— Je suis là, risqua-t-il.

Le Don avança la main jusqu’à l’épaule du jeune homme.

— Le sort est étrange, soupira-t-il : tu es encore un enfant ; tu viens d’ailleurs, et voilà que tu me proposes ton aide. Tu ignores combien ils sont envieux, tous ? Aux aguets ! Tu les inquiètes déjà. Avec moi tu t’appuies à une colonne qui ne tient pas debout !

Ce vieux chef presque déchu apitoya Adolf.

— Négociez votre succession, suggéra-t-il. Proposez votre pouvoir avant qu’on ne vous l’arrache, ainsi resterez-vous, pendant un certain temps du moins, l’allié de celui qui vous remplacera.

— Tu es de bon conseil, Hitler, le complimenta Vicino ; ce serait dommage qu’il t’arrive malheur avant que tu aies donné le meilleur de toi-même. Cela dit, sais-tu qu’on ramène Maria demain par avion sanitaire ?

Adolf feignit un grand bonheur.

— A-t-elle repris connaissance ?

— Je n’en sais trop rien. En tout cas, elle doit aller mieux puisqu’ils la laissent partir. Si nous buvions un « amer », histoire de fêter la nouvelle ? proposa le Don.

— Volontiers.

Le bonhomme sonna la domestique pour lui demander la bouteille et ces verres à liqueur ridiculement petits que les Italiens affectionnent.

Ils en prirent plusieurs à une cadence rapide. Lorsqu’ils eurent le feu aux joues, Adolf demanda à son interlocuteur s’il connaissait les Judas de la « Famille ».

— Je sais qui est le meneur, affirma-t-il.

— En ce cas je le mettrai à la raison.

— Il s’agit d’un coriace !

— La chasse n’en sera que plus intéressante, répondit l’Autrichien. Vous voulez me donner les coordonnées de cet homme ? Il faudrait également que vous me parliez de ses habitudes. Plus j’en saurai sur son compte, mieux je pourrai l’atteindre.

Il fit subir au Parrain un interrogatoire détaillé auquel Vicino répondit de son mieux.

Quand Hitler eut rassemblé la documentation qu’il souhaitait il questionna :

— Au cours de cette réunion générale, ce type se trouvait sous votre toit et vous ne lui avez pas parlé de sa traîtrise ?

— Non, fit Gian Franco ; il faut toujours laisser Judas en tête à tête avec lui-même car il ne mérite pas d’autre interlocuteur.

— Jusqu’à ce jour vous le croyiez loyal ?

— Il l’était parce qu’il devait gravir des échelons. Et puis l’individu s’épanouit, il prend du ventre, ce qui lui cache sa queue, et il se met à rêver de puissance.

Le Parrain fît signe à Adolf d’emplir une fois encore les minuscules verres.

— Toi, reprit le malade, quand tes dents se mettront à pousser, je serai sous terre, ce qui t’évitera de me trahir.

Comme l’Autrichien allait protester, il le fît taire d’un geste.

— Ne t’indigne pas, mon garçon. Tout le monde berne tout le monde. J’ai doublé des gens qui en avaient vendu d’autres. L’essentiel est d’apercevoir la mauvaise herbe à temps et de l’arracher. Le présent nous unit et je n’ai plus d’avenir, nous pouvons donc, sans arrière-pensées, profiter de notre amitié. Là-dessus, je vais demander à la cuisine qu’on me prépare un potage de fines pâtes et, quand je l’aurai avalé, j’irai me coucher. Peut-être essayerai-je de lire quelques pages des Évangiles. Non que je croie à ces belles aventures, mais elles me rappellent l’époque où j’avais encore ma foi et mon pucelage intacts.

Lorsque Adolf se pencha pour l’accolade, le Parrain, du pouce, traça une croix sur son front.

48

Angelo Angeli, que Vicino considérait comme le principal ligueur des éléments attachés à sa perte, soufflait fort du nez, ainsi que ces hommes qui s’obstinent à vouloir parler en faisant l’amour. C’était un gaillard d’un mètre quatre-vingt-dix, auquel les cheveux en brosse donnaient une impression de casque romain.

Sa poitrine d’athlète forain s’accommodait mal des vestons trop ajustés par son tailleur. Depuis qu’il ne fumait plus, il mâchait en permanence des bûchettes de réglisse en oubliant de les ôter de sa bouche lorsqu’il embrassait quelqu’un.

Angeli père lui avait laissé un important négoce de vins que gérait son épouse, une petite femme à morphologie de mulot. Angelo s’occupait des affaires de la Camorra et apportait sa grande compétence à la « Cause ».

Ce géant avait pris une maîtresse, Éva, qui lui donnait beaucoup d’agrément et lui dépensait pas mal d’argent. Il s’agissait d’une superbe brune, transformée en blonde jusqu’en ses recoins les plus intimes. Elle pratiquait le yoga et le régime dissocié, portait des toilettes de chez Armani ou Versace, roulait en Alfa Roméo et possédait la collection d’éventails anciens la plus rare d’Italie.

Cette conquête coûteuse assurait la gloire d’Angelo Angeli aussi brillamment que son plaisir.

Généralement, il visitait sa vamp en fin de journée, à l’heure où la plupart des hommes retrouvent leur foyer.

Il l’honorait bruyamment, mais sans en appeler aux initiatives capiteuses qui font le charme des bons amants. Après quoi, il regardait les infos de la Rai Uno et rejoignait sa maison pour s’y gaver de la cuisine préparée par sa belle-mère, dont il avait été le « camarade de lit » avant que d’épouser sa fille.

Ce soir-là, comme tous ceux qui l’avaient précédé ou qui allaient le suivre, cette force de la nature regagna son logis avec cette satisfaction que donnent à l’homme fruste des testicules bien essorés.

Rendue neuve par son bidet aux jets nombreux, la belle Éva commença à sortir la tenue qu’elle comptait mettre pour passer la soirée avec un ami égyptien plus riche que nécessaire. Elle opta pour une robe de soie abricot et un boléro de renard roux, les étala sur son couvre-lit encore chiffonné et s’installa à sa coiffeuse afin de se peindre en guerre.

À peine venait-elle d’entreprendre cet ouvrage d’art que l’on sonna copieusement.

Déconcertée par cette visite, elle passa une robe de chambre avant d’aller à la porte.