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La jeune femme habitait un ravissant appartement dans une urbanisation moderne conçue de manière à ce que chaque locataire puisse ignorer les autres. Elle actionna l’œilleton électronique et découvrit sur son large paillasson monogramme un jeune homme, habillé avec une recherche peu latine.

Elle se hâta donc d’ouvrir à cette proie en puissance et lui dédia un sourire éclatant. Adolf prétendit venir de la part d’Angelo Angeli, lequel avait oublié son porte-documents chez son amie et souhaitait le récupérer d’urgence.

La donzelle assura ne pas se rappeler que « Lolo » ait eu quelque chose à la main en arrivant.

Par acquit de conscience, elle fît des recherches qui les conduisirent dans la chambre à coucher. N’ayant rien trouvé — et pour cause — elle s’assit sur la couche tumultueuse en prenant l’une de ces poses lascives du cinéma en noir et blanc qui prédisposaient les jeunes spectateurs de l’époque à des éjaculations sans anicroches.

En grande technicienne de l’amour, elle « ensorcela » le messager par un regard lubrique et un bout de langue promené savamment sur ses lèvres entrouvertes.

Hitler se rapprocha d’elle, avec un étrange sourire. Il mit un genou sur le lit et, de la main gauche, écarta les pans du peignoir rose saumon.

— Tu as envie, petit coquin ? roucoula la brune aux cheveux d’or.

Il acquiesça, puis, d’un geste doux mais péremptoire, la fit se renverser. Elle obéit en ouvrant ses longues jambes de star au rabais.

Un court instant il la caressa. Elle gémissait déjà, comme il est recommandé aux femmes de le faire quand on les taquine à cet endroit. En fait, l’Autrichien entendait simplement ramener sur le côté le mince entrejambe de son slip. Débarrassé du puéril obstacle, il introduisit simultanément son index et son médius dans une fente qui avait connu mieux.

Sa main droite, gantée de caoutchouc, sortit de sa ceinture le revolver récupéré sur le camorriste de l’église. Il s’appliqua à engager le canon loin dans le sexe maintenant béant de miss Éva.

— Qu’est-ce que tu me fais, vaurien ?

— Du bien ! répondit-il en actionnant la détente.

Le bruit de la détonation fut atténué par la chair emprisonnant l’arme.

Hitler contempla sa victime avec curiosité. Elle avait seulement poussé un cri rauque. Sa physionomie exprimait une indicible souffrance. Adolf tira une seconde fois. Elle répéta le même cri et ne tenta pas de remuer ; sans doute ne le pouvait-elle plus.

Il voyait son visage se crisper. Elle devenait minérale, d’un blanc tirant sur le gris. Il eut à cœur de vider le chargeur entier. Une balle la traversa de part en part et se ficha dans le bois de la table de nuit.

Quand l’arme se tut, Hitler l’abandonna dans le ventre de sa victime.

La pièce sentait la poudre. Un nuage à l’odeur de chair brûlée se formait autour du cratère de son sexe.

Le garçon recula. Il vérifia sa main gantée, puis ses vêtements : pas la plus petite éclaboussure !

Il regarda longuement la fille d’un air pensif. Sans plaisir malsain, ni curiosité, comme un scientifique étudie le résultat d’une expérience. Il pensait confusément aux accouplements nocturnes de ses parents.

Sa besogne n’était point terminée.

Adolf avait décidé de frapper fort. Pour éteindre un puits de pétrole en flammes, il convient de produire un souffle d’une ampleur telle que le feu soit dompté instantanément.

Ayant soigneusement repéré les points clés de son parcours, il se rendit sans hésiter dans le quartier où s’élevaient les entrepôts d’Angeli. Ceux-ci se situaient entre quatre rues. Sur l’artère principale se trouvaient les bureaux et les services d’embouteillage, sur le côté opposé, l’habitation du concierge.

Renseignements pris, ce dernier, un veuf, ancien sous-officier de carabiniers, habitait seul, si l’on excepte la compagnie d’un énorme chien sans race définie, pratiquement aveugle et atteint d’incontinence.

Adolf se coiffa d’un képi posé à l’arrière de la voiture volée pour ce coup de main et s’en fut toquer à la fenêtre du gardien.

Les ronflements qu’il percevait à travers les volets cessèrent. Il frappa derechef. Assez rapidement, la tête hirsute du dormeur s’intégra dans un entrebâillement des persiennes.

— Il semblerait qu’un type se soit introduit dans vos entrepôts, fit l’Autrichien ; j’ai prévenu mes collègues, ils ne vont pas tarder. Ouvrez le portail, qu’on ne perde pas de temps.

L’homme fit fonctionner le système de déverrouillage du double vantail.

— Faisons vite ! intima Hitler en pénétrant dans l’entreprise.

Le concierge actionna la lumière blafarde du dépôt et s’aperçut que son visiteur n’avait de militaire qu’un képi peu identifiable.

— Mais dites, attendez voir ! s’exclama-t-il.

Ses cheveux gris et drus ressemblaient à une grosse touffe de crin. Il avait les pommettes furieusement ridées, chose surprenante, car c’est la partie du visage cédant le moins rapidement aux déprédations de l’âge.

— Attendre quoi ? questionna Adolf en lui assénant de toutes ses forces un coup de pilon de buis à la base du crâne.

Le garde s’effondra avec une instantanéité qui déconcerta le garçon. Sur les pavés de la vaste cour, il paraissait minuscule.

Malgré la nuque brisée, l’agresseur fit bonne mesure en continuant de le frapper. Hitler opérait avec une minutie, de manière à ce que son travail ne le souille point.

Certain que le concierge était mort, il pénétra dans l’entrepôt et, partant du fond, actionna les vannes de vidange des cuves. Bientôt d’enivrantes senteurs lui prirent la tête. Il s’obstina à libérer le chianti contenu dans les immenses citernes, se félicitant d’avoir chaussé des bottes de caoutchouc pour le second volet de sa mission, car il pataugeait dans le vin.

Il ne quitta les lieux qu’après avoir fait dégorger le dernier récipient.

Sa nuit fut longue. Il se défit de sa deuxième tenue pour enfiler un jean et un blouson de toile. Il ne lui restait qu’à rouler jusqu’à Castellobella où Angelo possédait une aimable maison de famille au milieu des vignes.

Il y bouta le feu.

Le lendemain, il apprit par les médias que la mère Angeli y habitait et avait brûlé dans l’incendie.

49

Elle percevait un fort ramage d’oiseaux lui rappelant les fins de jour, en été, lorsque les arbres se chargent de ces fruits ailés que la pénombre rassemble. Maria ignorait où elle se trouvait. Elle était terrassée par un sommeil pesant, lequel essayait de l’entraîner dans d’insondables profondeurs. Elle fut tentée d’y plonger. Il lui aurait suffi de fermer les yeux et de s’abandonner à cette langueur béate. Pourtant, un début de volonté lui enjoignait de lutter, de ne pas céder à la doucereuse tentation des renoncements extrêmes.

Elle se sentait parfaitement elle-même, mais privée de toute connexion. Elle surgissait lentement au sein d’un univers inconnu, naïade sortant de l’onde dans un bond vertical. Chose étrange : au lieu de l’angoisser, ce grand vide lui procurait une impression de bien-être infini.

Un glissement. Une femme vêtue de blanc vint planer au-dessus d’elle, la scruta, lui caressa le front et émit quelques sons. Deux silhouettes d’homme s’inscrivirent de part et d’autre de sa personne.

Elle éprouva une confuse sensation de « déjà-vu ». Ces êtres proféraient des mots puisque leurs lèvres remuaient, mais elle ne comprenait pas ce qu’ils disaient.

Ces présences troublèrent sa félicité et elle ferma les yeux.

Son message fut perçu car, lorsqu’elle laissa de nouveau errer son regard, les trois visiteurs n’étaient plus auprès d’elle. Elle ressentit du soulagement.