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Il se retira en dissimulant le Dragon sous sa veste.

Ayant gagné sa chambre d’hôtel, il s’y enferma et entreprit de désencadrer la gravure. Il constata alors qu’il s’agissait d’une simple carte postale grand format. Quelques lignes figuraient à l’emplacement réservé à la correspondance. On les avait écrites en polonais, langue qu’ignorait le jeune homme. L’adresse portait comme libellé : Artur Sowa — SAVIANO — Italia.

Perplexe devant ces mots qu’il ne pouvait comprendre, l’Autrichien réfléchit.

L’idée lui vint de téléphoner à l’ambassade de Pologne à Rome. Il fut en ligne avec plusieurs interlocuteurs avant d’obtenir quelqu’un parlant polonais. Lorsqu’il l’eut trouvé, il dit être journaliste et avoir besoin d’une traduction de quelques lignes concernant un fait divers. Il épela les mots tracés sur la carte pour qu’ils fussent clairs. La personne en ligne les déchiffra au fur et à mesure :

Comme vous le voyez au dos, le Dragon est arrivé à destination. Il vous remercie et moi je vous bénis.

Apparemment, ce message ne signifiait pas grand-chose, il lui accorda cependant beaucoup d’importance.

Il resta plus d’une heure allongé sur son lit, entièrement vêtu, les bras en guise d’oreiller. Une foule de réflexions l’assaillaient, qu’il accueillait avec sang-froid.

Par instants, il éprouvait le besoin de faire une pause afin de stimuler ses impressions.

Après cette méditation baignant dans ce que les photographes nomment « un flou artistique », le garçon se leva, se recoiffa et gagna la mairie de Saviano.

Comme dans la plupart des petites communes, celle-ci n’ouvrait pas en continu, mais seulement trois fois la semaine et encore à des heures fantaisistes. Par grande chance, sa visite s’inscrivait dans l’un de ces créneaux.

Un sexagénaire maussade le reçut, qui savait la vie précaire et les humains peu conformes à ce que l’on pouvait espérer d’eux. Il devait se raser à regret, avait le poil dur, l’œil enfoncé et une forte moustache belliqueuse. Il portait une veste de velours côtelé sur une chemise écossaise raidie par la crasse.

Il examina le jeune homme avec défiance, ayant tendance à considérer tout étranger en ennemi réel ou potentiel.

Cet être peu altruiste attendit que son visiteur parle. La cigarette pratiquait une brèche rousse dans l’impétueuse moustache grise.

— Vous êtes le sindaco demanda Adolf.

Le vieux bonhomme acquiesça sans joie, comme s’il regrettait sa charge municipale.

— Je suis clerc de notaire à Vienne, Autriche, je cherche des renseignements concernant deux militaires allemands qui ont séjourné à Saviano en 1945. Cela vous dit quelque chose, monsieur le maire ?

Le premier magistrat de la commune explora sa mémoire.

— Évidemment, vous deviez être très jeune à l’époque ? ajouta Hitler.

— J’avais vingt ans, soupira l’homme.

— Donc vous étiez déjà adulte. Vous vous rappelez ces hommes ?

Son interlocuteur acquiesça.

— Nous ne savions pas qu’il s’agissait d’Allemands ; ils se prétendaient polonais.

— L’un d’eux l’était en effet.

— Je vois duquel vous parlez. Il était prêtre.

Le garçon sursauta :

— Vous en êtes certain ?

— Il se rendait à la messe tous les matins, souvent d’ailleurs il la concélébrait.

— Et son compagnon ?

— Lui sortait peu : il paraissait malade et portait toujours un pansement au front ; il se déplaçait difficilement avec une canne.

— Où logeaient-ils ?

— Chez un certain Sowa, également d’origine polonaise. Il habitait une petite maison, non loin d’ici ; il y exerçait le métier de cordonnier. Il était estropié d’une jambe, ou avait un pied bot, je ne me souviens plus. Il louait la masure à Anselmo Curatti, le minotier de Mondali qui l’avait habitée un temps avant de faire fortune pendant la guerre.

— Très intéressant, monsieur le maire, fît Adolf avec chaleur. D’autres sont venus vous questionner à propos de ces gens ?

— Oui, il paraît. Je me trouvais à l’hôpital pour une saleté de phlébite. Mon adjoint les a reçus. Seulement, il a tout juste trente ans et n’a rien pu leur dire.

L’Autrichien fut satisfait de la nouvelle.

— Vous n’êtes pas en mesure de préciser le temps que les deux hommes ont passé à Saviano ?

Le sindaco haussa les épaules.

— À l’époque, je travaillais à Naples et je baisais toutes les femmes qui passaient à moins de dix mètres de moi ; alors vos Polaks, vous pensez !

51

Le Parrain avait à cœur de toujours offrir une monumentale couronne aux funérailles de ses victimes. Celle qui précédait le char funèbre de la mère d’Angelo Angeli devait être portée par deux hommes. On lisait, en lettres d’or sur ruban bleu :

À une mère irremplaçable.
G.F. VICINO

Le camorriste Angeli marchait derrière le convoi, soutenu par son beau-frère. Il ne chancelait pas pour apitoyer la galerie, mais parce que, du jour au lendemain, il se retrouvait sans maman, sans maîtresse, sans gardien et sans stocks. Un pareil faisceau de calamités survenues en l’espace d’une nuit, faisait de lui une sorte de paria, de maudit. Certaines gazettes glosaient sur le meurtre hors série de la belle Éva. Un quotidien du matin publiait la photo d’un pauvre hère en train de laper le vin à même le trottoir, devant les entrepôts. Un autre prophétisait le très proche départ d’Angelo pour une contrée qui lui serait moins inhospitalière.

Médusée, la ville regardait défiler l’enterrement en se signant, non pas pour saluer la dépouille d’une chrétienne, mais pour conjurer le mauvais sort s’attachant à pareils événements. Les gens du cortège restaient silencieux, conscients de traverser à gué une passe dangereuse. On connaissait la détermination du Don, mais son long séjour en prison avait quelque peu écorné sa légende. Une riposte à ce point terrifiante pétrifiait tous ceux qui, de près ou de loin, vivaient de la Camorra.

La partie religieuse se déroula à un rythme rapide. Le chanoine présidant aux destinées de la paroisse avait dépêché un jeune clerc de l’église, empêtré dans ses oraisons.

Ce fut au cimetière que « la surprise » se produisit. Au moment de la bénédiction du cercueil opulent, il s’opéra un certain remue-ménage ; les assistants s’écartèrent comme la terre sous la puissance du soc et Gian Franco Vicino apparut, flanqué de sa garde prétorienne. Contrairement à la coutume, il ne portait pas de vêtements noirs, mais un costume gris clair à fines rayures marine et n’avait ni chapeau, ni cache-col.

Il s’avança d’un pas ferme jusqu’à la bière, s’inclina et, nanti du goupillon de service, l’aspergea copieusement. Après quoi, il se dirigea vers Angeli et l’étreignit.

— Quelle tristesse, Angelo ! fit-il à la cantonade. Que le Seigneur tout-puissant apporte le calme dans ton cœur et ton esprit. Je voudrais te dire à quel point je me sens près de toi dans l’épreuve. Laisse toute amertume et va en paix.

Sa voix grave et pénétrée impressionna si fortement l’auditoire que la plupart des assistants se signèrent. Certains eurent la larme à l’œil.

Hitler suivait la cérémonie à distance, perdu parmi les mausolées baroques. Il réagissait à ces lieux grandiloquents auxquels il n’était pas habitué, si loin des cimetières de chez lui. L’air léger lui apportait les paroles de Vicino et il ne pouvait qu’admirer l’aisance du Parrain. Un virtuose à sa manière.