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Non seulement le chef de la Camorra ne chercha pas à le faire changer d’idée, mais trouva cette décision opportune.

Ils s’étreignirent fortement, sachant parfaitement qu’ils ne se reverraient jamais.

CRACOVIE

54

L’avion à hélices de Crossair atterrit à l’heure prévue malgré le fort vent contraire qu’il avait affronté pendant la seconde moitié du voyage.

L’aéroport de Cracovie ne pouvait accueillir de Jets à réaction ce qui, pour les habitués des vols longue distance, lui donnait un vague d’aspect aéro-club.

En fond de piste, des appareils militaires au rancart paraissaient avoir abdiqué toute velléité de reprendre les airs un jour et commençaient à rouiller sous leur peinture gris-bleu.

— Nous voici à pied d’œuvre, fît Hitler à sa compagne.

Avant de quitter Naples, il avait vendu le fringant cabriolet Mercedes offert par le Parrain, et fait aménager son passeport car on lui avait assuré qu’il se ferait lyncher en Pologne avec un tel patronyme. Le bricolage du document n’avait pas nécessité un travail important, Adolf Hitler était devenu, à peu de frais, Rodolf Hiller. Un jeu d’enfant pour le faussaire chevronné auteur de la falsification.

L’avion se rangea entre deux appareils. Malgré la proximité de l’aérogare, un bus y conduisit les passagers. Il faisait doux. Le vent soufflait en brèves rafales, malaxant les oiseaux et les feuilles mortes loin de la piste, là où des boqueteaux de bouleaux blancs assouplissaient la rectitude de l’horizon.

Des policiers jeunes et rogues contrôlaient les passeports. L’un d’eux étudia celui d’Adolf et le lui rendit d’un geste mécanique.

Dans la salle d’arrivée, aux dimensions modestes, un individu blond et massif brandissait une pancarte portant son nom d’emprunt. Il s’agissait du taxi dépêché par l’hôtel. Les grands yeux clairs du chauffeur, dénués d’expression, erraient sur les gens sans paraître les voir. Le couple s’avança. L’homme salua. Comme Adolf et Johanna lui tendaient la main, il baisa cérémonieusement celle de la jeune fille ; après quoi il s’occupa de leurs bagages : une valise et un sac à roulettes. Hormis quelques mots d’anglais, il ne parlait que sa langue, limitant ainsi la conversation pendant le trajet.

Hitler avait retenu une suite à l’hôtel Francuski. Son guide de voyage le donnait pour un établissement de charme à l’atmosphère « vieille Europe ». Il s’en dégageait une ambiance mélancolique de bon ton. L’architecture intérieure, le papier tapissant les murs et le mobilier, appartenaient à une époque depuis longtemps révolue, sans pour autant être fanés. L’ensemble était sombre et figé, le personnel rare et discret, le silence rigoureux, la lumière tamisée.

— Comment trouves-tu ? demanda Adolf à Johanna.

— D’une gaieté exubérante, plaisanta-t-elle ; toutes les conditions semblent réunies pour que nous fassions l’amour.

Et elle se jeta à son cou. Elle savait qu’il aimait la prendre en soudard, debout contre un mur ou bien à genoux sur le plancher. Il éprouvait un plaisir sadique à lui arracher sa culotte ; elle en achetait à profusion, pressentant qu’elles ne pourraient servir qu’une seule fois.

Afin de marquer leur arrivée, il lui offrit une variante, consistant à réaliser l’arbre fourchu. Pour commencer, il se délecta de sa chatte béante, puis la pénétra jusqu’à ce que la mort exquise s’ensuive. S’il cédait volontiers à la fureur sexuelle, la période qui succédait le laissait dans un état d’amertume et de désarroi long à surmonter. Il feignait l’anéantissement du mâle repu pour ne pas avoir à s’en expliquer, préférant passer pour un mufle plutôt que de céder aux niaises roucoulades des amants comblés. Dans l’amour, il n’appréciait véritablement que l’acte, à condition que sa partenaire y déployât une fougue savante ou, pour le moins, inspirée.

Lorsqu’ils se levèrent, le jour déclinait. La morosité guindée des lieux accentuait l’espèce de vague détresse d’Hitler. « Sensation de fin du monde », estima-t-il.

Ils commencèrent par le commencement : en faisant la traditionnelle visite à « Stare Miasto », le vieux quartier en forme d’incisive, planté dans la ville et cerné d’arbres. L’immense place Rynek Glowny en représente tout à la fois le cœur, le cerveau et le poumon. Un vaste bâtiment, appelé la halle aux draps en occupe le centre ; il abrite une quarantaine de petites boutiques vendant des tissus brodés, des objets souvenirs, religieux et païens, allant du Christ « intime » aux chandeliers à neuf branches, du dragon de Cracovie aux poupées folkloriques, des bijoux d’ambre montés sur argent aux jeux d’échecs en marbre et aux sacs en cuir puant encore la tannerie.

Johanna et Adolf firent « du tourisme d’autocars » avec un puéril plaisir. Hitler chargeait de présents irréfléchis les bras de sa maîtresse rougissante de plaisir.

Ils quittèrent cette caverne d’Ali Baba au rabais, pour se précipiter dans l’un des nombreux cafés cernant la place, y burent de la bière en grignotant des petits pains torsadés, aux graines de pavot.

Ce moment consacré à la découverte de la ville pleine d’intérêt avait détourné l’Autrichien de son spleen et affûté son instinct de chasseur. Il contemplait la place, à travers les vitres de l’établissement et songeait : « Il y a plus de quarante ans, deux hommes sont probablement arrivés ici, lestés de documents, qui, aujourd’hui, mettent l’État d’Israël en transe. Je dois découvrir leur trace. » Les deux fuyards devaient être morts à cet instant. Sinon, quel pouvait être leur âge ? Quatre-vingt-dix ans au moins ? Sans relâche, Adolf pensait à eux, au point que Karl Hubber et Frantz Morawsky lui devenaient familiers. Le Polonais était prêtre. Il semblait étrange qu’il se fût trouvé dans le bunker au moment de l’assaut final. Il flairait là-dessous un mystère de grand style.

— Je suppose que tu songes à ta mission ? fit la jeune fille avec un sourire indulgent.

— Il est temps de s’y consacrer, répondit Adolf.

Elle l’admit d’un hochement de tête.

— Dire que nous sommes ici à cause d’une simple carte postale, reprit-elle.

— C’est l’unique indice en notre possession ! Elle rêvassa un peu et proposa :

— Si nous allions jeter un œil à ce fichu dragon ?

Ils choisirent un landau tiré par un cheval panard, en stationnement sur la place. Le cocher, coiffé d’un chapeau melon et ganté de mitaines, se montra d’une affabilité débordante.

Adolf lui soumit la gravure du dragon imprimée sur le guide et le vieil homme fît claquer son fouet.

Ils ne tardèrent pas à atteindre Wawel, formidable ensemble architectural dressé sur un rocher au bord de la Vistule.

Le monstre de métal paraissait garder l’entrée d’une grotte. Il n’impressionnait pas, malgré son gigantisme, car quelque chose de dérisoire émanait de cet amas de ferraille. Hitler préférait le dragon de la gravure prélevée sur le mur de l’institutrice à Saviano ; il le trouvait bucolique, alors que celui-là n’était que laideur et évoquait un squelette de dinosaure stylisé. Des touristes le photographiaient sous tous les angles et des gamins se juchaient sur son socle.

Le guide contait la légende de l’animal fabuleux, gros consommateur de moutons et de bergères. Un prince avait promis sa fille et la moitié de son royaume à qui l’anéantirait. Tous les postulants furent dévorés, à l’exception d’un petit savetier, lequel dépeça une brebis, emplit sa peau de soufre et l’exposa devant la grotte. L’horrible bête ne fit qu’une bouchée du leurre et en mourut.