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Ils ne s’attardèrent point devant la statue ridicule et Adolf enjoignit au cocher de les ramener à leur point de départ.

La Vistule, verte et dolente, semblait immobile sous les nuages qui s’y miraient.

— Tu as l’air inquiet, déplora Johanna, toute à son allégresse amoureuse.

Il acquiesça.

— J’ai une sorte d’angoisse ; je pressens je ne sais quoi de néfaste, fit-il sourdement.

Ces paroles alarmèrent la jeune Allemande.

— Tu as souvent des prémonitions ?

— Cela m’arrive. Curieux phénomène. Lorsque tu fais vérifier ta vue, on te demande de lire à distance des caractères sur un tableau. Parvenu aux lignes du bas, c’est tout juste si tu les discernes. Tu es certain de quelques lettres et tu devines pratiquement les autres. J’éprouve une sensation identique en essayant d’interpréter mes bouffées de présages.

Il réfléchit et ajouta :

— Une impression de mort domine. Johanna fit la grimace.

— Tu n’es pas réjouissant…

Le cheval traînait les pieds, en s’ébrouant parfois, comme si cette journée l’avait épuisé. De temps à autre, le cocher annonçait le nom d’une église ou d’un bâtiment public dont ses passagers n’avaient cure. Hitler trouvait absurde ce mode de locomotion à notre époque : plaisir ingénu pour étranger en quête de dépaysement à bon compte.

Soudain, il sortit de l’étui son appareil téléphonique portable.

Contre toute attente on décrocha ; il reconnut la voix dolente de Frau Mullener, la femme de ménage de sa grand-mère.

Dès qu’il se nomma, la domestique éclata en sanglots et lui apprit que Mutti se mourait. Depuis deux jours, elle traversait une période comateuse entrecoupée de brefs retours à la réalité, au cours desquels elle réclamait son petit-fils.

— Hâtez-vous de rentrer si vous voulez la revoir ! Lui recommanda-t-elle ; ça n’est plus qu’une question d’heures, d’après le docteur.

Adolf assura qu’il allait faire son possible pour recueillir le dernier soupir de l’aïeule et coupa le contact.

— Ta grand-mère ? demanda timidement Johanna.

Le garçon en convint.

Sa compagne lui saisit la main ; leurs doigts s’entrelacèrent.

— Tu as beaucoup de peine ?

— Je l’ignore, fit-il ; je vais voir…

— Tu rentres à Vienne ?

Il ne répondit pas.

L’attelage débouchait sur le Rynek Glowny au moment où s’achevait quelque office en l’église Mariacki. Une hémorragie de fidèles s’étalait autour du formidable bâtiment de briques sommé d’un clocher vertigineux. Le haut de celui-ci se couronnait de petites constructions moyenâgeuses aux toits pointus.

Hitler leva les yeux sur elles et déplora de ne pas habiter l’un de ces nids de corbeaux depuis lesquels les siècles contemplaient la ville. Il imaginait la vieille Mutti dans son lit, abandonnée sur les rivages de la mort. Son long destin de brave femme s’achevait.

Un début de torticolis courba sa tête.

— Je n’irai pas, fit-il d’un ton farouche ; j’arriverais trop tard.

Johanna ne lui montra rien de ses sentiments. Elle déclara seulement :

— En ce cas, je pars te remplacer, Adolf.

55

Depuis leur chambre, ils établirent l’itinéraire du voyage. Johanna prendrait deux heures plus tard l’avion pour Varsovie. Elle y passerait la nuit pour s’envoler, le lendemain matin, à destination de Vienne avec Austrian Airlines.

Il l’escorta à l’aéroport où ils venaient de débarquer. Un sentiment de reconnaissance lui chauffait l’âme.

Devant le tunnel de contrôle destiné aux bagages, il l’étreignit avec violence.

— Merci du fond du cœur, murmura-t-il. Fasse le ciel que je t’aime toujours autant qu’à cet instant.

Ces paroles la surprirent et l’inquiétèrent. Elle réalisa la fragilité de leurs liens.

Avant de passer la porte de la salle d’embarquement, elle se retourna et lui adressa un geste qu’il devait estimer pathétique, par la suite.

De retour au Francuski, il se fit monter un sandwich et de la vodka, mit son pyjama et entreprit de rêvasser, le dos au montant du lit. La chambre comprenait deux couches jumelles. Adolf choisit celle de leur étreinte pour y chercher l’odeur de Johanna, mais il ne respira que des exhalaisons de tabac froid.

La silhouette de Mutti s’estompait déjà dans son esprit. Elle appartenait à ces gens faciles à oublier pour un homme peu enclin à la sensiblerie. C’avait été une bonne grosse grand-mère dont la tendresse se mâtinait d’égoïsme. Les joies du confort et de la table lui avaient tenu lieu de bonheur. Adolf se convainquait aisément que sa fin s’opérait dans le même moelleux que sa vie.

Il s’endormit brusquement avec la lumière, accablé par une fatigue épaisse.

Contrairement à la plupart des palaces, l’hôtel stagnait dans une paix feutrée. Le personnel savait s’activer en silence et les mille sonneries de ce genre d’endroit n’étaient pas perceptibles des chambres.

Hitler eut un réveil empâté, comme celui succédant à des libations tardives ; pourtant il avait à peine entamé son carafon de vodka qui baignait dans l’eau des glaçons fondus.

Il éteignit la lampe, mit l’oreiller sur sa tête et repartit dans un sommeil plein de lâcheté, lui permettant de fuir le trépas de Mutti. Il dormit quelques heures encore, prit une douche et commanda du café. Il appréciait de flemmarder en peignoir-éponge, le corps humide. Ayant ouvert les rideaux, il constata que ses fenêtres donnaient sur une cour plutôt lépreuse et désertée par les chats eux-mêmes.

D’après l’horaire, l’avion de Johanna était arrivé à Vienne depuis longtemps.

Il s’empara de son portable et composa le numéro de la grand-mère, le cœur battant. Frau Mullener lui répondit de sa même voix dolente.

— Alors ? questionna Adolf après s’être nommé.

— C’est toujours pareil, fit l’ancillaire ; pourtant il semblerait qu’il y ait un léger mieux.

— Vous pouvez me passer Mlle Heineman ?

— Qui ça ?

— La jeune fille qui vient d’arriver chez Mutti.

— Personne n’est venu !

— Son avion aura eu du retard, il s’agit de ma fiancée : elle ne va plus tarder. Dites-lui qu’elle m’appelle sur mon téléphone privé sitôt qu’elle sera là.

Il s’habilla et sortit. Le temps avait changé. Il faisait gris et venteux, une bruine imperceptible mouillait les trottoirs.

Le jeune homme se félicita d’avoir endossé son trench-coat. Il se dirigea à grandes enjambées vers la place Rynek Glowny ; l’endroit exerçait un véritable magnétisme sur les habitants de la ville, principalement sur la jeunesse estudiantine dont Adolf appréciait la pondération. Il trouvait les filles agréables et les garçons sympathiques. Les unes et les autres appartenaient à une époque révolue. Cette génération ne paraissait pas marquée par la guerre, non plus que par les occupations germano-russes. Un sang neuf guérissait la Pologne de ses plaies.

Il s’arrêta devant une librairie, cherchant des ouvrages en allemand dans la profusion de publications.

Comme il inspectait la vitrine, il tiqua en apercevant dans les reflets la silhouette d’un individu occupé à le photographier. Il fit une volte qui mit en fuite un homme habillé d’une canadienne et coiffé d’une casquette. Le personnage était affublé de lunettes aux verres teintés. Hitler n’eut pas la présence d’esprit de courir après lui. Quand il s’y décida, le photographe venait de s’engouffrer à bord d’une Polonez et se fondait dans la circulation.