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L’incident incommoda l’Autrichien. À compter de cet instant, il crut voir partout des « anges gardiens ». Tous ces gens qui badaient lui firent l’effet d’espions à ses trousses.

Il reprit sa promenade, essayant de définir s’il était réellement suivi ou victime d’autosuggestion.

Généralement son calme ne l’abandonnait pas et il ignorait la peur. Mais ce jour-là, il se sentait menacé. À croire que la mort imminente de Mutti le fragilisait.

Il pénétra à l’intérieur de l’église Mariacki, vaste sanctuaire gothique tout en longueur, s’assit sur l’un de ses interminables bancs perpendiculaires à l’autel et surveilla la porte.

Chaque arrivant le faisait tressaillir, Adolf l’observait avec acuité, mais aucun ne paraissait s’intéresser à lui,

Le temps passait dans un ronron de prières. Un nouvel office succéda à celui qui venait de se terminer. Ici, les messes semblaient montées sur boucle. Il finit par s’évacuer pendant une élévation alors que les fidèles s’abîmaient en oraisons.

Le soleil s’était remis à briller. Les pavés séchés accueillaient de vieux musiciens en costume chamarré. Un accordéoniste, un violoniste, un clarinettiste et un joueur d’harmonica. Des têtes de grands-pères bienveillants. Depuis combien d’années leur quatuor existait-il ? Il s’attarda à les contempler, puis jeta un billet de dix zlotys dans la corbeille à pain leur tenant lieu de sébile.

À cet instant, Hitler essuya l’éclair d’un flash. Il vit un objectif braqué dans sa direction.

— Qui vous permet ! apostropha Adolf, le regard flamboyant.

Il avait parlé en allemand et l’interpellée parut ne pas comprendre, mais, l’expression sauvage de son poursuivant l’effraya et elle battit en retraite. Il la pourchassa, livide de rage.

— Ouvrez votre appareil ! lui cria-t-il, en anglais cette fois.

La femme se mit à courir gauchement. Il allait la rattraper lorsqu’il vit deux policiers en conversation à cinquante mètres de là. La fille se dirigeait vers eux. Hitler renonça aussitôt à la courser et obliqua vers la galerie marchande. Frustré et indécis, il n’était plus tellement convaincu qu’elle l’avait photographié. Il parcourut la longueur du passage, ressortit sur la place et monta dans un taxi.

— Où allons-nous ? interrogea le conducteur en polonais.

— À l’évêché, répondit l’Autrichien qui avait deviné la question.

L’autre ne réalisant pas, il dessina une mitre épiscopale sur un feuillet de son carnet. Puis, son interlocuteur ne saisissant toujours pas, il adjoignit une crosse à la coiffure. Cette fois, le chauffeur hocha la tête et démarra ; la course fut brève. Elle les amena devant un immeuble ancien aux fenêtres défendues par des barreaux.

Adolf alla sonner à une porte rébarbative, ornée de clous.

Au bout d’un temps qui lui parut interminable, un prêtre chenu, à la calvitie rosissante, lui ouvrit.

Le garçon s’inclina avec dévotion.

— Parlez-vous l’allemand, mon père ? questionna-t-il.

Le vieil ecclésiastique opina.

— Dieu soit loué, murmura Hitler. Mon nom est Rodolf Hiller. Je suis en quête d’un prêtre polonais déporté en Allemagne pendant la guerre. Il a réussi à fuir le Reich, au moment de l’effondrement du nazisme, pour se réfugier en Italie, dans la région de Naples. D’après les renseignements que j’ai rassemblés, il serait rentré en Pologne quelques mois plus tard, accompagné d’un soldat de la Wehrmacht. Je pense que ces éléments devraient suffire pour trouver la trace de ce saint homme s’il est toujours vivant. Son nom est Frantz Morawsky, celui de son compagnon de route Karl Hubber.

Le vieillard écoutait, le visage fermé. Lorsque le visiteur se tut, il demanda :

— Pourquoi recherchez-vous ce religieux, monsieur Hiller ?

— Les deux hommes ont quitté l’Allemagne en emportant des documents dont j’ignore la teneur ; je leur soupçonne une importance historique. Le fait que plus de quarante années aient passé les a évidemment rendus obsolètes, mais n’altère pas leur intérêt.

Le prêtre hésita brièvement, puis laissa pénétrer l’étranger.

— Suivez-moi !

Hitler lui emboîta le pas dans un couloir aux voûtes sonores. Son guide le conduisit jusqu’à une vaste bibliothèque reluisante d’encaustique. Les fenêtres basses donnaient sur un jardin où abondaient les massifs de buis. On apercevait une chapelle éclairée après l’espace vert.

Son mentor lui désigna un siège curule décoré d’incrustations de nacre. Évitant de prendre place dans ce fauteuil, Adolf préféra admirer les ouvrages garnissant les rayons, ainsi que des tableaux religieux rehaussés de dorures.

Une sorte de léthargie solennelle donnait à ce lieu une paix morose. Quelque part, une cloche aigrelette tinta.

Enfin, la porte s’ouvrit et un chanoine corpulent, aux mentons en cascade, fit une entrée majestueuse. Il avait les yeux vairons et des touffes de barbe croissaient de façon anarchique sur ses bajoues. Il fut surpris de se trouver en présence d’un individu si jeune.

— Bonjour ! fit-il en allemand ; le père Nieztezic me dit que vous avez besoin d’informations ?

Son regard anormal et sa respiration bruyante incommodèrent l’Autrichien, cependant il dut reconnaître que l’arrivant était plutôt sympathique.

Hitler se fit le plus aimable possible et recommença sa petite histoire d’une voix honnête. L’homme d’Église l’écouta avec bienveillance, les mains croisées sur la panse.

Quand Adolf eut terminé son récit, le chanoine paraissait dodeliner, comme pris de sommeil. Pourtant, il demanda :

— Vous dites ne pas avoir la moindre idée de ce que contenait le bagage de ces gens ?

— En effet.

— Comment se fait-il que vous vous intéressiez à quelque chose dont vous ne savez rien ?

« Ah ! songea l’Autrichien avec humeur. « Ils » font du prosélytisme, tout en se barricadant derrière la logique ! » Il répondit au chanoine :

— Je présume seulement qu’il s’agissait d’une découverte utile à la guerre. Karl Hubber, le compagnon du père Morawsky, se l’était appropriée, j’ignore comment ni avec quelles intentions ; probablement était-il trop tard pour que le Reich en déconfiture puisse tirer parti de la chose. Mon sentiment est que la pseudo-trouvaille gît oubliée dans quelque recoin d’Italie ou de Pologne.

Adolf venait de parler spontanément, poussé par cet instinct l’amenant à proférer des idées qu’il n’avait même pas envisagées une seconde plus tôt. Cela ressemblait à une évidence informulée jaillie en trombe de son subconscient.

Le dodu personnage avait la lèvre gobeuse et constamment humide.

— Et en ce qui vous concerne ? questionna-t-il.

— Oui, monseigneur ?

— Qu’est-ce qui vous induit à rechercher cette invention conçue bien avant vous ?

— Je dois présenter une thèse à l’université de Vienne d’où je suis originaire. Informé incidemment de cette affaire, il m’a semblé intéressant de m’y consacrer.

Son sourire clair, ses yeux lumineux plaidaient en sa faveur.

Le gros chanoine avait les ailes du nez emperlées de sueur. Il s’épongea le front avec un mouchoir de papier.

— Votre projet ne manque pas d’intérêt, convint-il ; je suis prêt à vous aider dans la mesure de mes possibilités.

Il désigna un pupitre.

— Écrivez le maximum de renseignements en votre possession et je demanderai à notre secrétariat de se livrer à des recherches. À la condition, naturellement, que notre vénéré évêque n’y soit point hostile.

— Je ne sais comment vous exprimer ma reconnaissance, monseigneur.