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— Êtes-vous catholique ? s’enquit l’homme d’Église d’un ton faussement indifférent.

— De tout mon être ! affirma Hitler vibrant de piété.

Emporté par une poussée de dévotion, il se jeta aux pieds de son interlocuteur qui le gratifia aussitôt d’une bénédiction à l’emporte-pièce, dont Adolf parut rasséréné.

Lorsqu’il se fut relevé, son bénisseur l’enveloppa de sa magnanimité,

— J’espère vous être utile, mon cher jeune homme. Pouvez-vous me rappeler dans quelques jours, je suis le chanoine Levanieski.

— Si le Seigneur m’a conduit à votre porte, c’est bien parce qu’il savait que vous me tendriez une main secourable, lui répondit Adolf.

Et il sortit à reculons.

56

Il dîna d’un potage aux choux et de côtelettes de porc. Comme il adorait la vodka, le maître d’hôtel lui apporta une bouteille de Cracovia Suprême.

L’alcool lui plut particulièrement. Contrairement aux Slaves, il ne l’ingurgitait pas d’un formidable coup de glotte, mais le conservait en bouche, comme on le fait d’un vin pour mieux en imprégner ses papilles. Il aimait cette brûlure parfumée, fouettant son corps de la gorge à l’estomac.

Un verre supplémentaire lui tint lieu de dessert. Quand il eut réglé sa note, il saisit son téléphone, penaud de l’avoir oublié pendant plusieurs heures. La sempiternelle voix pleurnicharde de Frau Mullener semblait l’attendre. En jérémiades détrempées, elle lui annonça que Mutti commençait son agonie.

— Passez-moi Mlle Heineman, l’interrompit Adolf.

La vieillarde ulula une protestation :

— Mais je vous ai déjà dit qu’elle n’est pas venue, monsieur Adolf !

Hitler reçut la nouvelle de plein fouet.

— Elle ne vous a pas prévenue ?

— Rien !

— Je vais me renseigner, coupa-t-il pour ne plus entendre la pécore.

Brusquement il était alarmé. Le retard de Johanna ne l’avait pas inquiété jusqu’alors et voilà que soudain il devenait catastrophique,

Il tenta de l’appeler dans sa confortable maison munichoise. La sonnerie retentit longuement, mais personne ne répondit. La communication fut déviée sur le signal « occupé », mettant fin à son ultime espoir.

NAPLES

57

L’avant-veille…

Brisé par le chagrin, le Commendatore ne bougeait plus de son vieux logement à l’abandon. Quand la faim le prenait (un besoin purement animal), il ouvrait une boîte de raviolis ou de lasagnes à la tomate et la consommait sans passer par le truchement d’une assiette, à même le fer-blanc.

Se persuadant que son ami d’enfance l’avait condamné, il attendait, sans peur et sans regrets, la balle qui terminerait sa durée. Peu d’hommes se sentaient aussi disposés à mourir. Il abandonnait sa vie comme on jette bas un fardeau dont on n’a plus l’énergie d’assumer le poids.

Le récipient donnait un goût métallique aux conserves froides.

Autre signe de renoncement : il bâclait sa toilette. Sa fine moustache de bellâtre cinématographique des années 30 devenait n’importe quoi. Il la taillait à la va-vite avec ses longs ciseaux, la mutilant par de faux mouvements et trop de désinvolture.

Pendant qu’il s’alimentait, il branchait la télévision, mais les images bondissantes du petit écran ne faisaient qu’accentuer sa détresse.

Ce soir-là, alors qu’il piochait miséreusement dans une boîte de gnocchis, un coup de sonnette le fit tressaillir.

« Peut-être est-ce l’heure », songea Fanutti en allant ouvrir.

Il se trouva face à un porte-flingue du Parrain, ce qui renforça son sentiment.

L’arrivant lui accorda un de ces courts saluts pleins de réserve et d’hostilité qu’il connaissait bien.

— Vous êtes seul, Commendatore ? demanda le camorriste.

— Comme je vais l’être dans ma tombe ! répondit-il. Son visiteur émit un bref sifflement entre ses dents.

— Quelqu’un veut vous voir, expliqua-t-il.

Vicino parut au tournant de l’escalier. Il portait son éternel complet noir avec une cravate perle sur une chemise blanche empesée. Un feutre gris, au large ruban sombre, évoquait les gangsters du temps de la prohibition.

Le Commendatore s’effaça pour le laisser entrer ; Don Vicino referma lui-même la porte au nez de son péon. Il fît quelques pas dans le logement et se planta devant la conserve au couvercle dressé d’où sortait une fourchette.

Il contempla la nature morte et se prit à pleurer. Elle racontait la mort de Maria, le désespoir d’Aurelio et toutes les solitudes humaines.

— Ah ! mon ami, balbutia le Parrain, mon pauvre frère d’enfance. « Il y a plus de temps que de vie », chantait ma mère !

Il s’assit sur la chaise qu’occupait naguère le Commendatore, piocha dans la nourriture froide et la mastiqua laborieusement.

— Pourquoi ne fais-tu pas chauffer ces putains de gnocchis ? demanda-t-il.

— Parce que je n’en éprouve même plus le besoin, répondit Fanutti.

Vicino remit la fourchette dans la boîte.

— Je viens t’apprendre des nouvelles pénibles, reprit-il d’une voix dure.

— À quel propos ?

— Au sujet de « notre » fille.

L’étrange pluriel lui avait échappé ; il ne releva pas ce lapsus. Comme le forain attendait des explications, il lâcha tout à trac :

— Cela fait plusieurs jours, j’ai mis des hommes spécialisés sur l’accident de Maria. Des gens de Hambourg de toute première qualité. Je n’ai pas lésiné sur leur prime. En une semaine, ils sont parvenus à débroussailler l’affaire. La voiture a été sabotée par le chauffeur de Johanna Heineman, sur sa demande. Une sacrée putain ! Elle s’est toquée de l’Autrichien et a voulu évincer la concurrence. Son plan a marché au-delà de ses espoirs.

— En es-tu certain ? coupa Fanutti.

— Le chauffeur-saboteur a avoué, ça te suffit ?

— Il est mort, naturellement ?

Le Parrain sourit :

— Tu commences à avoir de saines réactions, Aurelio. Comme quoi, il ne faut jamais désespérer !

VARSOVIE

58

Sa mère lui répétait volontiers : « Tu as l’air plus embarrassé qu’un homme possédant sept femmes ! » Pour l’instant, Alfredo Rossi ne devait s’occuper que d’une seule fille, mais elle lui posait de gros problèmes.

Avant son départ de Naples, il était allé chercher les ultimes instructions du Parrain en compagnie de Lina Esposito, l’une des rares auxiliaires féminines de la Camorra. Le Don s’était montré bref et péremptoire comme à son habitude :

« — Toi, Lina, tu suis l’Autrichien, et toi, Alfredo, l’Allemande. Il est vraisemblable qu’ils se déplaceront ensemble, cela vous facilitera les choses. S’il en va autrement, chacun s’occupera du sien. Avant de décider quoi que ce soit, appelez sur ma ligne rouge avec vos portables. »

Celle-ci devait fonctionner sans tarder puisque, le surlendemain, Gian Franco était informé que Johanna Heineman prenait un billet pour Vienne, via Varsovie.

« — Fais-en autant ! » fut la réponse.

À peine le jeune Napolitain venait-il de raccrocher que sa propre sonnerie d’appel retentissait. Le Parrain, déjà ! Il paraissait décidément de très mauvais poil car il jeta :

« — À la réflexion, empêche-la de quitter la Pologne ! »

« — Qu’est-ce que je dois en faire ? »

« — De la confiture de pute ! » lui jeta le Don avec hargne.

Les heures qui suivirent comptèrent parmi les plus sales moments vécus par Rossi. Il s’embarqua pour Varsovie, voyagea à quatre travées de sa « cliente », affolé à la pensée qu’il lui serait peut-être impossible de l’intercepter avant son vol du lendemain, La peur inspirée par Vicino lui flanquait des maux de ventre. Il passa une partie de la nuit à ourdir un rapt, mais les solutions envisagées ne le satisfaisaient pas. En outre, il se sentait terrifié à la perspective de commettre un tel délit dans un pays où des années de totalitarisme avaient laissé une forte empreinte dans les mœurs policières.