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Il prit un taxi pour se faire conduire jusqu’à ce promontoire ne ressemblant à rien. Un sentier cimenté s’enroulait autour du cône comme un ruban blanc après un pain de sucre. Il régla son billet d’entrée et attaqua la puérile ascension de ce Ventoux miniature. La montée ne tarda pas à l’essouffler. Il la gravit cependant d’une allure régulière, s’interrompant pour considérer le paysage qui se développait au-dessous de lui. Il apercevait le taxi, en bas, à l’ombre d’un boqueteau. Le conducteur en était descendu et profitait de la halte pour fumer. Derrière lui, stationnait un minibus de l’agence Orbis dont les occupants venaient d’atteindre le faîte du tumulus en poussant des cris de victoire comme s’il se fut agi de l’Annapurna.

Enfin, une troisième voiture se tenait embusquée sous les frondaisons ; Adolf distinguait une femme au volant, vêtue d’un imperméable noir, un foulard de soie bleue noué sur la tête. Il sut avec une absolue conviction qu’il s’agissait de « sa fileuse ». Une flambée de rage l’envahit.

Sans presque réfléchir il s’élança dans la pente, sur la partie opposée. Négligeant le chemin de terre battue, il dévala le monticule. Il avait l’impression que ses jambes s’enfonçaient dans son buste. Il chuta à deux reprises, eut le plus grand mal à se relever, mais se retrouva au pied du cône en un temps record. Il se défit de la terre adhérant à ses vêtements et aborda le guichetier.

Par chance, le bonhomme parlait un peu d’allemand comme beaucoup de personnes âgées. Hitler lui remit une pincée de zlotys en lui demandant d’aller régler son taxi et de conserver le reste de la somme. Le préposé, ébloui, s’empressa. Adolf sortit alors de l’enceinte en décrivant un grand arc de cercle, afin de prendre la guetteuse à revers.

Depuis son volant, elle surveillait le tumulus. Adolf se présenta côté forêt, plié en deux. Il saisit la poignée de la porte et se jeta brusquement sur le fauteuil passager.

La femme sursauta et tourna la tête vers l’intrus.

— J’espère ne pas vous avoir effrayée, dit-il en italien, je meurs d’envie de vous connaître.

Avisant une sacoche coincée entre les deux sièges avant, il s’en empara, l’ouvrit à tâtons en continuant de fixer la conductrice des yeux. Ses doigts l’explorèrent avec promptitude. Ils y découvrirent un couteau à cran d’arrêt dont la lame effilée devait mesurer une douzaine de centimètres.

— Il est dangereux de faire du tourisme dans ce pays avec un poignard en guise de poudrier.

Ayant dit, il le lança dans les taillis avoisinants.

— En route ! ordonna-t-il.

Comme la fille ne se décidait pas, il arracha le foulard qu’elle portait sur la tête. L’Autrichien fut surpris de la trouver jolie. Sa coiffure extrêmement courte la faisait ressembler à un adolescent. Cet aspect équivoque lui assurait un charme étrange, vaguement androgyne.

— Je vous ai dit de démarrer ! dit Hitler d’un ton neutre.

— Vous m’enlevez ? demanda-t-elle avec calme.

— Provisoirement.

Un sourire ironique crispait les traits de l’Autrichien. Il se pencha sur elle et chuchota :

— Démarre, sinon je t’arrache la matrice avec mes ongles. Tu ne peux pas imaginer ce dont je suis capable !

Leurs yeux se défièrent. Progressivement, ceux de la Napolitaine s’éteignirent. Une sombre résignation la contraignit à obéir.

Il jeta un regard à la jauge d’essence : le réservoir semblait pratiquement plein. Il lui recommanda de rouler à allure modérée.

Afin de l’inciter à une complète soumission, Adolf retira une épingle à chapeau plantée dans l’épaisseur de son revers.

— Voilà qui est plus efficace que ton ridicule couteau » connasse ! dit-il en appuyant la pointe de l’objet contre son flanc. Il me suffit de peser sur la boule de verre pour te transpercer le cœur. Je l’ai achetée hier, chez une vieille modiste ; c’est fou ce qu’on trouve comme objets surannés dans ce pays !

Elle conserva son calme.

Une foule de questions se pressaient dans l’esprit d’Hitler ; il les réservait pour plus tard, lorsqu’il aurait déniché un lieu adapté à un interrogatoire poussé et s’en délectait à l’avance.

« Deviendrais-je sadique ? » se demanda-t-il.

Cette supposition l’amusait, il la trouvait grandiloquente et disproportionnée.

Sadique ? Sûrement pas ; méprisant seulement. La race humaine ne l’émouvait jamais ; il la jugeait indigne, larmoyante et poltronne.

— Où allons-nous ? interrogea la fille.

« Si je le savais seulement ! » songea-t-il. Il prit un air dur et ordonna :

— Continue, je te guiderai.

Ils poursuivirent leur trajet en direction de Jaslo. Hitler tenait toujours l’épingle à chapeau pointée entre deux côtes de la conductrice. Dans les courbes, il s’inclinait vers elle et l’épingle la meurtrissait ; chaque fois, elle poussait un léger cri de douleur.

La circulation restait très fluide. Tous les véhicules semblaient vieux et épuisés. La route devint rectiligne. Elle longeait des hectares de prairies en friche au fond desquelles une succession de bâtiments, sans étage, achevait de s’écrouler dans les hautes herbes.

— Prends par le champ, en direction des ruines ! décida Adolf.

— Et si nous nous enlisons ? objecta la fille.

— Nous nous enliserons.

Une agression plus vive de l’épingle la dissuada d’argumenter. L’automobile se risqua dans les friches formées de chardons, de ronciers et de fougères. Un mouvement de terrain la rendait invisible depuis la route.

— Vous comptez me tuer ? demanda-t-elle.

— Aucune idée, répondit Adolf. Affaire de circonstances. Quand ils parvinrent aux constructions, il lui ordonna d’entrer avec la voiture dans les vestiges d’une cour intérieure.

Des oiseaux, ressemblant à des pigeons ramiers s’envolèrent à leur arrivée.

Il coupa lui-même le contact et empocha la clé.

Elle se tourna vers lui, le considérant avec attention, et remarqua :

— Vous êtes très jeune.

— Illusion, répondit-il ; je suis très vieux, au contraire !

VARSOVIE

60

Étrange détention assurée par un homme qui passait son temps à la prendre et à l’estourbir ; à l’enivrer aussi…

Rossi se rendait le matin dans la localité la plus proche. Avant de sortir, il la contraignait à absorber deux pleins verres de whisky ou de vodka. Après quoi, il la foudroyait d’un crochet au menton, à la sécheresse imparable. Quelques années auparavant il avait essayé de la boxe, sport que sa fiancée de l’époque l’avait obligé d’abandonner à cause d’une fracture du nez difficilement récupérable. Depuis, le noble art lui manquait ; il regrettait la carrière qu’il aurait pu connaître.

Il s’absentait brièvement, le temps d’effectuer quelques emplettes de première nécessité : conserves, alcools, cigarettes. Il avait du mal à vivre sans ses journaux et ses jeux télévisés. D’un naturel gourmand, il ne s’adaptait pas aux friandises polonaises. Privé de la pasta, il ne tirait aucune compensation des charcuteries de l’endroit qu’il trouvait insipides.

À son retour, sa prisonnière était toujours inconsciente. Il la ranimait avec des compresses d’eau froide. Elle pleurait beaucoup en reprenant ses esprits. Vaguement navré, Alfredo Rossi la comblait alors de caresses et de baisers fougueux, larmoyait à l’unisson en la pressant contre lui, léchait avec passion ses larmes, ses seins et sa chatte, implorait son pardon avec des hoquets d’enfant, se signait, priait la Madona et promettait à Johanna de l’épouser à bref délai.