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Ce régime désordonné les aurait réduits à l’état de zombies si, dans l’après-midi du quatrième jour, le Commendatore ne les avait rejoints.

Son côté De Sica avait fait place à une sorte de Boyard teint, enveloppé d’une pelisse à col de renard roux en harmonie avec sa nouvelle couleur capillaire et coiffé d’un feutre taupe vert acide.

Un homme l’accompagnait : jeune, du genre gringalet frileux. Fier de sa moustache clairsemée et de ses cheveux sculptés dans un bloc de gomina Argentina. Privé de manteau, il claquait des dents.

Ces messieurs survinrent au moment où Alfredo sodomisait la captive afin de varier ses plaisirs.

Les arrivants furent impressionnés par ce spectacle. L’étreinte contre nature de ce jeune couple les plongea, l’un comme l’autre, dans une vive indignation. Il n’y avait rien de vertueux dans leur colère, plus simplement une honte méprisante.

Aurelio administra un maître coup de pied dans les jambes de Rossi.

— Enfant de pourceau ! cria-t-il. J’espère que le Parrain te fera trancher le sexe lorsque nous lui raconterons la manière dont tu gardes tes prisonnières !

Penaud et dégrisé, le garçon réintégra ses brailles en tremblant. Une intense pâleur transformait son visage en masque mortuaire.

— Elle m’a fait perdre la tête, chuchota-t-il. Plusieurs jours enfermés dans cette niche à chien, tous les deux…

— Nous réglerons cela plus tard ! coupa Fanutti. Il est urgent de la faire parler.

Il se tourna vers Johanna, encore agenouillée sur le lit, le cul offert.

— Sa pose est bien choisie, dit-il à son chétif compagnon, lequel répondait au sobriquet de Mickey.

Ce dernier approuva et sortit une petite trousse métallique de sa poche. Il possédait une grande dextérité d’infirmier. L’Allemande demeura sans réaction quand l’aiguille se ficha dans sa fesse.

— Voilà, assura Mickey. D’ici dix minutes, elle n’aura plus de secrets pour vous.

Il rangea son matériel avec des gestes soigneux.

— C’est bon, dit Aurelio lorsqu’il eut terminé ; allez boire un flacon de vodka quelque part pendant que je discuterai avec cette petite garce !

Les deux autres sortirent.

Le Commendatore les regarda par la fenêtre se rendre au parking et monter dans la voiture de Rossi. Il poussa le loquet, s’empara de l’unique tabouret et vint s’asseoir au chevet de la jeune fille. Il était désemparé car il n’avait pas imaginé ainsi sa rencontre avec la meurtrière de Maria.

Au bout d’un moment, il s’aperçut qu’elle le regardait avec curiosité.

— Comment vous sentez-vous ? ne put-il se retenir de lui demander.

Elle eut un bref haussement d’épaules.

Il reprit, après l’avoir détaillée plus longuement :

— Vous avez le menton tout bleu…

Elle eut un mouvement incertain pour porter la main à sa mâchoire, toucha, fit la grimace…

— Il vous frappe ?

Elle fît un geste affirmatif.

— Il vous cogne et vous encule : drôle de camorriste !

C’était la première fois que l’ancien forain œuvrait pour la Camorra. Il avait fallu la mort criminelle de celle qu’il continuait d’appeler « sa fille » pour faire de lui un militant occasionnel. Sa tâche venait de le conduire dans ce pays si différent du sien afin de « prendre livraison d’elle ».

Deux objectifs dans l’entreprise : l’un dicté par la cupidité, l’autre par la vengeance.

— Je peux savoir qui vous êtes ? murmura la jeune Allemande d’un ton exténué.

— Le père officiel de Maria, répondit-il.

CRACOVIE

61

— Sais-tu ce que je crois ? demanda Hitler à sa prisonnière.

Elle secoua négativement la tête.

— L’endroit où nous sommes est un ancien kolkhoze datant de l’occupation soviétique.

Elle eut un hochement de tête indifférent.

— Curieux, cette léthargie succédant au régime totalitaire, poursuivit l’Autrichien, comme se parlant à soi-même. Rien n’a remplacé la férule rouge, à croire que l’exploitation d’alors ne pouvait plus être utilisée, ni transformée.

Ils se trouvaient dans un corps de bâtiment encore debout, malgré son toit affaissé comme la tente d’un cirque dont on a retiré le chapiteau. De l’ancien mobilier, il ne subsistait rien. Quelques grosses pierres pouvaient servir de sièges, à la rigueur. Adolf en désigna une à la captive :

— Assieds-toi, tu seras plus à ton aise pour répondre à mes questions.

Elle obéit.

— Dis-moi ton nom, reprit-il, ça facilitera les rapports humains.

— Lina.

— Tu travailles pour la Camorra ?

Elle sourit et répondit d’un ton enjoué :

— Secret professionnel !

Il lui aligna un coup de poing qui fit éclater ses lèvres. Instantanément, un flot pourpre jaillit de sa bouche et ruissela d’abondance sur le ciré dont la brillance rendait le sang lumineux.

— À compter de tout de suite, chaque mensonge ou mot d’esprit te vaudra un coup d’épingle, petite pute infecte ! Si je te la plante dans le derrière, ça t’amusera peut-être, mais dans l’œil ? Hein ? Dans l’œil ? Je t’en supplie, fais quelque chose pour moi : ne me pousse pas à bout !

L’expression de son bourreau lui causa une telle épouvante qu’elle faillit vomir.

— Ça commence sec, non ? ricana Adolf.

Tout à coup, comme s’il changeait le cours de ses préoccupations, il sortit son téléphone et composa le numéro de Mutti Cette fois, ce ne fut pas Frau Mullener qui répondit mais quelqu’un au parler rauque dont on ne pouvait, à l’oreille, déterminer le sexe.

Indécis, il se nomma, puis demanda des nouvelles de son aïeule.

— Dolfy ! balbutia-t-on.

Et il réalisa qu’il communiquait avec sa grand-mère…

Abasourdi par la stupeur, autant que par la joie, il dit à la « rescapée » son bonheur de l’entendre et l’amour qu’il lui portait. À sa grande surprise, des larmes sporadiques coulaient sur ses joues. Il reniflait, pareil à un jeune enfant ignorant ce qu’est le chagrin mais découvrant la volupté des pleurs.

Très vite, il se reprit, promit à la vieille femme d’aller la voir sous peu et rengaina son appareil.

— Je t’écoute ! fît-il à Lina d’une voix qui n’avait rien perdu de son sadisme.

Elle semblait hagarde car elle venait de réaliser la vraie nature du jeune homme. Avec ce garçon, tout était possible, surtout le pire.

— Je t’ai demandé si tu appartiens à la Camorra ?

— Je rends des services.

— En suivant quelqu’un comme ta culotte suit ton cul ? Tu me dégoûtes !

Elle détourna les yeux.

— C’étaient les ordres.

— Que racontes-tu dans tes rapports ?

— Vos déplacements, la manière dont vous vivez… Les gens que vous rencontrez…

— Par exemple ?

— Votre visite à l’évêché.

— Tu travailles en pool avec un type ?

Elle acquiesça.

— Un autre connard de votre clique ?

Elle eut un hochement de tête désemparé.

— Lui se chargeait de mon amie ?

— Oui.

— Il l’a supprimée ?

— Seulement interceptée.

— Pourquoi ?

— Parce qu’elle s’apprêtait à quitter Cracovie.

— Ça changeait quoi à la situation ?

— On voulait s’assurer d’elle pour récupérer certaines choses qu’elle détient à Munich.

Hitler soupira :

— Un jour ou l’autre ça devait se produire : un forban ne saurait tolérer qu’un magot passe à portée de ses sales pattes sans se l’approprier.