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Le malheureux Kurt manquait d’assurance, privé de ses habits cossus. Une profonde et sinueuse cicatrice parcourait son abdomen à la chair bleuâtre. Sa poitrine glabre et son nombril torve achevaient de le « déconsidérer ». Hitler contint un ricanement à la vue de ce sexe déprimant qui lui rappelait quelque « concombre » de mer découvert sur une plage des Seychelles, l’année précédente.

— Touche ! implora Kurt d’un ton plaintif.

Lamentable requête.

Elle fît sourire Adolf. Il donna satisfaction à son compagnon et se mit à pétrir la membrane stupide. Ce contact tiédasse, cette vibration animale, lui soulevèrent le cœur.

Son compagnon, en pleine excitation, produisait un grognement que l’Autrichien jugea porcin. Il supplia le jeune homme de lui accorder une fellation. Celui-ci refusa d’un « plus tard » pouvant passer pour une retenue qu’il s’infligeait à soi-même.

L’autre poussa son doux calvaire jusqu’à la délivrance ; après quoi il se prit à sangloter, la joue sur les genoux d’Adolf.

Il l’assurait de son amour total, bégayait de folles promesses ; sans se douter un instant que l’unique sentiment qu’il inspirait, était un immense désir de meurtre.

5

Du temps passa et leur séance amoureuse se renouvelait chaque soir. Adolf Hitler accordait à son amant beaucoup plus qu’il ne se l’était promis au départ. Il s’entraînait stoïquement à vaincre sa répulsion. La répétition rendait l’épreuve moins pénible sans que pour autant il y prît un quelconque plaisir. Au fond, cette situation importait peu. Il ignorait l’amour, n’ayant connu jusqu’alors que des emballements vite consommés.

Ses journées s’enchaînaient mornement, la spirale avait son pas de vis à l’envers.

Les après-midi, il découvrait Munich, cherchant dans ses artères reconstruites l’ombre du national-socialisme. L’ample rumeur des immenses brasseries n’était plus celle des années 30, pourtant il y captait les échos de son illustre homonyme. Bon Dieu, mais que s’était-il passé pour que la voix rauque du petit homme trépignant eût abattu tant et tant de colonnes ? Parfois, la nuit surtout, il se sentait si proche de lui qu’il croyait respirer l’odeur de sa chemise brune et des sangles de cuir barrant sa poitrine.

Il commandait une chope de bière à laquelle il ne volait qu’une gorgée ou deux et se laissait dériver au fil des sentiments confus, à la fois acres et doux. Il déplorait d’être jeune, mais n’avait pas envie de vieillir.

En pénétrant dans sa chambre, il eut un haut-le-corps : Graziella l’y attendait, blottie dans sa petite voiture près de la baie. Il la voyait fort peu car, depuis la scène de son arrivée, elle n’avait réapparu ni à table, ni au salon. Tout juste s’il la rencontrait dans les couloirs ou devant l’ascenseur aménagé pour sa chaise roulante. Chaque fois, il la saluait civilement, mais elle détournait la tête et ne le regardait pas.

Son mouvement de surprise surmonté, il s’approcha de l’infirme avec la circonspection d’un fauve.

— Je peux vous aider ? questionna-t-il en la toisant fixement.

— Pourquoi pas ? murmura-t-elle.

— En ce cas, je vous écoute…

Elle avait l’air plus rabougrie que d’ordinaire, à croire qu’elle se recroquevillait. Le gris, maintenant, l’emportait sur le blond dans sa chevelure.

Les parties nickelées de son appareillage étincelaient dans la vive lumière de la fenêtre.

Elle leva son bras valide pour désigner le mur du fond.

— Ce meuble en marqueterie, murmura-t-elle.

— Eh bien ?

— Vous voulez vous en approcher ? Dérouté, Adolf fît ce qu’elle demandait.

Lorsqu’il se trouva devant le bonheur-du-jour, il se retourna :

— Alors ?

— Dans le mur auquel il est adossé, vous devez apercevoir un petit trou ?

Le jeune homme examina de plus près.

— C’est juste.

— La cloison sépare cette pièce de ma salle de bains et c’est moi qui ai pratiqué cet orifice…

Une brutale colère fit frémir l’Autrichien.

— Merci pour l’intimité !

— Ça me permet de suivre vos gracieux ébats avec Kurt. Vous savez quoi ? Une abjection ! Les singes qui se masturbent sont plus appétissants. Je me demande s’il existe des animaux aussi répugnants ! Vous, passe encore, mais ce misérable bonhomme au corps défait est ignoble.

Il l’écoutait, approuvant ses paroles par de petits hochements de tête.

— Comment pouvez-vous accepter d’être pénétré par cet affreux individu ? insista-t-elle.

— Si quelqu’un peut répondre à cette question c’est bien vous ! repartit Hitler en souriant.

— Croyez-vous, sursauta Graziella.

Il déclara d’un air faussement sentencieux :

— Bien sûr, vous aviez l’orthodoxie de votre côté. Il n’en reste pas moins vrai qu’il vous a forcée de son horrible pénis. Personnellement, je souhaiterais l’arroser de vitriol !

— Si telles sont vos réactions, pourquoi vous prêtez-vous à ses caprices ?

— J’ai décidé de devenir fils-de-joie dans la mesure où cela peut servir mes intérêts.

Cette déclaration, proférée d’un ton badin, impressionna Mme Heineman.

— Seigneur ! soupira-t-elle, le monde s’est-il à ce point décomposé ?

— C’est tout le contraire d’une décomposition ! affirma-t-il. Il s’agit plus exactement d’une évolution indispensable à la survie de l’espèce. Les beaux sentiments de jadis, s’ils étaient toujours appliqués, la précipiteraient dans un chaos mortel. Elle doit, pour s’aguerrir, vivre avec les bacilles qu’elle ne peut détruire. La meilleure manière de lutter contre le mal est de l’apprivoiser.

Ayant dit, il approcha une chaise de l’infirme et y prit place.

— Bon, je présume que vous n’êtes pas venue m’attendre pour me montrer ce trou dans le mur ?

— Je tenais à vous signaler que, malgré son très faible diamètre, il m’a permis de prendre des photographies.

Tout en parlant, elle dégageait à grand-peine de son corsage un petit rectangle de papier brillant qu’elle voulut présenter à Hitler ; mais sa main valide l’était imparfaitement et l’épreuve chut sur le plancher. Il la ramassa.

— Je suppose que je peux regarder ?

— Je vous la destinais.

L’image le représentait donnant son membre à sucer au mari de Graziella. Ce dernier se tenait assis sur ses talons, en train de se délecter avec ferveur. Kurt portait un soutien-gorge, un porte-jarretelles et des bas noirs.

— Comment trouvez-vous cette photographie, monsieur Adolf Hitler ?

— Pas mal, étant donné les circonstances dans lesquelles elle fut tirée.

— Je vous l’offre.

— Accepteriez-vous de me la dédicacer ?

Elle eut une expression triste :

— Vous ne manquez pas d’à-propos pour un garçon de dix-sept ans ! En démarrant à ce train d’enfer, vous risquez de brûler votre vie.

— Parmi les rêves que je forme, ne figure pas celui de devenir un beau vieillard. Savez-vous pourquoi les gens âgés ennuient tout le monde ? Parce qu’ils ont trop duré, ma chère. Rien de plus pénible qu’un individu fini quand il continue. À compter d’un certain moment, on n’invente plus sa vie, on la rabâche.

Elle l’écoutait et ne pouvait s’empêcher de l’admirer. Adolf n’était pas beau, au sens que l’on donne habituellement à ce terme, mais il possédait mieux que de la séduction : du magnétisme.

Il lut sa fascination sur le pauvre visage malmené et eut un sourire irrésistible. Un bref instant, Graziella se trouva plongée dans son univers d’autrefois quand, éclatante et sûre de soi, elle figeait le brouhaha d’une réception en surgissant. Comme tous les gens durement frappés par l’existence, elle dorlotait des haines qui n’en finissaient pas de rancir.