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Les femmes étaient le plus souvent « ensaquées » dans une robe au col à ras du cou dont l’ourlet arrivait au ras de leurs chevilles. Beaucoup portaient un tablier court de couleur pâle, et un grand nombre en avaient deux ou trois les uns sur les autres, chacun plus petit que celui qu’il précédait dans la couche. Les dames aussi appréciaient les chapeaux de paille, mais les leurs étaient teintés pour s’assortir aux divers tabliers.

Sur une de ces femmes, Egwene vit comment les porteurs de chaussures se défendaient contre la boue. D’étranges objets en bois, oblongs et pointus, étaient attachés à la semelle de leurs souliers. Grâce à ces espèces de plates-formes, la marcheuse se trouvait au bas mot cinq pouces au-dessus de la gadoue et elle pouvait avancer comme si elle était solidement campée sur un sol ferme. Par la suite, Egwene vit plusieurs passants des deux sexes ainsi équipés. Elle remarqua aussi que très peu de femmes choisissaient de rester pieds nus, contrairement aux hommes.

Egwene se demandait dans quelle boutique elle trouverait les plates-formes si pratiques lorsque Nynaeve tira sur les rênes de son étalon noir, le forçant à s’engager dans une ruelle, entre un bâtiment étroit à un étage et la boutique aux murs de pierre d’un potier. Egwene consulta du regard Elayne – qui se contenta de hausser les épaules –, et les deux jeunes femmes suivirent le mouvement.

Egwene n’avait pas la moindre idée de la destination finale de Nynaeve, ni de la raison de ce détour. Ça ne pouvait plus durer, elle allait devoir en parler sérieusement avec l’ancienne Sage-Dame. Mais il n’était quand même pas question que le trio se perde de vue…

La ruelle déboucha dans un petit jardin, derrière le bâtiment étroit. Sautant à terre, Nynaeve attacha sa monture à la branche d’un figuier, choisissant un endroit où l’étalon ne pourrait pas faire de dégâts dans ce qui semblait être un carré potager et qui prenait une bonne moitié de la surface. Une double ligne de pierres délimitait le petit chemin qui conduisait à la porte de derrière du bâtiment. Nynaeve remonta ce sentier et alla frapper au battant de bois.

— Que faisons-nous ici ? demanda Egwene, qui s’en voulut aussitôt de ne pas avoir tenu sa langue. Pourquoi cet arrêt ?

— Tu n’as pas vu les plantes, sur le rebord de la fenêtre de devant ?

Nynaeve frappa de nouveau.

— Des plantes ? s’étonna Elayne.

— Oui, une Sage-Dame, dit Egwene en descendant de selle.

Elle attacha Brume à côté de l’étalon noir.

Gaidin n’est pas un nom fait pour un cheval… Croit-elle que je n’ai pas compris pourquoi elle l’a choisi ?

— Nynaeve a trouvé une collègue… Une Sage-Dame, une guérisseuse… Le nom change selon les endroits…

Une femme entrouvrit la porte juste ce qu’il fallait pour jeter un coup d’œil méfiant à ses visiteuses. Au début, Egwene pensa avoir affaire à une obèse. Mais quand l’herboriste eut fini d’ouvrir la porte, il lui apparut qu’elle était surtout solidement charpentée et musclée. En d’autres termes, elle paraissait aussi forte que maîtresse Luhhan. À Champ d’Emond, certains prétendaient qu’Alsbet était aussi costaude que son mari. C’était faux, mais pas de beaucoup…

— Comment puis-je vous aider ? demanda la femme avec un accent très semblable à celui de la Chaire d’Amyrlin.

Les cheveux bouclés grisonnants, la collègue de Nynaeve portait les uns sur les autres trois tabliers verts. Chacun était plus sombre que celui qu’il précédait, mais la nuance de base restait très claire.

— Laquelle de vous a besoin de mes services ?

— Moi, répondit Nynaeve. Pour traiter des nausées… Une de mes amies est également en délicatesse avec son estomac. Avons-nous frappé à la bonne porte ?

— Vous n’êtes pas de Tear, dit la guérisseuse. J’aurais dû le deviner à vos tenues, avant même d’entendre ton accent, étrangère. Je suis Mère Guenna. On dit que je suis une guérisseuse, mais je suis assez blanchie sous le harnais pour savoir que ce n’est pas avec les mots ronflants qu’on reprise les bas ! Entrez et je vous donnerai ce qu’il faut pour vos estomacs…

Dans la jolie cuisine, petite mais bien rangée, des casseroles en cuivre étaient accrochées aux murs et des saucissons pendaient du plafond à côté de bouquets d’herbes séchées. Les armoires de bois clair arboraient des portes sculptées – des motifs végétaux, bien entendu – et les dossiers des chaises étaient ornés de fleurs. Non loin de la table qui brillait à force d’être astiquée, un petit chaudron mijotait sur la cuisinière à bois. À l’odeur, il devait s’agir de soupe de poisson. À côté, une bouilloire à bec verseur commençait à lâcher des jets de vapeur.

Egwene remarqua que la cheminée était éteinte. Une excellente initiative, car avec la chaleur de la cuisinière, on transpirait à grosses gouttes. Pourtant, Mère Guenna ne semblait pas incommodée.

Des assiettes étaient exposées sur le manteau de la cheminée et d’autres soigneusement empilées sur des étagères, de chaque côté de celui-ci. Le parquet sentait bon et brillait comme s’il venait d’être lavé.

Mère Guenna ferma la porte derrière elle puis traversa la pièce en direction de ses armoires.

— Quelle infusion vas-tu me donner ? demanda Nynaeve, adoptant un tutoiement en somme professionnel. Feuille de chêne ? Millepertuis à fleur jaune ?

— L’un ou l’autre, si j’en avais… (Mère Guenna chercha sur les étagères et se décida enfin pour un pot en granit.) Ces derniers temps, je n’ai pas pu me consacrer souvent à la cueillette… Je vais te donner une tisane de feuilles de chardon blanc.

— Je ne connais pas…, souffla Nynaeve.

— C’est aussi efficace qu’une infusion de feuilles de chêne, mais avec un goût amer qui ne plaît pas à tout le monde…

La solide rebouteuse émietta des feuilles séchées dans une théière bleue, puis elle approcha de la cuisinière, s’empara de la bouilloire et ajouta de l’eau chaude au mélange.

— Tu es du métier, si je comprends bien ? (Mère Guenna prit deux tasses assorties à la théière et désigna la table.) Asseyez-vous, que nous bavardions un peu… Laquelle des deux a également l’estomac retourné ?

— Je vais très bien, mentit Egwene en s’asseyant. Et toi, Caryla, envie de vomir ?

La Fille-Héritière secoua la tête – non sans un rien d’exaspération, remarqua son amie.

— Comme vous voudrez… (Mère Guenna servit une tasse de tisane à Nynaeve et s’assit en face d’elle.) J’en ai fait pour deux, mais la tisane de chardon blanc se conserve aussi longtemps que le poisson fumé. Plus elle infuse, plus elle agit… et plus elle est amère. C’est vite un duel entre le désir de ne plus avoir de nausée et l’envie de recracher sa langue… Bois, ma fille. (Voyant que Nynaeve hésitait, elle remplit la seconde tasse et but une gorgée.) Tu vois ? Ça ne te tuera pas sur le coup.

Nynaeve goûta et fit la grimace. Mais quand elle eut bu une deuxième fois, ses traits se détendirent.

— Un peu amer, oui, mais il y a pire… Dis-moi, Mère Guenna, allons-nous devoir supporter longtemps la pluie et la boue ?

La rebouteuse regarda les trois femmes sans une ombre d’aménité. Puis elle foudroya Nynaeve du regard.

— Tu me prends pour une Oracle du Vent du Peuple de la Mer ? Si je savais prévoir le temps, je préférerais glisser un brochet argenté vivant sous ma robe que de le clamer haut et fort. Pour les Défenseurs de la Pierre, ce n’est pas loin de la sorcellerie des Aes Sedai. Alors, es-tu du métier ou non ?

» Qu’est-ce qui agit sur la fatigue ?