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Dans son dos, Perrin sentit soudain une chaleur intense, comme si on venait d’ouvrir la porte d’un four géant. Stupéfié, il se retourna… et constata que la salle était vide.

Ce n’était qu’un rêve…

Tremblant de froid après l’explosion de chaleur, il eut le sentiment de basculer dans un autre monde…

Il se retrouva devant un miroir, en train de contempler son reflet, une part de lui ne comprenant pas ce qu’il voyait tandis qu’une autre ne s’en étonnait pas. Un casque doré en forme de tête de lion reposait sur son crâne comme s’il y avait toujours été. Son plastron artistiquement embossé était doré à l’or fin et des ornements du même métal rehaussaient les plates d’armure qui couvraient ses bras et ses jambes. En revanche, la hache qu’il portait au côté se révéla tristement connue. Dans sa tête, une voix qui était la sienne murmurait qu’il la préférerait à n’importe quelle arme, car il l’avait brandie des milliers de fois sur des centaines de champs de bataille.

Non ! En réalité, il désirait s’en débarrasser. Mais il ne pouvait pas. Et dans sa tête, le murmure devenait presque assez fort pour qu’il comprenne les mots.

— Un homme destiné à la gloire, dit une voix derrière lui.

Se détournant du miroir, Perrin découvrit la plus jolie femme qu’il eût jamais vue. Sans remarquer l’ombre d’un détail sur la pièce où il se trouvait désormais, il dévora l’inconnue du regard. Des yeux plus noirs que la nuit, une peau laiteuse à coup sûr dix fois plus douce que la soie de sa robe… Lorsque la femme avança vers lui, l’apprenti forgeron en eut la bouche sèche. Toutes les filles qu’il avait vues jusque-là étaient des laiderons, comprit-il. Tremblant devant tant de splendeur, il se demanda pourquoi il avait si froid.

— Un homme doit saisir sa destinée à deux mains, ajouta la femme en souriant.

Cette seule vue faillit suffire à réchauffer Perrin. Très grande, presque assez pour regarder le jeune homme dans les yeux, elle arborait des peignes d’argent dans sa chevelure aile-de-corbeau. Une ceinture aux maillons d’argent entourait sa taille si fine que Perrin aurait pu en faire le tour avec ses mains.

— Oui, murmura-t-il.

En lui, la surprise et l’enthousiasme aveugle se livraient un duel inégal. En règle générale, il n’avait que faire de la gloire. Mais lorsqu’elle en parlait, il n’y avait rien au monde qu’il désirait davantage.

— Je veux dire… (Dans sa tête, le murmure devint grinçant.) Non !

Le silence revint, et avec lui, l’enthousiasme se dissipa. Posant une main sur le casque doré, Perrin le retira.

— Je… Je ne veux pas de tout ça. Ce n’est pas à moi…

— Tu n’en veux pas ? (L’inconnue éclata de rire.) Un homme digne de ce nom, avec du vrai sang dans les veines, et qui refuserait la gloire ? Autant de gloire, imagine-toi, que si tu avais soufflé dans le Cor de Valère.

— Je n’en veux pas…

Dans un coin de sa tête, une voix cria à Perrin qu’il mentait. Le Cor de Valère…

La sonnerie retentit, et la charge héroïque est lancée. La mort chevauche à mes côtés, et en même temps, elle m’attend en face. Ma maîtresse et mon bourreau…

— Non, je suis un forgeron.

La femme eut un sourire méprisant.

— Quelle ambition médiocre… Il ne faut pas écouter ceux qui t’incitent à te détourner de ton destin. Ils cherchent à t’abaisser, voilà tout. Et au bout du compte, à te détruire. Lutter contre le destin est le moyen le plus sûr de souffrir. Et pourquoi choisir la douleur quand la gloire vous tend les bras ? Perrin, ton nom pourrait figurer auprès de celui de tous nos héros légendaires…

— Je ne suis pas un héros.

— Que sais-tu de ton identité véritable ? Presque rien. Et de ton potentiel ? Rien du tout ! Allons, trinque avec moi à la gloire et à la destinée !

La femme tendit à Perrin une coupe remplie à ras bord d’un vin rouge sang.

— Bois !

Le jeune homme regarda la coupe et lui trouva quelque chose de… familier. Désormais, un hurlement lui vrillait le cerveau.

— Non ! Non !

Il refusait d’entendre, luttant pour échapper à ce qui menaçait de le détruire.

L’inconnue brandit de plus belle la coupe d’or.

— Bois !

La coupe d’or ? Je croyais que… Elle était…

Perrin ne put pas formuler sa pensée en entier. Profitant de son trouble, le son revint dans sa tête, insistant pour qu’il lui accorde son attention.

— Non ! Non !

Le jeune homme baissa les yeux sur le casque d’or, puis il le jeta au loin.

— Je suis un apprenti forgeron. Je suis…

Sous son crâne, le son luttait toujours pour être entendu. Pour le faire taire, Perrin se prit la tête à deux mains, mais cela réussit simplement à en faire une meilleure caisse de résonnance.

— Je suis un… un… homme ! cria-t-il.

L’obscurité l’enveloppa, mais la voix de la femme, un doux murmure, le suivit dans son naufrage.

— La nuit est omniprésente, et tous les hommes rêvent… Toi en particulier, mon jeune maraudeur. Et je serai toujours dans tes songes.

Un calme parfait suivit.

Perrin écarta les mains de sa tête et baissa les bras. Il portait de nouveau ses propres vêtements – une veste et un pantalon ordinaires mais de bonne coupe –, une tenue idéale pour un forgeron ou un campagnard. Dans un premier temps, il s’en aperçut à peine.

Debout au milieu d’un pont de pierre au garde-fou très bas, il apercevait, à chaque extrémité, les grandes colonnes au sommet plat que l’ouvrage reliait l’une à l’autre. Baissant les yeux, il ne parvint pas à voir le fond du gouffre où les flèches de pierre s’ancraient au sol. Même pour ses yeux hors du commun, la lumière ne suffisait pas pour qu’il distingue quelque chose. Partout où il regardait – à droite, à gauche, au-dessus de lui et au-dessous – il ne vit que des ponts ou des rampes, celles-ci étant dépourvues de garde-fou. Ce paysage s’étendait à l’infini, apparemment sans la moindre logique. Plus déconcertant encore, certaines rampes conduisaient au sommet d’une colonne qui se trouvait directement au-dessus de celle qui lui servait de base. Semblant venir de partout à la fois, des bruits de cascade ou de torrent retentissaient aux oreilles de Perrin, qui crevait littéralement de froid.

Captant un mouvement du coin de l’œil, il s’accroupit d’instinct derrière le garde-fou. Être vu risquait de se révéler dangereux. S’il ne savait pas pourquoi, Perrin en avait la certitude.

Regardant par-dessus le garde-fou, il tenta de repérer ce qui l’avait alarmé. Une silhouette blanche se montra un bref instant sur une rampe très lointaine. Une femme, décida Perrin, même s’il n’avait pas eu le temps de bien voir. Une femme en robe blanche qui courait vers une destination inconnue.

Sur un pont, un peu au-dessous de lui, mais beaucoup plus près que la rampe, un homme apparut soudain. Grand et mince, ses cheveux noir grisonnant lui conférant une allure distinguée, il portait une ceinture et une bourse rehaussées d’ornements en or, des pierres précieuses brillaient sur le fourreau de sa dague et le haut de ses bottes était orné d’un liseré également en or.

D’où sortait-il, celui-là ?

Jaillissant du néant comme le premier, un deuxième homme apparut à l’autre bout du pont. Vêtu d’une redingote rouge aux manches bouffantes rayées de noir, le col et les poignets décorés de dentelle blanche, il était plus petit que l’autre type, mais plus râblé, et ses cheveux coupés court évoquaient une étendue de neige immaculée. L’âge n’entamant en rien sa vigueur, il avançait du même pas décidé que l’autre inconnu.

Et ces deux-là s’approchaient l’un de l’autre avec des arrière-pensées hostiles.

Comme deux marchands de chevaux, chacun sachant que l’autre veut lui refiler une haridelle.