Выбрать главу

— Ne juge pas trop mal cet homme… (Dans la bouche de Liandrin, ce mot sonnait exactement comme « chien » dans celle de quelqu’un d’autre.) Il a fallu le convaincre de nous servir. Mais je suis très douée pour ça, tu sais ?

La sœur noire rit de nouveau.

— Maîtresse Maryim, dit Sandar, désorienté, je devais le faire…

Liandrin tira l’homme par les cheveux pour qu’il ne regarde plus Nynaeve.

Que lui ont-elles fait ? Et quelles tortures vont-elles nous infliger ?

Les soldats forcèrent Elayne et Nynaeve à monter dans le carrosse, puis ils jetèrent Egwene entre elles, sur la banquette. Liandrin et Rianna embarquèrent alors et prirent place sur le siège d’en face, orienté dans le sens de la marche. L’aura du saidar les enveloppait toujours, le signe qu’elles restaient sur leurs gardes.

Sur le coup, Nynaeve ne se soucia pas le moins du monde de ce que firent les soldats et les deux autres sœurs. Elle aurait voulu s’occuper d’Egwene, la réconforter et la soigner, mais elle ne pouvait rien bouger à part la tête. Un filet d’Air entravait les trois prisonnières, les neutralisant totalement.

Le carrosse s’ébranla et avança en cahotant dans la boue.

— Si vous l’avez blessée…

Par la Lumière ! je vois bien qu’elles l’ont blessée ! Pourquoi ne puis-je pas dire le mot qui me hante ?

Cet effort se révéla presque aussi surhumain que de bouger une main, mais Nynaeve parvint à l’accomplir.

— Si vous l’avez tuée, je ne vous lâcherai plus, comme un chasseur qui traque des chiens sauvages.

Rianna se raidit, mais Liandrin eut un ricanement méprisant.

— Ne sois pas idiote, Naturelle ! C’est toi qui es recherchée, morte ou vive. Un appât mort ne traquera personne.

Un appât ? Pour quoi faire ? Et pour attirer qui ?

— Liandrin, c’est toi l’idiote ! Tu crois que nous sommes venues seules ? Nous trois, alors que nous ne sommes même pas de vraies Aes Sedai ? Tu as raison, nous sommes des appâts, mais c’est toi qui viens d’entrer dans la cage comme une grosse dinde stupide !

— Ne lui révèle pas ça ! s’écria Elayne.

Nynaeve cligna des yeux avant de comprendre que la Fille-Héritière venait étayer sa fable.

— Si tu te laisses emporter par la colère, tu risques de leur dire ce qu’elles ne doivent pas savoir. Il faut qu’elles nous conduisent dans la forteresse. Il le faut !

— Silence ! cria Nynaeve, entrant dans le jeu de son amie. C’est toi qui en dis trop !

Elayne réussit à avoir l’air penaude…

Digérez ces informations, les filles ! pensa Nynaeve, triomphante.

Mais Liandrin se contenta de sourire.

— Quand vous ne devrez plus servir d’appâts, vous nous direz tout ce que nous voudrons savoir. Vous en brûlerez d’envie ! D’après ce qu’on dit, vous serez toutes très puissantes, un jour, mais je m’assurerai que vous continuiez à m’obéir, même avant que le Grand Maître Be’lal ait réalisé ses plans vous concernant. Savez-vous qu’il a envoyé chercher treize Myrddraals ? Oui, treize !

La bouche en forme de rose de Liandrin lâcha ce dernier mot, « treize », comme un éclat de rire cristallin.

Nynaeve en eut l’estomac noué. Un des Rejetés ! Ce que tout le monde croyait impossible.

Le Ténébreux et tous les Rejetés sont emprisonnés dans le mont Shayol Ghul. C’est le Créateur en personne qui s’est chargé du Père des Mensonges, au moment de la Création…

Mais réciter les articles de la foi n’aida pas l’ancienne Sage-Dame. Tout ça ne voulait plus rien dire, désormais. En revanche, le reste avait un sens terrible.

Treize Myrddraals et treize sœurs noires…

Nynaeve entendit Elayne hurler avant de s’apercevoir qu’elle criait aussi, se débattant sans un mouvement contre ses liens invisibles.

Le rire de Liandrin et de Rianna retentit, plus fort peut-être que les hurlements désespérés de leurs victimes.

52

En quête d’un traitement

Affalé sur le tabouret, dans la chambre de Thom, Mat fit la grimace quand le trouvère eut une nouvelle quinte de toux.

Comment allons-nous continuer nos recherches, s’il est trop malade pour marcher ?

Le jeune homme eut honte de cette pensée acerbe. Thom s’était dévoué à leur mission jour et nuit alors même qu’il devait avoir conscience que sa santé déclinait. Trop concentré sur sa tâche, Mat n’avait pas prêté assez d’attention aux symptômes de son ami. Passer sans cesse de la pluie à une chaleur étouffante n’avait sûrement pas dû lui faire du bien…

— Courage, Thom… Selon Lopar, il y a une guérisseuse pas très loin… C’est comme ça qu’ils appellent une Sage-Dame, ici. Je ne sais pas si Nynaeve apprécierait…

— Je n’ai pas besoin d’ignobles décoctions qu’il faut avaler en se pinçant le nez, mon garçon. (Thom se plaqua un doigt sous le nez pour ne pas tousser – en vain, car il n’en était plus là depuis longtemps.) Laisse-moi quelques heures de repos, et je reprendrai les recherches.

Il toussa si fort qu’il se plia en deux, la tête touchant presque les genoux.

— Donc, je devrais me taper tout le boulot pendant que messire se repose ? plaisanta Mat, même si le cœur n’y était pas. Quelle chance ai-je de réussir sans toi ? Presque tout ce que nous apprenons tombe d’abord dans ton oreille.

Ce n’était pas tout à fait vrai. En jouant aux dés, les hommes se montraient presque aussi bavards que lorsqu’ils payaient une chope à un trouvère. Et quand le trouvère en question toussait comme un perdu, risquant de leur refiler une maladie, jouer aux dés devenait dix fois plus profitable en matière d’informations.

Mais Mat commençait à douter que la toux de Thom puisse guérir toute seule.

Et si ce vieux forban meurt, avec qui jouerai-je aux pierres ?

— En plus, ta maudite toux m’empêche de dormir, même dans la chambre à côté…

Ignorant les cris indignés de son ami aux cheveux blancs, Mat le força à se lever – et fut étonné de devoir l’aider beaucoup plus que prévu, comme s’il ne tenait plus sur ses jambes. Malgré la chaleur étouffante, le trouvère insista pour mettre sa cape multicolore. Pour sa part, Mat avait déboutonné sa veste et ouvert le col de sa chemise, mais il ne contraria pas le malade. Dans la salle commune, presque personne ne leva la tête quand les deux hommes sortirent, le plus jeune portant pratiquement son aîné.

Les indications de l’aubergiste se révélèrent faciles à suivre. Mais lorsqu’il atteignit les portes de la ville et découvrit au-delà les rues boueuses de l’Assommoir, Mat eut très envie de rebrousser chemin pour aller demander l’adresse d’une autre guérisseuse. À l’évidence, dans une ville de cette taille, il ne pouvait pas y en avoir qu’une. Mais une nouvelle quinte de toux de Thom vainquit les réticences du jeune homme. Il fallait agir vite, tant pis pour la puanteur et la gadoue !

D’après les dires de l’aubergiste, Mat avait déduit que Thom et lui étaient passés devant la maison de la guérisseuse le soir de leur arrivée. Du coup, lorsqu’il vit la maison longue et étroite avec des plantes sur le rebord des fenêtres, à côté de la boutique d’un potier, il se la remémora immédiatement. Selon Lopar, il valait mieux passer par le jardin, mais Mat estima qu’il avait déjà assez piétiné dans la boue.

Et je serai bientôt allergique à l’odeur du poisson, pensa-t-il en regardant les pauvres types aux pieds nus qui ployaient sous le poids de leur panier.