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Il n’eut pas à réfléchir longtemps. À l’autre bout du mur, Sandar l’attendait peut-être avec l’intention de l’aider à entrer dans la forteresse. Mais il pouvait aussi avoir ameuté la garde. Si l’ouverture était vraiment plus large, elle lui offrait une possibilité d’entrer sans laisser à Sandar la moindre occasion de le trahir.

Mat revint au pas de course vers la meurtrière, tellement excité qu’il ne se souciait plus de basculer dans le vide.

L’ouverture était vraiment beaucoup plus large, comme si quelqu’un avait tapé dessus à coups de masse pendant des heures. Et ce trou était assez grand pour laisser passer un homme.

Mais comment est-ce arrivé ?

Non, ce n’était pas le moment de se poser des questions…

Mat se glissa dans la brèche, toussant à cause de la fumée, sauta à l’intérieur de la forteresse, sur une sorte de chemin de ronde, et courut sur une bonne dizaine de pas avant de voir apparaître des Défenseurs de la Pierre. Une bonne dizaine, la plupart en bras de chemise, sans casque ni plastron, qui piaillaient de confusion. Certains brandissaient une lampe et d’autres une épée à la lame scintillante.

Crétin ! s’invectiva intérieurement Mat. C’est pour ça que tu as fait exploser les fusées. Pour les attirer tous ici…

Il était trop tard pour faire demi-tour. Son bâton décrivant des arabesques dans l’air, Mat se jeta sur les soldats avant qu’ils aient eu l’occasion de voir qu’il était là. Frappant à la tête, aux jambes ou visant les lames, il s’engagea dans un combat perdu d’avance, car ses adversaires étaient beaucoup trop nombreux. Le flambeur avait tenté le coup de trop, et cette erreur condamnerait sans appel Egwene et les autres.

Mais Sandar apparut soudain aux côtés du jeune homme. À la lumière des lanternes lâchées par les premiers soldats, son bâton très souple fendait l’air encore plus vite que celui de Mat. Pris par surprise et confrontés à deux experts du bâton, les Défenseurs tombèrent comme des quilles.

Sandar regarda les soldats qui gisaient sur le sol, puis il soupira :

— Des Défenseurs de la Pierre… J’ai attaqué des Défenseurs ! Pour ça, ils auront ma tête ! Sans parler… Dis-moi, flambeur, cette explosion, c’était ton œuvre ? As-tu invoqué la foudre ?

Sandar baissa le ton :

— Aurais-je uni mes forces à celle d’un homme capable de canaliser le Pouvoir ?

— Des feux d’artifice…, répondit Mat, laconique. (Ses oreilles bourdonnaient toujours, mais il captait cependant des bruits de bottes martelant la pierre.) La prison, Sandar ! Montre-moi le chemin avant que d’autres gardes nous tombent dessus.

Sandar s’ébroua.

— Par là ! s’écria-t-il en s’engouffrant dans un couloir latéral. Dépêchons-nous ! Si les Défenseurs nous trouvent, ils nous tueront.

Dans le lointain, un gong sonna l’alarme. Bientôt, la Pierre grouillerait d’hommes en armes.

J’arrive ! pensa Mat en emboîtant le pas au pisteur de voleurs. Je vous sauverai, c’est juré. Ou je ne sortirai pas vivant d’ici.

Alors que des gongs sonnaient l’alarme partout dans la forteresse, Rand avançait comme si de rien n’était. Un peu plus tôt, il n’avait pas accordé plus d’attention au terrible boucan qui semblait venir des niveaux inférieurs. Malmenée par l’escalade, durant laquelle elle avait failli se rouvrir, sa vieille blessure au flanc lui faisait un mal de chien. Mais il refusait de se laisser détourner de sa mission par la douleur. Un sourire qui tenait plus du rictus déformait ses lèvres, et il n’aurait pu l’en effacer pour rien au monde, même s’il l’avait voulu.

Il était de plus en plus proche de l’objet de tous ses rêves. Callandor

Ce sera bientôt fini ! La moquerie… La tentation… La chasse… Je mettrai un terme à tout ça… Callandor…

Riant tout seul, il pressa le pas dans les couloirs obscurs de la Pierre de Tear.

Egwene se palpa le visage et fit la grimace. Morte de soif, elle avait un goût amer dans la bouche.

Rand ? Quoi ? Pourquoi ai-je encore rêvé de Mat ? Mat présent en même temps que Rand dans mes rêves, et criant qu’il venait… C’est absurde !

La jeune femme ouvrit les yeux, découvrit les murs de pierre grise suintant d’humidité et cria lorsque ses souvenirs lui revinrent.

— Non, je ne serai pas de nouveau enchaînée ! Et je ne porterai pas de collier !

Elayne et Nynaeve accoururent, leur visage crispé en totale contradiction avec les paroles réconfortantes qu’elles s’empressèrent de murmurer. Mais les voir suffit à calmer Egwene. Elle était bien prisonnière, mais sans collier, et pas seule dans une cellule.

Voyant qu’elle désirait s’asseoir, ses amies l’aidèrent à se relever. Une chance, parce qu’elle n’aurait rien pu faire, tant elle avait mal. À présent, elle se souvenait de l’avalanche de coups qu’elle avait reçue, sa raison menaçant de chanceler…

Ne pense plus à ça. Essaie plutôt de trouver un moyen de t’évader…

La jeune femme recula jusqu’à ce qu’elle puisse s’adosser à un mur. La douleur et la fatigue se disputaient la première place dans son corps. Le combat sans espoir qu’elle avait mené contre les sœurs noires l’avait vidée de toutes ses forces, et la souffrance l’empêchait d’en récupérer ne serait-ce qu’une partie.

La cellule ne contenait que les trois prisonnières et une torche agonisante. Le sol était dur et glacial et sur la porte, des sillons laissaient penser que des prisonniers désespérés avaient tenté de creuser le bois brut avec leurs ongles. Sur les murs, des messages à l’écriture tremblante composaient une sorte d’anthologie de l’horreur et du désespoir. « La Lumière a pitié de moi et va me laisser mourir », disait un des plus poignants.

Egwene chassa de son esprit cette idée terrifiante…

— Nous sommes toujours coupées de la Source ? demanda-t-elle.

Le simple fait de parler lui faisait mal…

Alors qu’Elayne acquiesçait, Egwene s’avisa qu’elle n’aurait pas eu besoin de poser la question. La joue gonflée, l’œil au beurre noir et la lèvre fendue de la Fille-Héritière auraient dû suffire à la renseigner, même si elle n’avait pas eu son propre calvaire comme indice. Si Nynaeve avait pu canaliser le Pouvoir, elle aurait sûrement soigné ses amies…

— J’ai essayé, dit l’ancienne Sage-Dame… Essayé et essayé encore ! (Elle tirait sur sa natte, et malgré la peur qui la hantait, la colère faisait trembler sa voix.) Une des sœurs est assise dans le couloir… Amico, la fausse petite fille sage, si personne ne l’a remplacée depuis notre arrivée. Je suppose qu’une seule sœur noire suffit à maintenir le flux qui nous isole du Pouvoir, une fois qu’il a été tissé… (Elle ricana.) Alors qu’elles se sont donné tant de peine pour nous capturer, on dirait qu’elles n’ont plus rien à faire de nous. Nous sommes ici depuis des heures et personne n’est venu nous interroger – ni nous apporter un peu d’eau, d’ailleurs. Elles ont peut-être l’intention de nous laisser crever de faim et de soif.

— Des appâts…, souffla Elayne, terrorisée malgré tous les efforts qu’elle faisait pour se contrôler. Liandrin a dit que nous sommes des appâts…

— Pourquoi et pour qui ? demanda Nynaeve. Si je suis un appât, j’aimerais bien me fourrer au fond de leur gorge pour les étouffer !

— Rand, dit Egwene, la bouche si sèche qu’une goutte d’eau aurait été un soulagement. J’ai rêvé de lui et de Callandor. Je pense qu’il vient ici…

Mais pourquoi ai-je aussi rêvé de Mat ? Et de Perrin ? C’était un loup, mais je suis sûre qu’il s’agissait de lui.