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Sandar vint se camper à côté de Mat et baissa les yeux sur le Haut Seigneur évanoui ou mort.

— Comme ça, il ne paraît pas si puissant… Ni beaucoup plus « grand » que moi…

Sursautant, Mat sonda l’extrémité du couloir, où il venait de voir passer un homme très pressé.

Par la Lumière ! si je ne savais pas que c’est absurde, je dirais qu’il s’agissait de Rand !

— Sandar, tu verras que…, commença Mat tout en balançant son bâton sur son épaule.

Il s’interrompit, car l’arme venait de percuter quelque chose. Se retournant, il découvrit un autre Haut Seigneur, lui aussi à demi vêtu. Son épée gisant sur le sol, il se tenait la tête à l’endroit où le bâton de Mat, par le plus grand des hasards, lui avait fendu le cuir chevelu.

Pour lui faire baisser les mains, Mat lui flanqua un coup de bâton dans l’estomac. Puis il le frappa de nouveau à la tête, l’envoyant s’écrouler sur son épée.

— La chance, Sandar… Personne ne peut rien contre la chance ! Maintenant, voudrais-tu bien trouver le chemin secret que les Hauts Seigneurs empruntent pour gagner la prison ?

Sandar affirmait qu’il existait un escalier secret. Et l’emprunter, selon lui, leur épargnerait de traverser les trois quarts de la forteresse. Pour être franc, Mat doutait d’éprouver beaucoup de sympathie pour des seigneurs avides de voir torturer les gens au point de disposer d’un raccourci entre leurs appartements privés et la prison…

— Réjouis-toi d’être un veinard, dit Sandar. Sinon, le deuxième nous aurait tués avant même qu’on l’aperçoive. Je sais que la porte qui donne sur ce fichu escalier est dans le coin. Tu me suis ? Ou tu préfères attendre l’arrivée d’un autre Haut Seigneur ?

— Passe devant, dit Mat en enjambant un des escrimeurs inconscients. Je ne suis pas un fichu héros.

Il emboîta le pas au pisteur, qui étudia toutes les portes en marmonnant entre ses dents qu’il finirait bien par trouver la bonne.

55

Ce qui est écrit dans les prophéties

Rand entra lentement dans la salle et avança au milieu des colonnes de pierre rouge dont il se souvenait parfaitement pour les avoir vues dans ses rêves. Un lourd silence pesait sur les ombres, et pourtant, quelque chose l’appelait. Et devant lui, telle la lueur d’un phare, une vive lumière clignotait.

Lorsqu’il arriva sous un immense dôme, le jeune homme vit enfin ce qu’il cherchait. Callandor, lévitant dans l’air, la poignée vers le bas. Une poignée qui n’attendait pas d’autre main que celle du Dragon Réincarné. Et c’était en tournant sur elle-même que la lame projetait la lueur aveuglante qui semblait par moments jaillir d’elle au lieu d’être simplement reflétée.

L’épée l’appelait. Elle l’attendait.

Si je suis vraiment le Dragon Réincarné… Pas un pauvre fou qu’une malédiction a rendu capable de canaliser le Pouvoir… En d’autres termes, un pantin manipulé par Moiraine et la Tour Blanche…

— Prends-la, Lews Therin… Oui, prends-la, Fléau de sa Lignée.

Rand se retourna et découvrit un grand homme aux cheveux blancs bouclés. Alors qu’il émergeait de l’ombre des colonnes, le jeune homme songea que ce personnage lui était familier. Pourtant, il n’avait aucune idée de son identité. Vêtu d’une veste de soie rouge rayée de noir le long des manches, d’un pantalon noir et de bottes montantes aux ornements d’argent, l’inconnu qui n’en était pas un ne comptait pas parmi les gens que Rand avait croisés dans le monde réel. Mais dans ses rêves, en revanche…

— Je vous ai vu les mettre dans une cage… Egwene, Nynaeve et Elayne. Dans mes songes, vous les emprisonnez et vous les torturez.

L’homme eut un geste nonchalant.

— Elles n’ont aucune importance ! Ce sera peut-être différent un jour, quand elles seront formées, mais pour l’instant, elles ne valent rien ! J’avoue être surpris que tu t’en soucies au point d’en avoir fait des appâts efficaces. Mais n’as-tu pas toujours été un imbécile plus prompt à suivre son cœur qu’à engranger du pouvoir ? Tu viens trop tôt, Lews Therin. Maintenant, tu vas devoir réussir un exploit pour lequel tu n’es pas prêt, ou mourir comme un chien. Oui, crever en sachant que tu laisses ces trois femmes à ma merci. (L’homme sembla attendre une réaction qui ne vint pas.) J’ai l’intention de les utiliser, Fléau de sa Lignée. Elles se mettront à mon service, et ce simple fait les fera souffrir cent fois plus que tout ce qu’elles ont subi jusqu’ici.

Derrière Rand, Callandor scintilla, envoyant une onde de chaleur caresser le dos du jeune homme.

— Qui es-tu ? demanda-t-il.

— Tu ne te souviens pas de moi, hein ? (L’homme aux cheveux blancs éclata de rire.) Eh bien, je t’ai oublié aussi – de toute façon, tu n’avais pas cette apparence-là. Un péquenot avec l’étui d’une flûte en travers des omoplates. Ishamael a-t-il dit la vérité ? Pour gagner un peu de temps ou de terrain, il a toujours été prêt à mentir sans vergogne. Tu ne te souviens de rien, Lews Therin ?

— Quel est ton nom ? demanda Rand. Assez bavardé, maintenant !

— Tu peux m’appeler Be’lal… (Voyant que ce nom ne disait rien à Rand, le Rejeté le foudroya du regard.) Prends-la ! cria-t-il en désignant l’épée. Jadis, nous sommes allés à la guerre épaule contre épaule, et en souvenir de ce temps, je veux bien te laisser une chance. Une petite chance, c’est vrai, mais qui te permettrait de sauver ta peau et celle des trois femmes que j’aimerais prendre pour animaux de compagnie. Prends l’épée, paysan ! Avec elle, tu survivras peut-être à notre rencontre.

— Tu crois pouvoir me faire peur si facilement, Rejeté ? Ba’alzamon lui-même m’a pourchassé. Penses-tu que je vais avoir peur de toi ? Me prosterner devant un Rejeté alors que j’ai défié le Ténébreux à voix haute et en sa présence ?

— C’est ce que tu penses ? souffla Be’lal. Vraiment, tu ne sais rien du tout ! (Une épée à la lame noire forgée dans des flammes obscures apparut dans la main du Rejeté.) Prends Callandor ! Trois mille ans durant, alors que j’étais emprisonné, elle a attendu ici. Elle t’a attendu, vermisseau ! Alors qu’elle est un des plus puissants ter’angreal que nous avons fabriqués. Brandis-la et défends-toi, si tu en es capable.

Be’lal avança vers Rand comme s’il voulait le pousser en direction de l’épée mythique. Mais le jeune homme leva une main – le flot du saidin, la déferlante du Pouvoir, l’ignoble putréfaction de la souillure – et lui aussi se retrouva avec une arme dans la main. Une épée de flammes rouges, avec sur sa lame flamboyante la marque du héron.

Avec une extraordinaire fluidité, comme s’il dansait, Rand exécuta les figures que lui avait enseignées Lan. Écarter la Soie. L’Eau qui Dévale le Versant d’une Colline. Le Vent et la Pluie.

Se percutant, l’épée de feu noir et celle de flammes rouges produisirent des gerbes d’étincelles en rugissant chaque fois qu’elles zébraient l’air.

Rompant le duel, Rand se mit en position défensive et tenta de ne pas trahir sa soudaine incertitude. Sur la lame noire, il venait de reconnaître un héron, si sombre sur un fond sombre qu’il en devenait à peine visible. Lorsqu’il avait affronté un maître escrimeur armé d’une lame au héron « simplement » en acier, il s’en était tiré par miracle. Pour sa part, et il en avait parfaitement conscience, rien ne l’autorisait à arborer la marque des escrimeurs d’élite. Le héron figurait sur l’épée que lui avait donnée son père. Et lorsqu’il pensait à une arme, c’était celle-là qui s’imposait à son esprit.

En une occasion, il avait embrassé la mort, comme le Champion le lui avait appris, mais cette fois, s’il mourait, ce serait pour de bon. Et Be’lal était bien plus fort et bien plus rapide que lui. Un authentique maître escrimeur.