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Le Pouvoir de l’Unique déferla en Rand, torrent cent fois plus tumultueux qu’il l’aurait cru possible, se déversant du saidin niché dans l’arme. La lame de cristal brilla alors encore plus fort que la fabuleuse lance de lumière de Moiraine. Comme le soleil, il devint impossible de regarder l’épée – et de l’identifier comme telle, si on l’avait pu. De la pure lumière scintillait dans la main de Rand. Mobilisant toutes ses forces, il lutta contre le flot qui menaçait de l’emporter, l’unissant à tout jamais à l’arme – en liant tout ce qui faisait sa personne à cette incroyable explosion de lumière. Le temps d’un battement de cœur qui dura un siècle, le jeune homme vacilla au bord d’un précipice, menacé d’être emporté tel du sable par une marée lancée à la vitesse d’un cheval au galop.

Très lentement, le danger de tomber s’estompa. Rand aurait toujours juré qu’il marchait pieds nus sur le tranchant d’un rasoir, au bord d’un gouffre sans fond, mais quelque chose, en même temps, lui disait que c’était un excellent résultat, compte tenu des circonstances. Pour canaliser tant de Pouvoir, il devait danser sur ce fil, exactement comme lorsqu’il exécutait les différentes figures de l’escrime.

Il se retourna pour faire face à Ba’alzamon. Dès qu’il avait touché Callandor, le sentiment d’être déchiqueté de l’intérieur avait disparu. Depuis, quelques secondes seulement s’étaient écoulées, même s’il avait le sentiment de serrer la poignée de l’épée depuis l’aube des temps.

— Mon âme ne t’appartiendra jamais ! cria-t-il. Aujourd’hui, j’ai l’intention d’en terminer avec toi une bonne fois pour toutes. L’heure a sonné !

Ba’alzamon se volatilisa, et sa gangue de ténèbres disparut avec lui.

Un moment, Rand resta campé où il était, pensif. Au moment du départ de Ba’alzamon, il y avait eu comme une… pliure. Une sorte de distorsion, comme si le démon avait d’une façon ou d’une autre déchiré la réalité.

Ignorant les soldats et les guerriers voilés qui le regardaient, et sans accorder non plus d’attention à Moiraine, maintenant écroulée au pied de la colonne, Rand tendit le bras, et – à travers Callandor ou par son intermédiaire – déchira lui aussi la réalité pour s’ouvrir une porte vers un autre monde.

Lequel ? Il n’aurait su le dire, mais une seule certitude comptait : c’était là qu’avait fui Ba’alzamon.

— C’est moi, le chasseur, maintenant, dit le Dragon Réincarné avant de franchir l’ouverture invisible.

Le sol tremblait sous les pieds d’Egwene. La Pierre tout entière vibrait. Après avoir repris son équilibre, la jeune femme s’immobilisa et tendit l’oreille. Elle ne capta plus un son. Quoi qu’il fût arrivé, c’était fini.

Egwene reprit son chemin et se trouva très vite devant une grille de fer au cadenas aussi gros que sa tête. Sans s’arrêter, elle tissa un flux de Terre. Lorsqu’elle poussa la grille, le cadenas se brisa en deux, semblant éclater comme un fruit trop mûr.

Egwene traversa rapidement la salle défendue par la lourde grille. Regardant droit devant, elle réussit à ne presque pas voir les objets qui pendaient aux murs – dans cette collection d’horreurs, les pinces en métal et les fouets paraissaient presque inoffensifs, c’était tout dire ! D’un coup d’épaule, la jeune femme poussa une petite porte en fer, puis elle remonta un couloir où s’alignaient des portes rondes en bois brut. Soulagée d’être sortie de la salle de torture, Egwene se réjouit également d’avoir trouvé ce qu’elle cherchait : la prison !

Oui, mais quelle cellule ?

La jeune femme n’eut aucun mal à ouvrir les portes rondes. Beaucoup n’étaient pas verrouillées, et sur les autres, la serrure ne résista pas davantage que le gros cadenas. Mais toutes les geôles étaient vides.

Ça t’étonne ? Qui se rêverait dans un endroit pareil ? Tout prisonnier qui parvient à atteindre Tel’aran’rhiod doit s’empresser de gagner un endroit plus agréable.

Egwene éprouva une lassitude proche du désespoir. Elle s’était persuadée que trouver la bonne cellule changerait tout. Mais c’était impossible, en tout cas très probablement…

Arrivée à une intersection, elle s’engagea dans un autre couloir, rigoureusement semblable au premier.

Soudain, elle aperçut quelque chose, devant elle. Une image fugitive, encore moins pourvue de substance que la silhouette de Joiya Byir. Mais il s’agissait d’une femme, elle en était sûre. Une femme assise sur un banc, près d’une porte de cellule.

L’image apparut de nouveau, juste un instant. Cette fois, aucun doute possible. Avec ce cou de cygne, ces traits innocents et ces yeux clos lourds de sommeil, il s’agissait d’Amico Nagoyin. Endormie sur son banc, elle rêvait de son quart de garde, jouant à l’évidence avec un des ter’angreal volés. Egwene ne put pas l’en blâmer. Cesser d’utiliser celui que lui avait remis Verin, même pendant quelques jours, lui avait coûté de gros efforts.

Même si elle était déjà en contact avec le saidar, il était possible de couper une femme de la Source Authentique. Mais l’opération risquait de se révéler beaucoup plus délicate. Après avoir réfléchi à la configuration requise, Egwene entreprit de tisser un filet d’Esprit bien plus fort que le précédent : un tissage lourd, épais, dense et doté d’une sorte de tranchant aussi affûté que la lame d’un couteau.

La forme immatérielle de la sœur noire apparut de nouveau. Egwene attaqua aussitôt avec ses flux d’Esprit et d’Air. Un instant, quelque chose sembla résister au filet d’Esprit, et elle dut le soutenir avec toute sa puissance.

La résistance cessa.

Amico Nagoyin hurla – un son fantomatique, presque inaudible, comme si elle n’était qu’une ombre par rapport au spectre de Joiya Byir qu’Egwene avait attaqué un peu plus tôt. Pourtant, le lien d’Air l’emprisonna, l’empêchant de se désintégrer de nouveau. Son joli visage tordu par l’angoisse, la sœur noire sembla exploser de rage, mais ses cris étaient à peine des murmures pour Egwene, qui ne comprit pas un mot de ce qu’elle disait.

Quand elle eut stabilisé le filet et le lien qui continueraient à neutraliser Amico, Egwene s’intéressa à la serrure de la porte. Cédant à l’impatience, elle laissa un flux de Terre attaquer la serrure et la réduire en un nuage de poussière noire qui se désintégra longtemps avant d’avoir touché le sol.

Egwene ouvrit la porte et ne s’étonna pas de découvrir une cellule vide où brûlait une torche agonisante.

Certes, mais Amico ne peut plus nous nuire, et la porte est ouverte.

Un instant, la jeune femme réfléchit à la suite de son plan. Puis elle quitta le Monde des Rêves…

Le réveil fut horrible. Morte de soif, tout le corps douloureux, Egwene se redressa à demi et regarda la porte.

Fermée, bien sûr… Ce qui arrive aux créatures vivantes dans le Monde des Rêves continue à être réel lorsqu’elles se réveillent. Mais il n’en va pas de même pour les objets. La pierre, le fer ou le bois ne sont pas affectés ici par ce que j’ai fait là-bas…

— La sœur qui monte la garde dehors a crié, dit Nynaeve, toujours agenouillée à côté de son amie, tout comme Elayne. Mais depuis, il ne s’est rien passé d’autre. Tu as trouvé un moyen de sortir ?

— Ce devrait être possible… Aidez-moi à me relever, et je m’occuperai de la serrure. Amico ne nous dérangera pas. C’est elle qui a crié.

— Depuis ton départ, dit Elayne, j’ai essayé d’entrer en contact avec le saidar, mais sans succès. C’est… différent, pourtant, nous sommes toujours coupées de la Source.

Egwene fit le vide dans son esprit, invoqua la rose et tenta de s’ouvrir au saidar. Elle se heurta de nouveau au mur invisible. Il fluctuait, désormais, et la jeune femme eut à un moment le sentiment que la Source allait pouvoir l’emplir de Pouvoir. Mais le processus n’alla pas jusqu’à son terme. L’obstacle érigé par les sœurs noires était affaibli, mais toujours actif.