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Egwene regarda ses compagnes.

— Je l’ai isolée de la Source et emprisonnée… Amico est une créature vivante, pas un morceau de métal. Elle doit toujours être entravée et coupée du Pouvoir !

— Quelque chose est arrivé au filet qui nous entoure, confirma Elayne, mais Amico le maintient toujours partiellement.

— Je vais devoir essayer encore…, soupira Egwene.

— Tu te sens assez forte ? demanda Elayne. Pour être franche, tu sembles encore plus mal en point que tout à l’heure. La première tentative t’a déjà épuisée, mon amie…

— Là-bas, je suis encore très forte.

Ici, elle était effectivement sur le point de s’effondrer. Mais c’était leur seule chance… Nynaeve et Elayne le comprenaient sans doute, puisqu’elles n’émirent pas d’autres objections.

— Tu peux redormir si vite ? s’inquiéta l’ancienne Sage-Dame.

— Si tu me chantes une berceuse, comme quand j’étais petite… Tu veux bien ?

L’anneau de pierre dans une main, l’autre serrant celle de Nynaeve, Egwene ferma les yeux et se laissa emporter par la douce chanson sans paroles…

La grille était ouverte, et la pièce, derrière, semblait déserte. Mat y entra pourtant sur la pointe des pieds. Toujours dans le couloir, Sandar s’efforçait de regarder des deux côtés à la fois, en quête du Haut Seigneur – ou du régiment de Défenseurs – qui risquait de leur tomber dessus à tout moment.

À voir les assiettes à demi pleines abandonnées sur l’unique table, les occupants de la salle avaient dû la quitter en catastrophe, sans doute à cause de l’alerte. Quand il avisa les objets accrochés aux murs, Mat n’éprouva aucun regret à l’idée d’avoir raté ces gentilshommes.

Des fouets de toutes les tailles et de toutes les longueurs, certains ayant plusieurs lanières… Des pinces, des tenailles, des fers et des étaux… Le jeune homme remarqua aussi des bottes, des casques et des gants en fer équipés de vis qui permettaient de les serrer sur le pied, la tête ou la main qu’on avait décidé de broyer. D’autres objets lui étaient inconnus, mais ils ne servaient sûrement pas à caresser les prisonniers. En fait, s’il avait rencontré les occupants de la salle, Mat n’en serait sûrement pas sorti avant de s’être assuré qu’ils ne feraient plus jamais de mal à personne.

— Sandar ! appela-t-il. Sandar, tu vas rester toute la nuit dans ce maudit couloir ?

Sans attendre de réponse, Mat gagna la porte intérieure, plus petite, la poussa et la franchit.

Éclairé par le même type de torches que la salle de torture, le couloir où s’engagea Mat était à l’évidence celui d’une prison. Alors que des portes en bois brut s’y alignaient avec une accablante monotonie, Mat remarqua une femme assise sur un banc, près d’une des cellules. Entendant le grincement de ses bottes, elle tourna la tête vers le jeune homme avec une étrange raideur.

Une très jolie fille… Mais pourquoi ne bougeait-elle que la tête ? On eût dit qu’elle dormait à moitié.

Ce serait une prisonnière ? Dans le couloir ? Peu probable… Mais avec un visage si mignon, on ne peut pas utiliser les horreurs que je viens de voir, pas vrai ?

Les yeux mi-clos, l’étrange jeune femme semblait effectivement à moitié endormie. Et la souffrance qui se lisait sur son visage la rangeait parmi les victimes, non dans les rangs des bourreaux.

— Arrête ! cria Sandar dans le dos de Mat. C’est une des Aes Sedai qui ont capturé tes amies.

Mat s’immobilisa, une jambe encore en l’air. Il avait vu un jour Moiraine lancer des éclairs et des boules de feu. Aurait-il pu les dévier avec son bâton ? Avait-il assez de chance pour s’en sortir face à une Aes Sedai ?

— Aidez-moi…, murmura la femme. (Ses yeux restaient lourds de sommeil, mais sa voix indiquait qu’elle était pleinement lucide.) Aidez-moi, je vous en prie…

Mat plissa les yeux. L’Aes Sedai n’avait toujours pas bougé un muscle, au-dessous de son cou. Approchant pour mieux voir, malgré les exhortations à la prudence de Sandar – à qui il fit signe de la fermer –, le jeune homme constata qu’elle le suivait des yeux, mais rien de plus.

Une grosse clé pendait à la ceinture de la jeune femme. Mat hésita un moment. Selon Sandar, c’était une Aes Sedai…

Et pourquoi ne bouge-t-elle pas ?

Pas vraiment rassuré, Mat s’empara de la clé aussi délicatement que s’il avait tenté de retirer un morceau de viande de la gueule d’un loup. Tournant la tête vers la porte qu’elle surveillait, l’Aes Sedai feula comme un chat qui voit un gros chien débouler dans une pièce dépourvue de sortie de secours…

Ne comprenant toujours rien au comportement de la supposée geôlière, Mat décida de s’en contenter, tant qu’elle n’esquisserait pas un geste pour l’empêcher de faire ce qu’il voulait. Par exemple ouvrir la fichue porte.

Mais derrière, que trouverait-il ? Une nouvelle menace ?

Probablement pas… Si elle a participé à la capture d’Egwene, Nynaeve et Elayne, il semble raisonnable de postuler qu’elle les surveille.

Des larmes roulaient à présent sur les joues de l’inconnue.

Mais elle se comporte comme s’il y avait un maudit Blafard dans cette cellule.

Cela dit, il n’existait qu’un moyen d’en avoir le cœur net. Appuyant son bâton contre le mur, Mat introduisit la clé dans la serrure et ouvrit la porte – en se préparant à détaler en cas de danger.

Flanquant Egwene, apparemment endormie, Nynaeve et Elayne étaient accroupies sur le sol de pierre brute. Quand il vit le visage tuméfié de son amie, Mat eut soudain de très gros doutes au sujet du « sommeil ». Pour ne rien arranger, les deux autres femmes étaient presque aussi amochées qu’Egwene.

Que la Lumière me carbonise !

— Matrim Cauthon, dit Nynaeve en levant les yeux vers le jeune homme, au nom de la Lumière ! que fiches-tu ici ?

— Je viens vous sauver… Mais je veux bien griller sur pied si je m’attendais à être accueilli comme un garnement qui tente de voler un pot de confiture ! Bon, si ça vous chante, me direz-vous pourquoi vous avez l’air d’avoir affronté des ours à mains nues, toutes les trois ? Si Egwene ne peut pas marcher, je la porterai sur mon dos. La forteresse grouille d’Aiels qui massacrent ces maudits Défenseurs. Ou qui se font massacrer par eux, pour ce que ça peut me faire ! Quoi qu’il en soit, nous avons fichtrement intérêt à filer d’ici tant que c’est encore possible. Bref, il faudrait nous magner !

— Veux-tu bien modérer ton langage devant des dames ? lâcha froidement Nynaeve.

Elayne riva sur Mat un de ces regards lourds de désapprobation dont les femmes avaient le secret. Mais l’indignation des deux prisonnières restait superficielle. Concentrées sur Egwene, elles entreprirent de la secouer comme si elle n’était pas couverte de plaies et de contusions.

La jeune femme ouvrit les yeux et marmonna :

— Pourquoi m’avez-vous réveillée ? Je dois comprendre comment ça fonctionne… Si je perds mon emprise sur Amico, elle se réveillera et je ne pourrai plus jamais la capturer. Si je maintiens les liens, elle ne pourra pas s’endormir complètement et… (Egwene aperçut son ami d’enfance et écarquilla les yeux.) Matrim Cauthon, au nom de la Lumière ! que fiches-tu ici ?

— Racontez-lui…, souffla Mat à Nynaeve. Vous sauver me prend trop d’énergie pour que je puisse modérer mon langage…

Mat s’interrompit. Les yeux brûlants de haine, les trois femmes regardaient derrière lui comme si elles venaient de voir le Ténébreux en personne.