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— Oui, Min, je vais bien…

— Tu t’es bien battu, forgeron, dit Lan avant de lever sa lame au-dessus de sa tête. « Tai’shar Manetheren ! Tai’shar Andor. »

Le vrai sang de Manetheren… Et le vrai sang d’Andor.

Les rares soldats survivants levèrent également leur épée.

— Tai’shar Manetheren ! Tai’shar Andor.

— Ta’veren…, dit simplement Loial.

Gêné, Perrin baissa les yeux. Lan venait de lui épargner un flot de questions auxquelles il ne désirait pas répondre, mais en lui rendant des honneurs qu’il ne méritait pas. Les autres ne comprenaient pas ce qui lui était arrivé. S’ils avaient su la vérité, comment auraient-ils réagi ?

Min approchant de lui, Perrin murmura :

— Leya est morte… Je suis arrivé presque à temps, mais…

— Tu n’aurais rien pu y changer, et tu le sais très bien… (La jeune femme regarda l’épaule de Perrin, puis son dos.) Moiraine s’occupera de toi… Elle tente de guérir ceux qui ont encore un souffle de vie…

Perrin hocha distraitement la tête. Le sang séché, dans son dos, collait désagréablement à sa peau, et la douleur persistait, mais il s’en apercevait à peine.

Par la Lumière ! cette fois, j’ai failli ne pas revenir ! Il ne faut pas que ça se reproduise. Jamais !

Pourtant, lorsqu’il était avec les loups, tout devenait si différent… En ces instants-là, il n’avait plus besoin de redouter que des inconnus aient peur de lui parce qu’il était grand et fort. Et son goût pour la prudence ne passait pas pour de la balourdise. Même quand ils ne s’étaient jamais rencontrés, tous les loups se connaissaient, et avec eux, il n’était plus qu’un frère parmi tant d’autres.

Non ! Non ! pensa Perrin en serrant plus fort le manche de sa hache.

— C’était un signe, dit soudain Masema, faisant sursauter l’apprenti forgeron.

Sa poitrine nue couverte de sang – il avait tout juste eu le temps d’enfiler un pantalon avant d’aller se battre –, le vétéran promena sur ses compagnons un regard où brillait une ferveur plus vibrante que jamais. Blessé sans doute, mais sûrement pas à mort…

— Oui, un signe pour confirmer notre foi. Les loups eux-mêmes sont venus se battre pour le Dragon Réincarné. Lors de l’Ultime Bataille, le Seigneur Dragon appellera les bêtes sauvages pour qu’elles viennent lutter à nos côtés. C’est la preuve que nous devons aller de l’avant. Seuls les Suppôts des Ténèbres refuseront de se joindre à nous.

Deux soldats approuvèrent du chef.

— Tu vas fermer ton fichu clapet, Masema ! s’exclama Uno.

Le sergent borgne semblait indemne, mais il combattait déjà les Trollocs avant la naissance de Perrin. Cela dit, il paraissait épuisé, seul son œil factice donnant des signes de fraîcheur.

— Nous « irons de l’avant », comme tu dis, quand le Seigneur Dragon nous en donnera le fichu ordre ! Collez-vous bien ça dans le crâne, maudits paysans bornés !

Uno regarda la file de guerriers qui attendaient d’être soignés par Moiraine. Même après l’intervention de l’Aes Sedai, très peu étaient en état de tenir assis.

— Au moins, nous aurons assez de fichues peaux de loup pour tenir les blessés au chaud.

— Non ! s’écria Perrin, sa conviction surprenant les lanciers. Ils se sont battus pour nous, et nous les enterrerons avec nos morts.

Uno plissa le front, prêt à discuter ferme, mais le regard jaune de Perrin le tétanisa, et ce fut lui qui finit par baisser les yeux.

De nouveau mal à l’aise, Perrin se tourna vers Min pendant que le sergent ordonnait à ses hommes de réunir les dépouilles des loups.

— Où est Rand ? demanda le jeune homme à son amie – qui le regardait bizarrement, comme toujours quand elle voyait des auras et des images.

— Quelque part dans l’obscurité… Par là-haut… Il refuse de parler et envoie sur les roses quiconque ose l’approcher.

— Il me parlera…, souffla Perrin avant de se mettre en route.

Min le suivit en protestant parce qu’il aurait dû, selon elle, attendre d’avoir été vu par Moiraine avant de s’éclipser.

Par la Lumière ! que voit-elle lorsqu’elle me regarde ? Je préfère ne pas savoir…

Juste au-delà du cercle de lumière des arbres embrasés, Rand était assis à même le sol, le dos contre le tronc d’un chêne rabougri. Les bras autour du torse, les mains glissées sous sa veste rouge, comme s’il avait froid, il regardait dans le vide et ne sembla pas remarquer que quelqu’un approchait. Min s’assit près de lui, mais il ne broncha pas, même quand elle lui posa une main sur le bras. Si loin du champ de bataille, Perrin sentait toujours l’odeur du sang – et pas seulement du sien.

— Rand…, commença-t-il.

Mais son ami ne le laissa pas continuer.

— Sais-tu ce que j’ai fait pendant la bataille ? (Rand continua à scruter la nuit, comme si c’était à elle qu’il s’adressait.) Rien ! Rien d’utile… Au début, quand j’ai essayé de puiser dans la Source Authentique, je n’y suis pas arrivé. Je luttais, mais elle m’échappait, comme si elle me glissait entre les doigts. Quand j’ai enfin réussi, j’avais l’intention de carboniser tous les Trollocs et les Myrddraals. Et qu’ai-je fait, à part ficher le feu à quelques arbres ? (Il eut un rire silencieux, puis une moue douloureuse.) Le saidin m’emplissait au point que je redoute d’exploser comme une fusée de feu d’artifice. Contraint de le canaliser et de l’expulser avant qu’il me consume, j’ai eu l’idée de faire s’écrouler la montagne afin qu’elle ensevelisse les Trollocs. J’ai presque essayé. Voilà ce que fut mon combat. Il ne m’opposait pas aux monstres, mais à moi-même, parce que j’avais l’idée ignoble de nous faire tomber une montagne sur la tête !

Min coula un regard chagriné à Perrin, comme si elle l’appelait au secours.

— Nous avons… réglé le problème sans ton aide, Rand, dit l’apprenti forgeron.

Pensant aux blessés et aux morts, dans la cuvette, il ne put s’empêcher de frissonner.

Mais ce serait pire si la montagne s’était écroulée…

Rand appuya la tête contre le tronc d’arbre et ferma les yeux.

— Je les ai sentis venir, soupira-t-il. Sans savoir ce que c’était… C’était comme capter la souillure du saidin… Et le saidin est toujours là – il m’appelle et chante pour moi. Quand je me suis avisé que c’était davantage que ça, Lan était déjà en train de réveiller tout le monde. Si je contrôlais mon don, j’aurais pu vous avertir bien plus tôt. Mais une fois sur deux, quand je réussis à atteindre le saidin, je n’ai pas la première idée de ce que je fais. Le flot du Pouvoir m’emporte, voilà tout… Mais j’aurais dû vous prévenir…

Mal à l’aise, Perrin se dandina… et ses plantes de pied douloureuses se rappelèrent à son bon souvenir.

— Nous avons été prévenus assez tôt…

Une tentative d’autosuggestion, et ça s’entendait de loin…

Si j’avais parlé avec les loups, j’aurais pu alerter tout le monde avant qu’il soit presque trop tard… Ils savaient que des Trollocs et des Myrddraals rôdaient dans les montagnes, et ils ont tenté de me le dire.

Certes, mais s’il avait ouvert son esprit aux loups, n’aurait-il pas été en train de courir avec eux, à l’instant même ? Comme Elyas Machera, le solitaire qui lui avait fait découvrir son étrange don ? Elyas vivait en permanence avec une meute, et ça ne l’empêchait pas de savoir qu’il était un homme. Mais il n’avait pas confié son secret à Perrin, qui ne l’avait plus vu depuis un bon moment…