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L’Aes Sedai ne répondant pas, Perrin baissa d’un ton.

— Vous croyez vraiment qu’il est le Dragon Réincarné ? Ou est-il à vos yeux un jouet qui sera bien utile jusqu’à ce que le Pouvoir de l’Unique l’ait tué ou rendu fou à lier ?

— Du calme, Perrin…, dit Loial. Ne sois pas si agressif.

— Je me calmerai quand elle m’aura répondu. Alors, Moiraine ?

— Il est ce qu’il est, voilà tout.

— Selon vous, la Trame l’obligera à suivre le bon chemin… C’est ce qui se passe, ou cherche-t-il simplement à vous fuir ?

Un instant, Perrin crut qu’il était allé trop loin. Voyant la colère voiler le regard de Moiraine, il ne céda pas pour autant.

— Je vous écoute.

— Il agit peut-être bien sous l’influence de la Trame, mais je n’avais pas prévu qu’il partirait seul. Malgré tout son pouvoir, il est aussi vulnérable qu’un bébé, sur certains points, et aussi ignorant des réalités du monde. Il canalise le Pouvoir, c’est vrai, mais il n’a aucun contrôle sur le processus. Et quand la Source s’ouvre à lui, il ne sait pas vraiment ce qu’il fait… S’il n’est pas formé, le Pouvoir de l’Unique le tuera bien longtemps avant de lui avoir fait perdre la raison. Il lui reste tant à apprendre. Mais il veut courir avant de savoir marcher…

— Moiraine, vous pinaillez et vous nous égarez sur des fausses pistes… S’il est ce que vous dites, n’est-il pas possible qu’il sache bien mieux que vous ce qu’il doit faire ? Cette idée ne vous a-t-elle jamais traversé l’esprit ?

— Il est ce qu’il est, insista l’Aes Sedai, mais pour qu’il accomplisse sa mission, je dois d’abord le maintenir en vie. Mort, il ne réalisera aucune prophétie. Et même s’il parvient à éviter les Suppôts et les Créatures des Ténèbres, des milliers d’autres gens rêveront de l’égorger. Pour ça, il leur suffira de découvrir le centième de la vérité à son sujet.

» Pourtant, si c’était tout ce qui le menace, je ne m’en ferais pas tant que ça. Mais il y a les Rejetés…

Perrin sursauta. Dans son coin, Loial gémit.

— Le Ténébreux et tous les Rejetés sont enfermés dans le mont Shayol Ghul où…, commença à réciter Perrin.

Mais l’Aes Sedai l’interrompit :

— Les sceaux faiblissent, mon garçon ! Certains ont même déjà cédé, bien que le monde ne le sache pas encore. Le Père des Mensonges ne s’est pas libéré pour le moment. Mais certains Rejetés ont pu s’enfuir… Qui peut dire lesquels ? Lanfear ? Sammael ? Asmodean ? Be’lal ? Ravhin ? Voire Ishamael en personne, le Renégat de l’Espoir ? Ils étaient treize en tout, enfermés dans les sceaux, pas dans la prison qui retient le Ténébreux. Treize Aes Sedai de l’Âge des Légendes, le plus faible valant au moins dix Aes Sedai actuelles. Et le plus ignorant ayant en tête tout le savoir de cet Âge fabuleux. Les Rejetés des deux sexes ont renoncé à la Lumière pour jurer fidélité aux Ténèbres. Que se passera-t-il s’ils sont libres et attendent Rand quelque part ? Je ne les laisserai pas faire…

Perrin frissonna, terrifié à la fois par la détermination de Moiraine et par l’évocation des Rejetés. Si un seul s’était libéré, c’était déjà beaucoup trop. Quand il était enfant, sa mère utilisait souvent les noms mille fois maudits des Rejetés pour lui faire peur.

« Ishamael vient prendre les enfants qui mentent à leur mère. Lanfear attend dans la nuit les petits garçons qui ne vont pas au lit quand l’heure est venue de dormir. »

Avoir vieilli, constata Perrin, n’aidait pas du tout, puisqu’il savait maintenant que les Rejetés existaient bel et bien. Et qu’ils rôdaient peut-être en liberté, selon Moiraine…

— Emprisonnés dans le mont Shayol Ghul…, murmura-t-il, désolé de ne plus croire vraiment à cette jolie fable.

Très mal à l’aise, Perrin relut le message de Rand.

— Les rêves… Il en parlait déjà hier.

Moiraine vint se camper devant le jeune homme et le regarda dans les yeux.

— Les rêves ?

Lan et Uno entrèrent, mais l’Aes Sedai leur fit signe de se taire. Avec cinq humains et un Ogier, la petite pièce était pleine comme un œuf.

— Les rêves, Perrin ? Quels rêves as-tu faits, ces derniers jours ? Non, ne hausse pas les épaules comme ça. C’est très important. Dis-moi quels songes inhabituels tu as eus ! Je t’écoute.

Le regard de l’Aes Sedai sembla transpercer le crâne de Perrin et prendre son cerveau comme dans un étau, histoire de le forcer à parler.

Il regarda les autres témoins de la scène. Tous le dévisageaient, même Min, attendant qu’il se jette à l’eau. Conscient qu’il ne pouvait plus reculer, il raconta son seul rêve qui sortait de l’ordinaire. Celui où figurait l’épée qu’il ne parvenait pas à saisir. Prudent, il omit de mentionner le loup qui y avait fait irruption la nuit précédente.

— Callandor…, souffla Lan.

Visage de pierre ou pas, il était stupéfié.

— Oui, confirma Moiraine, mais nous devons être absolument sûrs de notre fait. Lan, va interroger les hommes. (Tandis que le Champion sortait, elle se tourna vers Uno.) Et toi, quels rêves fais-tu ? On y voit une épée ?

Le vétéran dansa d’un pied sur l’autre. Si son œil factice soutint bravement le regard de Moiraine, l’autre se voila et tenta de se dérober.

— Je rêve tout le temps de maudi… d’épées, Moiraine Sedai. En toute logique, il doit en aller de même pour ces dernières nuits… Mais je ne me souviens pas clairement de mes songes, contrairement au seigneur Perrin.

— Et toi, Loial ? demanda Moiraine.

— Mes rêves tournent toujours autour des mêmes thèmes, Moiraine Sedai. Les bosquets, les Grands Arbres et mon Sanctuaire. Dès qu’un Ogier est à l’Extérieur, son Sanctuaire hante ses nuits.

L’Aes Sedai se tourna de nouveau vers Perrin.

— Ce n’était qu’un rêve, se défendit le jeune homme. Rien qu’un rêve…

— J’en doute fort, mon garçon… Tu nous as décrit le Cœur de la Pierre, dans la forteresse appelée la Pierre de Tear. Une description précise, comme si tu en revenais pour de bon. L’épée étincelante, c’est Callandor… On la nomme aussi l’Épée Qui N’en Est pas Une, ou encore l’Épée Qui Ne Peut Pas Être Touchée.

Se redressant d’un coup, Loial se cogna la tête au plafond. Mais il ne sembla pas s’en apercevoir.

— Les Prophéties du Dragon disent que la Pierre de Tear ne tombera pas tant que Callandor ne sera pas maniée par le Dragon. La chute de la forteresse est un des signes les plus révélateurs de la réincarnation du Dragon. Si Rand brandit Callandor, le monde entier devra reconnaître qu’il est le Dragon Réincarné.

— C’est une possibilité…, lâcha Moiraine.

Ce mot flotta dans l’air comme une plaque de glace sur une onde paisible.

— Une possibilité ? s’indigna Perrin. J’avais cru comprendre que c’était l’ultime augure. La dernière preuve que ces prophéties de malheur sont en train de se réaliser.

— Ni la dernière preuve ni la première…, dit simplement Moiraine. Callandor fait partie des événements prédits dans Le Cycle de Karaethon, une chaîne de causes et d’effets dont la naissance du Dragon, sur les pentes du pic du Dragon, est à l’origine. Mais s’il est bien né, Rand doit encore dévaster les nations et disloquer le monde. Cela dit, des érudits qui ont étudié les prophéties toute leur vie durant sont toujours incapables de les interpréter dans leur globalité. Comment comprendre, par exemple, la prédiction suivante : « Il devra frapper les siens avec l’épée de la paix, puis les détruire avec la feuille » ? Et celle-ci : « Pour qu’elles le servent, il lui faudra emprisonner les neuf lunes » ?