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— Nous sommes donc le « Peuple du Dragon » ? ironisa Perrin. « La Pierre de Tear ne tombera pas tant que le Peuple du Dragon ne sera pas venu » ? Nous auriez-vous rebaptisés, Moiraine ?

— Un peu de respect, forgeron, marmonna Lan, plus « minéral » que jamais.

L’Aes Sedai foudroya les deux hommes du regard, les réduisant au silence.

— Désolée, Uno, dit-elle, mais pour rattraper Rand, nous devrons chevaucher ventre à terre. Tu es le seul lancier en état de le faire, et nous ne pouvons pas attendre que les autres soient rétablis. Dès que ce sera possible, j’enverrai quelqu’un te chercher.

Uno fit la moue, mais il se résigna. Dès que l’Aes Sedai lui eut fait signe qu’il pouvait disposer, il partit prévenir ses hommes.

— Moi, je viens quoi que vous disiez ! lança Min.

— Non, tu pars pour Tar Valon !

— Je ne fais pas partie de cette engeance !

L’Aes Sedai continua calmement, comme si elle n’avait pas entendu la remarque désobligeante.

— La Chaire d’Amyrlin doit être informée, et je doute de pouvoir trouver quelqu’un de confiance qui dispose de pigeons voyageurs. De toute façon, mon message risquerait de ne jamais arriver à destination. C’est un long et dur voyage, mon enfant, et je ne t’enverrais pas seule si quelqu’un pouvait t’accompagner. Je te donnerai de l’or et des lettres de recommandation pour les gens susceptibles de t’aider en chemin. Tu ne devras pas traîner, cependant. Quand ton cheval sera fatigué, achètes-en un autre. Vole-le, si tu ne peux pas faire autrement. Mais dépêche-toi !

— Uno pourrait jouer les messagers. Il est en pleine forme, vous l’avez dit vous-même. Moi, je veux suivre Rand.

— Uno a des responsabilités… De plus, tu crois qu’un homme peut se présenter à la Tour Blanche et demander à voir la Chaire d’Amyrlin ? Même un roi devrait poireauter des jours, s’il n’avait pas pris la précaution de se faire annoncer. Un de nos soldats en aurait pour des semaines, en supposant qu’il finisse par être reçu. En outre, un événement si inhabituel serait connu dans tout Tar Valon en moins d’une demi-journée. Très peu de femmes demandent une audience à notre dirigeante, mais ça arrive parfois, et ça ne devrait pas éveiller la curiosité des gens. Un homme, en revanche… Personne ne doit savoir que la Chaire d’Amyrlin a reçu un message de moi. Sa vie et la nôtre en dépendent. Tu es la seule à pouvoir y aller.

Min tenta de trouver de nouveaux arguments, mais elle dut s’avouer battue.

— Lan, dit Moiraine, j’ai peur que Rand laisse une piste un peu trop visible, mais de toute façon, tu es un éclaireur hors pair… Perrin ? Loial ? M’accompagnerez-vous ?

Toujours assise en tailleur, Min en couina d’indignation, mais Moiraine l’ignora superbement.

— Je viendrai, répondit l’Ogier. Rand est mon ami. Et j’avoue ne pas vouloir rater une miette de tout ça. Pour mon futur livre, vous comprenez…

Perrin mit plus de temps à se déclarer. Quoi qu’il soit devenu sur l’enclume du destin, Rand restait son ami. En outre, tout semblait prouver que leurs avenirs étaient liés – un point capital, même si l’apprenti forgeron aurait préféré qu’il n’en soit pas ainsi.

— Il faut le faire, pas vrai ? Donc, j’en suis…

— Très bien… (Moiraine se frotta de nouveau les mains, comme quelqu’un qui a du pain sur la planche.) Préparez-vous tous. Rand a des heures d’avance et j’entends être partie avant midi.

Si frêle que fût l’Aes Sedai, son autorité incita tout le monde à filer exécuter ses ordres – sauf Lan, qui resta avec elle. Tandis que Loial se baissait pour franchir la porte, Perrin pensa à une fermière qui dirigerait une bande d’oies à la baguette.

Une fois sortie, Min se retourna et sourit à Lan, qui n’avait pas encore refermé la porte.

— Vous n’avez pas un message à me faire transmettre ? Pour Nynaeve, par exemple ?

Le Champion cligna des yeux, pris par surprise, et se comporta avec la maladresse d’un cheval contraint à marcher sur trois jambes.

— Tout le monde est donc au courant ? (Lan se reprit très vite.) Si elle veut avoir de mes nouvelles, je lui en donnerai de vive voix…

Sur ces mots, il claqua la porte au nez de Min.

— Les hommes…, marmonna la jeune femme. Trop aveugles pour voir ce qu’une pierre verrait et trop têtus pour reconnaître leurs erreurs.

Perrin inspira à fond. L’odeur de la mort planait encore dans la cuvette, mais l’air y était beaucoup plus respirable qu’à l’intérieur de la cabane.

— De l’air frais…, soupira Loial. La fumée commençait à me gêner…

Les deux humains et l’Ogier descendirent au fond de la cuvette. Près du cours d’eau, les soldats capables de tenir debout faisaient cercle autour d’Uno. À le voir gesticuler, le sergent devait égrener un chapelet de jurons – histoire de rattraper le temps perdu, bien sûr.

— Comment avez-vous fait pour devenir des privilégiés ? demanda Min. Elle vous a demandé si vous veniez avec elle. Moi, je n’ai pas eu mon mot à dire.

— Min, dit Loial, elle a posé la question parce qu’elle connaissait d’avance notre réponse. Elle lit en moi comme dans un livre ouvert. Idem pour Perrin. Toi, en revanche, tu es une énigme pour elle.

Min n’en fut qu’à peine adoucie… Elle regarda Perrin, ce géant si discret, puis Loial, qui réussissait l’exploit d’être beaucoup plus grand que lui.

— Pour le bien que ça me fait… Je lui obéis quand même, comme vous, ses gentils petits agneaux. Pendant un moment, tu t’en es bien tiré, Perrin. Tu lui as résisté comme si elle essayait de te vendre une veste trop petite dont toutes les coutures auraient craqué sur toi.

— Je lui ai résisté, c’est vrai, fit l’apprenti forgeron, soudain conscient qu’il n’y était pas allé avec le dos de la cuillère. Et ça n’était pas si terrible que ça…

— Tu as eu de la chance, souffla Loial. Taper sur les nerfs d’une Aes Sedai, c’est plus dangereux que de mettre la tête dans un nid de frelons.

— Loial, dit Min, je voudrais parler en privé à Perrin. Ça te dérangerait de nous laisser seuls ?

— Bien sûr que non…

Accélérant le pas, l’Ogier s’éloigna rapidement. En marchant, il sortit de sa poche sa pipe et sa blague à tabac.

Perrin regarda avec méfiance la jeune femme qui semblait ne pas trop savoir par où commencer.

— Tu vois des choses à son sujet ? demanda-t-il pour détendre l’atmosphère.

Min secoua la tête.

— Non, je crois que ça fonctionne seulement avec les humains. Mais à ton sujet, j’ai vu des choses que tu dois savoir.

— Je t’ai dit que…

— Ne sois pas plus obtus que nature, Perrin ! Je parle de choses que j’ai vues il y a cinq minutes, juste après t’avoir entendu annoncer que tu accompagnerais Moiraine. C’est nouveau, donc ça doit avoir un lien avec ce voyage. Ou ta décision d’y participer.

Perrin attendit un moment avant de soupirer :

— Bon, je t’écoute. Qu’as-tu vu ?

— Un Aiel dans une cage… Un Zingaro armé d’une épée… Un faucon et un épervier perchés sur tes épaules. Deux femelles, je crois… Bien entendu, il y avait aussi tout ce que je vois d’habitude autour de toi. Les Ténèbres qui t’encerclent et…

— Je ne veux rien savoir ! s’écria Perrin.

Quand il fut sûr que Min n’irait pas plus loin, il se gratta pensivement la tête. Rien de tout ça n’avait de sens pour lui.

— Tu as idée de ce que ça veut dire ? Je parle uniquement des nouvelles choses…

— Je nage, mais c’est quand même important… Mes visions le sont toujours. Des tournants décisifs dans la vie des gens, ou une modification de leur destin. Mais il y a autre chose… (Min hésita un moment.) Si tu rencontres une femme – la plus belle que tu aies jamais vue – fuis à toutes jambes.