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— Tu as vu une belle femme ? Et pourquoi donc devrais-je la fuir ?

— Tu ne peux pas tenir simplement compte d’un conseil ?

Agacée, Min flanqua un coup de pied dans un caillou et le regarda dévaler la pente.

Perrin détestait les conclusions hâtives. À cause de ça, beaucoup de gens le jugeaient lent d’esprit. Mais cette fois, en mettant bout à bout les récentes déclarations de Min, il arriva à une conclusion stupéfiante.

Il s’immobilisa, cherchant ses mots.

— Min… Hum… je… Eh bien… Comment dire ? Tu me fais penser à mes sœurs, et je t’aime beaucoup, mais…

Min s’arrêta aussi, se tourna vers Perrin, leva la tête pour le regarder dans les yeux et lui sourit.

— Allons, Perrin, tu sais bien que je t’aime.

La jeune femme se tut, regardant la mâchoire de l’apprenti forgeron lui tomber sur la poitrine.

— Comme un frère, espèce de grand bovin abruti ! La fatuité des hommes m’étonnera toujours. Sans cesse occupés à se prendre pour le centre du monde, et à croire que toutes les femmes rêvent d’eux…

Perrin sentit qu’il s’empourprait.

— Je n’ai pas… Jamais… Hum… Que disais-tu à propos d’une femme ?

— Écoute mon conseil, lâcha Min. (Elle repartit au pas de charge.) Même si tu oublies tous les autres, garde celui-là à l’esprit.

Perrin regarda la jeune femme, le front plissé. Pour une fois, ses idées se mirent en place très vite. En quelques enjambées, il rejoignit Min.

— C’est Rand, pas vrai ?

Sans ralentir, Min émit comme un ricanement, puis elle coula un regard de côté à son ami.

— Tu n’es peut-être pas si borné, tout compte fait…

Comme si elle se parlait à elle-même, elle ajouta :

— Je suis liée à lui comme une douelle à son tonneau, rien de moins… Mais je ne sais pas s’il m’aimera en retour un jour. Et je ne suis pas la seule en lice…

— Egwene est au courant ?

Depuis l’enfance, Rand et Egwene étaient promis l’un à l’autre. À part s’agenouiller devant le Cercle des Femmes pour prononcer leurs vœux, ils avaient rigoureusement tout fait pour suivre ce chemin. Perrin ignorait jusqu’à quel point ils s’en étaient écartés, ces derniers temps – en supposant que ce soit le cas.

— Elle sait, répondit Min. Pour le bien que ça nous fait à toutes les deux…

— Et Rand ? Il est informé ?

— Bien entendu, lâcha amèrement Min. Tu te doutes que je lui ai tout dit. « Rand, j’ai eu une vision à ton sujet, et il semble que je sois destinée à tomber amoureuse de toi. Je devrai te partager, ce qui ne m’enchante pas, mais c’est ainsi. » Perrin Aybara, tout bien pesé, tu es un abruti… (Elle passa une main sur ses yeux.) Si j’étais avec lui, je pourrais l’aider… Enfin, je crois. S’il meurt, je doute de jamais m’en remettre.

Perrin haussa les épaules, mal à l’aise.

— Min, je ferai mon possible pour l’aider. (Sans vraiment savoir ce qui est en mon pouvoir…) Je te le jure ! Toi, il vaut mieux que tu ailles à Tar Valon, où tu seras en sécurité.

— En sécurité ? (Min médita sur le mot, comme si elle se demandait ce qu’il signifiait.) Tu crois que Tar Valon est un endroit sûr ?

— Si ce n’est pas le cas, la sécurité n’existe plus en ce monde.

Min ricana. Puis les deux jeunes gens allèrent rejoindre les soldats qui se préparaient déjà au départ.

7

Sortir des montagnes

Le chemin qui conduisait hors des montagnes n’était pas facile. Par bonheur, plus il descendait, et moins Perrin avait besoin de sa cape doublée de fourrure. Au fil des heures, les quatre cavaliers se détachaient de l’hiver pour se laisser envelopper par les premiers frémissements du printemps. Alors que la neige disparaissait, l’herbe et les fleurs sauvages – des espoirs de vierge et des perce-givre – commençaient à recouvrir les hauts plateaux que traversait la petite colonne.

Les arbres devinrent bientôt moins rares, des alouettes et des rouges-gorges lançant leurs trilles sur des branches bien plus généreusement lestées de feuilles. Bien entendu, ici aussi, il y avait des loups. Jamais visibles, même pour Lan, un éclaireur redoutable, mais bien présents, Perrin le savait. Même s’il leur interdisait l’accès à son esprit, un picotement, de temps en temps, lui rappelait leur présence.

Caracolant sur Mandarb, son destrier noir, Lan passait le plus clair de son temps à jouer les éclaireurs. Tandis qu’il suivait la piste de Rand, ses trois compagnons s’orientaient grâce aux signes qu’il leur laissait. Une flèche de pierre pour indiquer une direction. Une éraflure sur la paroi d’un défilé qui faisait brusquement une fourche. Le Champion signalait à ses suiveurs qu’il fallait tourner dans un sens ou un autre, prendre tel raccourci, suivre une piste de cerf ou descendre le long d’un étroit cours d’eau si bien caché que personne, dans l’histoire du monde, n’avait jamais dû en approcher. Mais Lan ne laissait jamais rien passer, et la précision de ses signaux avait quelque chose de rassurant. Une touffe d’herbe attachée pour s’incliner dans un sens ou un autre indiquait où il fallait tourner. Idem pour une branche pliée. Une pile de cailloux signalait une ascension difficile, droit devant, et deux feuilles piquées sur une épine annonçaient au contraire une descente très raide. Le Champion utilisait des dizaines de symboles, devina Perrin, et Moiraine les connaissait tous.

Lan revenait rarement vers ses compagnons, sauf le soir, pour faire le point avec Moiraine, loin du feu de camp et des oreilles indiscrètes. Le matin, il se remettait en route bien avant l’aube.

Moiraine était en selle dès que le ciel tournait au rose à l’horizon oriental. Si elle s’était écoutée, elle aurait chevauché Aldieb, sa jument blanche, bien après la tombée de la nuit. Mais dès le crépuscule, Lan refusait de continuer à suivre la piste.

Moiraine s’en plaignant régulièrement, il ne mâchait jamais ses mots :

— Si un cheval se casse une jambe, nous irons encore plus lentement.

Moiraine ne se montrait jamais tendre non plus :

— Si tu ne peux pas avancer plus vite, je devrais peut-être t’envoyer sans tarder chez Myrelle. Bon, tu n’es peut-être pas encore sénile, mais dans ce cas, accélère le rythme !

L’Aes Sedai s’exprimait comme si la menace était une plaisanterie… qui risquait de ne plus en être une un jour. Perrin le devina lorsqu’il vit chaque fois l’expression maussade de Lan, pourtant réputé pour avoir un visage de pierre.

— Qui est Myrelle ? demanda le jeune homme, soupçonneux, la première fois que l’accrochage entre l’Aes Sedai et le Champion se produisit.

Loial secoua la tête, marmonnant entre ses dents :

— Malheur à qui fourre son nez dans les affaires d’une Aes Sedai…

Alors qu’il était au moins aussi grand qu’un étalon dhurrien, le cheval de l’Ogier avait l’air d’un poney dès que son géant de cavalier lui grimpait sur le dos. En selle, le pauvre Loial n’avait pas l’air très fin, il fallait bien l’avouer…

— Myrelle est une sœur de l’Ajah Vert, répondit Moiraine avec un petit sourire. Un de ces jours, Lan devra aller lui livrer le précieux colis que je compte lui confier.

— Ce fichu jour n’est pas près d’arriver, grogna Lan, lâchant pour une fois la bonde à sa colère. Et si ça ne tient qu’à moi, il n’adviendra jamais. Tu me survivras des décennies, Moiraine Sedai.

Cette femme a trop de secrets, pensa Perrin, agacé.

Mais il n’insista pas, peu enclin à creuser un sujet qui faisait sortir Lan de ses gonds.