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Tenir ma langue ? Tu rêves, Aes Sedai !

— En quoi les Capes Blanches… ? La folie de Rand, c’est ça ? Elle est contagieuse ?

— Pas sa folie, Perrin, en supposant qu’il en soit déjà là, ce dont je doute. Rand est plus ta’veren que n’importe qui dans l’histoire depuis l’Âge des Légendes. Hier, dans ce village, la Trame s’est comportée comme de la terre glaise dans un moule. Elle s’est modelée autour de lui. Les mariages, le comportement des Fils de la Lumière… Pour quelqu’un qui sait écouter, ça clamait haut et fort que Rand était passé par ici.

— Et nous trouverons un tel… désordre… partout où il ira ? Par la Lumière ! si des Créatures des Ténèbres le suivent, elles auront la partie facile.

— Il est possible qu’il sème le trouble partout… Mais ça n’est pas certain. On ne sait rien au sujet des ta’veren tels que lui. (Un instant, Moiraine laissa deviner que cette ignorance la vexait.) Artur Aile-de-Faucon est le seul ta’veren de cette envergure sur lequel nous disposions d’archives. Et il était bien inférieur à Rand. On raconte qu’à certains moments, les gens qui prévoyaient de mentir en sa présence finissaient par dire la vérité. D’autres prenaient des décisions auxquelles ils n’avaient même jamais réfléchi. À certains moments, pour résumer, les dés tombaient toujours sur la bonne face pour lui et les cartes tournaient toujours en sa faveur. Mais à certains moments seulement.

— Pour résumer, dit Perrin, vous n’en savez rien. Jusqu’à Tear, Rand peut laisser dans son sillage des centaines de mariages et de Fils de la Lumière devenus fous.

— Je sais ce qu’il y a à savoir, corrigea Moiraine, foudroyant le jeune impertinent du regard. La Trame se tisse très finement autour d’un ta’veren, et s’ils savent où regarder, des importuns pourraient suivre le cheminement de ces fils. Alors, prends garde à ne pas en révéler, en jacassant, plus long encore que ce que tu sais…

Malgré lui, Perrin voûta les épaules comme s’il était victime d’une attaque physique et pas verbale. On eût dit que l’Aes Sedai le fouettait…

— Eh bien, cette fois, vous devriez vous réjouir que j’aie parlé. Simion sait que vous êtes une Aes Sedai, et il voudrait que vous guérissiez son frère Noam. Si je ne l’avais pas interrogé, il n’aurait jamais eu le courage de vous demander de l’aide, mais il se serait sans doute épanché auprès de ses amis.

Moiraine et Lan se regardèrent en silence. Le Champion, songea Perrin, ressemblait à un loup qui s’apprête à bondir.

— Non, dit Moiraine en secouant la tête.

— Comme tu voudras… Après tout, c’est à toi de décider.

Lan semblait convaincu que l’Aes Sedai n’avait pas opté pour la bonne solution, mais il se détendit quand même.

Perrin écarquilla les yeux de stupeur.

— Vous pensiez à… Simion ne pourrait plus rien dire s’il était mort, c’est ça ?

— Il ne mourra pas à cause de moi, répondit Moiraine. Pas aujourd’hui, en tout cas… C’est tout ce que je peux promettre. Nous devons trouver Rand, et rien ne m’arrêtera. Est-ce assez clairement exprimé pour toi ?

Pétrifié par le regard de l’Aes Sedai, Perrin ne put pas émettre un son. Considérant que qui ne dit mot consent, Moiraine estima que les débats étaient clos.

— Maintenant, allons voir ce Simion…

La porte de la chambre de Loial étant ouverte, la lumière des bougies qui l’éclairaient servit de balise à Perrin. Dans la pièce, on avait effectivement mis deux lits bout à bout. Assis sur le premier, non loin de l’Ogier, Simion l’écoutait parler sans dissimuler son émerveillement.

— Oui, les Sanctuaires sont vraiment magnifiques… Il y règne une telle paix, sous les Grands Arbres. Les humains se querellent et guerroient, mais chez nous, il n’existe rien de tel. Vivant en harmonie, nous prenons soin des arbres et…

Loial se tut, car il venait d’apercevoir ses trois compagnons, sur le seuil.

Simion se leva, s’inclina et recula jusqu’au mur du fond.

— Euh… Bonne maîtresse, je… eh bien… hum…

Même coincé contre la cloison, il continuait à faire des courbettes maladroites.

— Conduis-moi à ton frère, dit Moiraine, et je verrai ce que je peux faire. Perrin, puisque ce brave homme s’est adressé à toi, tu m’accompagneras.

Lan plissa le front, mais l’Aes Sedai secoua la tête.

— Si nous y allons en délégation, nous risquons d’attirer l’attention. Perrin saura me protéger, si besoin est.

Lan capitula à contrecœur et foudroya le jeune homme du regard.

— Sois vigilant, forgeron… S’il devait lui arriver malheur…

Perrin n’eut pas besoin d’entendre la suite pour saisir la menace.

S’emparant d’une bougie, Simion sortit de la chambre et s’engagea dans le couloir.

— Si vous voulez bien me suivre, bonne maîtresse, dit-il en s’inclinant de nouveau, faisant osciller la flamme de sa bougie.

Derrière une porte, au fond du couloir, un escalier de service conduisait à l’allée étroite qui courait entre l’auberge et les écuries. Dans la nuit, la lumière de la bougie rappela celle d’une luciole. La demi-lune brillant dans un ciel sans nuages, Perrin s’avisa qu’il y voyait presque comme en plein jour…

Tandis que Simion avançait, toujours plié en deux, l’apprenti forgeron se demanda quand Moiraine lui dirait qu’il pouvait cesser de s’aplatir devant elle. Mais ce moment ne vint jamais. Relevant l’ourlet de sa robe comme si elle était une reine avançant dans le couloir obscur d’un palais, elle ne daignait pas s’intéresser à la piétaille et ne paraissait pas avoir remarqué qu’il faisait plutôt frisquet, une fois la nuit tombée.

— Par là…, souffla Simion.

Il guida l’Aes Sedai et Perrin jusque devant un appentis dont la porte était fermée de l’extérieur par une barre.

— Il est là-dedans, bonne maîtresse, dit-il en retirant la barre. C’est mon frère, Noam…

Au fond de l’appentis, on avait improvisé une sorte de cachot avec des planches. Un lourd cadenas tenait fermée cette seconde porte derrière laquelle on apercevait un homme roulé en boule sur le sol couvert de paille. Les vêtements en lambeaux, comme s’il avait voulu les ôter sans savoir comment s’y prendre, le prisonnier était pieds nus. Pris à la gorge par la puanteur, Perrin songea que même Simion et Moiraine devaient en être incommodés, malgré leur odorat d’humains.

Noam leva la tête et braqua sur ses visiteurs un regard halluciné. Rien n’indiquait à première vue sa parenté avec Simion. Très grand et très costaud, il avait un menton, lui, et ça faisait une sacrée différence. Mais Perrin remarqua à peine ce détail, car les yeux que Noam rivait maintenant sur lui étaient jaunes comme les siens.

— Bonne maîtresse, il est devenu fou il y a environ un an… À l’en croire, il pouvait communiquer avec les loups. Et ses yeux… (Simion jeta un regard en coin à Perrin.) Il parlait de tout ça quand il avait bu un coup de trop, et tout le monde se moquait de lui. Mais il y a un mois, il ne s’est soudain plus montré au village. Je suis allé à sa recherche, et je l’ai trouvé dans cet état.

Prudemment, et sans vraiment le vouloir, Perrin établit avec Noam le genre de contact qu’il aurait eu avec un loup.

Courir dans la forêt avec la caresse glaciale du vent sur le museau… Jaillir de sa cachette, refermer ses crocs sur un jarret… Le goût si délicieux du sang dans la bouche… La mise à mort…

Perrin recula comme s’il s’était brûlé et s’isola de l’esprit du prisonnier. Noam ne pensait plus, à strictement parler. On trouvait en lui un mélange chaotique d’images et de désirs qui prenait sa source en partie dans ses souvenirs et en partie dans ses instincts. Mais il y avait beaucoup plus de loup en lui que d’humain, ça sautait aux yeux.