Выбрать главу

— Non ! s’exclama-t-il. NON ! C’est un rêve, et il faut que je me réveille. Allons, ouvre les yeux, crétin !

Le décor ne changea pas autour de Perrin.

Danger…

C’était la voix mentale d’un loup, à peine audible…

— Je vais me réveiller !

Pour échapper au sommeil, le jeune homme flanqua un coup de poing dans un mur. Cela lui fit un mal de chien, mais il ne se réveilla pas. En revanche, il avait eu l’impression qu’une des ombres sinueuses s’était écartée pour éviter son poing.

Cours, frère ! Cours !

— Tire-d’Aile ? demanda Perrin, stupéfié.

Il connaissait le loup dont il captait les pensées. Tire-d’Aile, qui rêvait de voler, avait toujours envié les aigles…

— Tire-d’Aile est mort !

Cours !

Perrin détala, une main tenant sa hache pour que le manche ne batte pas contre sa jambe. Vers où courait-il et pourquoi ? Il n’en avait pas la première idée, mais Tire-d’Aile ne lui aurait pas conseillé de filer sans une excellente raison.

Tire-d’Aile est mort… Mort !

Peut-être, mais ça n’empêchait pas le jeune homme de courir.

Beaucoup de couloirs, montant parfois et descendant en d’autres occasions, croisaient celui où Perrin était. Si les intersections formaient des angles plus que bizarres, les corridors, eux, se ressemblaient tous. Des murs et un plafond humides et des zones d’ombre irrégulières.

Alors qu’il approchait d’une fourche, Perrin ralentit puis s’arrêta. Vêtu d’une veste et d’un pantalon jaune vif plutôt étranges – la veste s’évasait sur ses hanches exactement comme les jambes du pantalon au-dessus de ses bottes –, un homme attendait là, de l’hésitation dans le regard.

— C’est plus que je n’en peux supporter, marmonna-t-il pour lui-même, pas à l’intention de Perrin. Voilà que je ne me contente plus de voir des paysans en rêve. À présent, il faut que ce soient des étrangers bizarrement habillés. Fiche le camp de mon songe, petit gars !

Surpris par l’accent du type et par son débit extrêmement rapide, Perrin mit un moment avant de demander :

— Qui êtes-vous ?

L’inconnu fronça les sourcils comme s’il était vexé.

Autour des deux hommes, les bandes d’ombre ondulèrent. L’une d’elles se détacha du haut plafond et se laissa flotter jusqu’à la tête de l’inconnu, s’enroulant dans ses cheveux. Alors que le type écarquillait les yeux, les événements s’enchaînèrent à toute vitesse. L’ombre se rétracta, filant vers le plafond, et entraîna avec elle une forme blafarde. Perrin sentit des gouttes poisseuses s’écraser sur son visage et il entendit un cri qui lui glaça les sangs.

Tétanisé, Perrin baissa les yeux sur la masse informe et ensanglantée qui portait toujours les habits de l’inconnu. Puis il leva la tête vers l’espèce de sac vide qui pendait du plafond. Alors que l’ombre plus noire que la nuit en absorbait déjà une partie, il reconnut une peau humaine, apparemment entière et intacte.

Alors que d’autres ombres s’agitaient autour de lui, l’apprenti forgeron repartit au pas de course. Des cris de douleur retentirent autour de lui et il eut l’impression que des sortes de vagues, dans les ombres, se lançaient à sa poursuite.

— Sors d’ici ! cria Perrin. Que la Lumière te brûle ! change de lieu. Dans un rêve, c’est possible !

Le décor se modifia. Flanquées par des chandeliers en or dont les dizaines de bougies illuminaient le sol dallé et le plafond peint – des oiseaux contrefaits volant dans un ciel lourd de nuages cotonneux –, des tapisseries aux couleurs vives pendaient sur tous les murs. Dans ce couloir-là, rien ne bougeait et il n’y avait pas d’ombres. Bien au contraire, les chandeliers méthodiquement alignés éclairaient le chemin aussi loin que portait la vue, illuminant jusqu’aux arches de pierre blanche qui brisaient par endroits la monotonie des murs.

Danger…

Le message était encore plus étouffé que la première fois. Et bien plus impérieux, si c’était possible…

Sa hache au poing, Perrin sonda le couloir en marmonnant dans sa barbe :

— Réveille-toi… Réveille-toi, Perrin Aybara ! Puisque tu sais que c’est un rêve, modifie-le encore ou reviens dans le monde réel. Par le sang et les cendres ! fiche le camp d’ici !

Le nouveau couloir demeura aussi banalement concret que tous ceux qu’il avait arpentés dans sa vie.

Quand il arriva au niveau de la première arche blanche au sommet pointu, Perrin vit qu’elle donnait sur une grande salle certes dépourvue de fenêtres mais décorée comme le hall d’apparat d’un palais, l’or et l’ivoire parant de leur splendeur jusqu’au meuble le plus insignifiant. Au milieu, une femme, sourcils froncés, étudiait un antique grimoire posé grand ouvert sur une table. Vêtue de blanc et d’argent, cette beauté arborait une magnifique chevelure aile-de-corbeau et des yeux pareillement sombres.

Au moment où Perrin la reconnaissait, elle leva la tête et la tourna vers lui.

— Toi ! s’écria-t-elle, le regard brillant de colère. Que fais-tu ici ? Et comment as-tu… ? Tu vas dévaster des choses qui dépassent de très loin ta pauvre imagination !

Soudain, la scène s’aplatit, comme si l’apprenti forgeron ne voyait plus la pièce, mais un tableau la représentant. Puis cette image pivota sur elle-même, devenant une ligne verticale brillant dans un océan d’obscurité. Un moment éblouissante comme un soleil, cette ligne se volatilisa, laissant Perrin face à une étendue plus noire que la nuit.

Le sol se terminait quelques pouces devant la pointe des bottes du jeune homme. Sous ses yeux, les dalles blanches étaient avalées par les ténèbres, comme du sable recouvert par la marée montante.

L’apprenti forgeron recula d’un bond.

Fuis !

Quand Perrin se retourna, il découvrit Tire-d’Aile tel qu’il l’avait vu la dernière fois, lors du combat contre les Capes Blanches. Un fantastique loup au pelage grisonnant et taché de sang.

— Tu es mort ! Je l’ai vu de mes yeux. Je t’ai senti quitter ce monde.

Enfuis-toi ! Tu ne devrais pas être ici ! Un terrible danger te menace ! Pire que tous les Jamais-Nés réunis. Tu dois fuir. Tout de suite !

— Comment ? demanda Perrin. Je ne demande que ça, mais comment faire ?

Cours !

Les babines retroussées, Tire-d’Aile sauta à la gorge de Perrin.

S’éveillant sur un cri étouffé, Perrin s’assit dans son lit et porta les mains à sa gorge pour tenter d’enrayer l’hémorragie fatale. Quand ses doigts se posèrent sur de la peau intacte, il soupira de soulagement, mais sa joie ne dura pas, car il sentit soudain sous ses paumes un liquide poisseux à demi séché.

Sautant du lit si vite qu’il faillit s’étaler, il courut jusqu’à une petite table, s’empara du broc qui reposait dessus et s’aspergea le visage d’eau.

Le liquide qui retomba dans la bassine était rosâtre. Le sang du type si bizarrement attifé, dans le premier couloir…

La veste et le pantalon de Perrin en étaient également souillés. Se déshabillant frénétiquement, le jeune homme les jeta ensuite dans un coin de la chambre. Au matin, après son départ, Simion se chargerait de les brûler…

Transi de froid en chemise et en sous-vêtements, Perrin s’assit à même le sol et s’adossa au lit. Dans cette position, il ne sentait pas trop le courant d’air frais qui circulait entre les fenêtres.

Et je devrais être assez mal installé pour ne pas me rendormir profondément.

L’amertume, l’inquiétude et l’angoisse le torturant, Perrin parvint à se raccrocher à sa détermination.

Pas question que je baisse les bras ! Jamais de la vie !