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Egwene tenta de réparer en partie le mal qu’elle avait fait.

— Je suis désolée de vous avoir rudoyé, dit-elle.

In petto, la jeune fille se félicita de n’être pas encore tenue de dire la vérité en toutes circonstances. Car pour être franche, elle venait de proférer une demi-vérité – dans le meilleur des cas.

— Je n’aurais pas dû, officier, et je m’en excuse. Verin Sedai, j’en suis sûre, soignera vos contusions.

Le Fils de la Lumière recula comme si elle le menaçait de l’écorcher vif. De plus en plus furieuse, Verin grogna entre ses dents.

— Nous venons de très loin, continua Egwene, et si le voyage depuis la pointe de Toman n’avait pas été si fatigant, jamais je ne…

— Silence, petite dinde ! s’écria Verin.

Mais le mal était déjà fait.

— La pointe de Toman ? lança le Fils de la Lumière. Falme ? Vous étiez à Falme ?

Il recula d’un demi-pas et dégaina à moitié son épée. Pour attaquer, ou pour se défendre ? Egwene n’aurait su le dire, mais Hurin fit avancer son cheval vers l’officier, prêt à intervenir s’il le fallait.

— Mon père est mort à Falme ! cria l’officier fou de rage. Byar me l’a dit. Vous l’avez tué, maudites sorcières, pour défendre votre faux Dragon. Pour ça, je vous verrai mourir sur un bûcher !

— Maudite impétuosité de la jeunesse…, marmonna Verin. Ces filles ne savent pas tenir leur langue… Allons, mon fils, va en paix avec la Lumière.

L’Aes Sedai se remit en chemin et ses compagnons l’imitèrent. Mais les imprécations du Fils de la Lumière retentirent longtemps dans leur dos.

— Je suis Dain Bornhald ! N’oubliez pas ce nom, Suppôts des Ténèbres ! Il finira par vous terroriser ! Surtout, ne l’oubliez pas !

Quand le calme fut revenu, la petite colonne avança un moment en silence. Puis Egwene souffla, comme si elle se parlait tout haut :

— Je voulais seulement arranger les choses…

— Arranger les choses ? grommela Verin. Sache qu’il y a un moment pour dire toute la vérité, et un moment pour fermer son clapet. Si tu veux un jour porter le châle d’une sœur, c’est la première leçon à retenir, et sûrement pas la moins importante. N’as-tu pas songé que ces hommes avaient pu entendre parler des événements de Falme ?

— Pourquoi aurait-elle dû y penser ? intervint Nynaeve. C’est la première fois que quelqu’un était au courant, et en toute logique, les rumeurs peuvent nous suivre, mais en aucun cas nous précéder.

— Doivent-elles nécessairement suivre le même chemin que nous ? Et avancer aussi lentement ? Les rumeurs ont souvent des ailes, mon enfant. Prends l’habitude de te préparer toujours au pire, ainsi, tu n’auras que de bonnes surprises.

— Que voulait-il dire au sujet de ma mère ? s’enquit Elayne. Il mentait, c’est sûr. Elle ne se retournerait jamais contre Tar Valon.

— Les reines d’Andor ont toujours été amicales avec Tar Valon, dit Verin, mais toutes les choses finissent par changer.

L’Aes Sedai s’était calmée, mais il restait de la tension dans sa voix. Se retournant pour regarder les trois jeunes femmes, puis Hurin et Mat, elle continua :

— Le monde est étrange, et rien ne dure jamais éternellement.

Au sommet de la butte suivante, un village aux toits de tuile jaune entra dans le champ de vision des voyageurs. Tout à côté se dressait le plus grand pont qui conduisait à Tar Valon.

— Désormais, soyez vraiment sur vos gardes, dit Verin. Car c’est ici que commence le véritable danger.

11

Tar Valon

Le petit village appelé Darein se dressait au bord du fleuve Erinin depuis des lustres – presque depuis le temps où les tours de Tar Valon avaient poussé sur l’île. Avec ses petites maisons en pierre rouge ou en brique et ses rues artistiquement pavées, le bourg respirait la paix et donnait une impression de… permanence. Pourtant, il avait été incendié lors des guerres des Trollocs, mis à sac quand les armées d’Artur occupaient Tar Valon, pillé à plusieurs reprises durant la guerre des Cent Années et de nouveau brûlé lors de la guerre des Aiels, une vingtaine d’années plus tôt. Une histoire tumultueuse, pour une paisible bourgade. Mais sa position, au pied d’un des ponts qui menaient à Tar Valon, lui assurait d’être reconstruit autant de fois qu’il le faudrait. Tant que la cité attenante serait debout, en tout cas…

Au début, Egwene eut le sentiment que Darein se préparait à la guerre. Une colonne de piquiers patrouillait dans les rues, armes et armures brillant comme des sous neufs, et des archers au casque plat les suivaient, des carquois débordant de flèches accrochés à la ceinture. Un détachement de cavalerie, le visage des hommes invisible sous leur heaume à grille, obéissant à un ordre de son chef, s’écarta du chemin de Verin et de ses compagnons.

Tous ces soldats arboraient sur la poitrine, telle une larme immaculée, la fameuse Flamme Blanche de Tar Valon.

Mais à mieux y regarder, les villageois allaient et venaient avec une nonchalance qui démentait cette première impression. Sur le marché, la foule s’écartait pour laisser passer les soldats, certes, mais pratiquement sans les remarquer, comme s’ils faisaient depuis toujours partie du paysage. Quelques vendeurs de fruits ambulants des deux sexes, un panier dans les bras, suivaient les militaires pour tenter de leur vendre des pommes et des poires ratatinées récemment sorties des garde-manger hivernaux. À part ça, les boutiquiers et les colporteurs n’accordaient aucune attention aux soldats. Alors qu’elle guidait ses compagnons vers le pont, Verin aussi semblait ne pas remarquer les hommes en armes.

Passant au-dessus de près d’un quart de lieue d’eau et de terre, le pont délicatement ouvragé faisait penser à un ruban de dentelle minérale. À l’entrée, une dizaine de piquiers épaulés par cinq ou six archers arrêtaient toute personne qui manifestait l’intention de traverser. L’officier responsable de la surveillance, un type chauve qui avait accroché son casque à la poignée de son épée, semblait accablé par la file des voyageurs qui attendaient l’autorisation de passer. Des piétons, des cavaliers, des chariots et des charrettes… En réalité, la file n’était pas si longue que ça – une centaine de pas au maximum – mais chaque fois qu’un visiteur s’engageait sur le pont, un nouveau candidat le remplaçait en bout de colonne. Malgré son agacement, l’officier chauve prenait tout son temps quand il s’agissait d’interroger puis de repousser ou d’accepter tout nouvel arrivant.

Voyant que Verin remontait la file, ses compagnons à la traîne, il faillit brailler d’indignation. Regardant mieux l’Aes Sedai, il se ravisa et se hâta de remettre son casque là où il aurait toujours dû être. Ici, les gens n’avaient pas besoin de voir la bague au serpent pour reconnaître une Aes Sedai.

— Bien le bonjour, dame Aes Sedai, dit le chauve en s’inclinant bien bas, une main sur le cœur. Vous pouvez traverser, bien sûr…

Verin s’arrêta près de l’officier. Derrière elle, des murmures coururent dans les rangs, mais personne n’osa protester à haute voix.

— Des problèmes avec les Capes Blanches, capitaine ?

Pourquoi perdons-nous du temps ? se demanda Egwene. A-t-elle oublié que Mat est entre la vie et la mort ?

— Des problèmes ? répondit l’officier. Pas vraiment… Aucun affrontement, en tout cas. Les Fils ont tenté d’infiltrer Marché d’Eldone, de l’autre côté du fleuve, mais nous les en avons dissuadés. La Chaire d’Amyrlin voulait être sûre qu’ils n’essaieraient plus.

— Verin Sedai, intervint prudemment Egwene, Mat est…

— Nous verrons ça plus tard, mon enfant, répondit l’Aes Sedai, presque distraitement. Je ne l’ai pas oublié… (Après cette affirmation, elle se concentra de nouveau sur l’officier.) Et les villages environnants ?