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Par la Lumière ! j’aimerais être sûre que cette trahison ne serait pas justifiée…

— Au moins, Rand est en sécurité entre les mains de Moiraine. Elle le guidera et saura faire ce qui doit être fait. Qu’as-tu d’autre à me dire, ma fille ?

Sans répondre, Verin posa sur la table le sac de cuir et en sortit un cor en or au pavillon orné d’une inscription en argent. Plaçant l’instrument à côté du sac, elle releva les yeux et soutint sans broncher le regard de Siuan.

Sans même se pencher pour la lire, la Chaire d’Amyrlin devina de quoi il s’agissait.

Tia mi aven Moridin isainde vadin.

« Et le repos des morts sera troublé… »

— Le Cor de Valère ? Verin, vous l’avez gardé avec vous pendant un long voyage, alors que les Quêteurs remuent la terre entière pour le trouver ? Par la Lumière ! il aurait fallu le laisser à Rand al’Thor.

— C’était risqué, mère, mais les Quêteurs ne s’attendaient sûrement pas à trouver le cor dans un sac protégé par quatre femmes escortant un malade. Quant à Rand… Eh bien, cet instrument ne lui servirait pas à grand-chose.

— Pardon ? Rand est destiné à combattre lors de l’Ultime Bataille, et le cor a pour mission de réveiller nos anciens héros, afin qu’ils épaulent le Dragon. Moiraine a-t-elle de nouveau ourdi un plan sans me consulter ?

— Elle n’est pour rien là-dedans, mère… Nous imaginons des plans, mais la Roue tisse la Trame comme elle l’entend. À Falme, ce n’est pas Rand qui a soufflé dans le cor, mais Matrim Cauthon. Ce garçon est ici, agonisant à cause de son lien avec la dague de Shadar Logoth. Si nous n’arrivons pas à le soigner…

Siuan en eut la chair de poule. Shadar Logoth, une ville morte si souillée par le mal que les Trollocs eux-mêmes redoutaient d’y pénétrer – et pour d’excellentes raisons ! Par hasard, le jeune Mat était entré en possession d’une dague qui le tuait à petit feu, lui infligeant le même sort qu’à la cité, des siècles plus tôt.

Par hasard ? Ou est-ce la volonté de la Trame ? Il est ta’veren, lui aussi. Mais s’il a soufflé dans le cor…

— Tant que Mat vivra, continua Verin, le Cor de Valère, pour quiconque d’autre que lui, ne sera qu’un vulgaire instrument de musique. S’il meurt, quelqu’un d’autre pourra tisser un lien spécial avec l’artefact.

Le regard limpide, Verin ne semblait pas troublée par ce qu’elle suggérait à demi-mot.

— Avant que nous en ayons terminé, beaucoup de gens mourront, ma fille…

Mais à qui recourir s’il faut de nouveau souffler dans le cor ? Prendre le risque de le faire rapporter à Moiraine est hors de question. Un des Champions ? Oui, peut-être…

— La Trame n’a pas encore décidé du destin de Mat, ma fille.

— Je comprends, mère. Et le cor ?

— Pour le moment, nous trouverons pour le cacher un endroit que nous serons seules à connaître. Ensuite, je réfléchirai à la marche à suivre.

— Qu’il en soit ainsi, mère. Bien entendu, quelques heures te suffiront pour prendre une décision…

— Est-ce tout ce que tu avais à me dire ? Si c’est le cas, je dois voir nos trois fugueuses.

— Il reste le problème des Seanchaniens, mère.

— Quel problème ? Tous les rapports disent qu’ils sont repartis sur l’océan, en route pour la Lumière seule sait où !

— C’est bien ce qui est arrivé – apparemment ! J’ai peur que nous n’en ayons pas fini avec eux. (Verin sortit de sa ceinture un petit carnet qu’elle feuilleta, le front plissé.) Ils se surnomment les Éclaireurs ou « Ceux Qui Reviennent Chez Eux », et ils parlent du Retour, comme si nos royaumes leur appartenaient. J’ai noté dans ce carnet tout ce que j’ai entendu dire à leur sujet. Des témoignages de première main, bien entendu, pas des ragots de ragots…

— Verin, tu t’inquiètes parce qu’un poisson-lion venimeux rôde dans la mer des Tempêtes. Pendant ce temps, des brochets argentés s’attaquent à nos filets afin de s’évader…

La sœur marron continua à tourner les pages.

— Un excellent choix de métaphore, mère, surtout le poisson-lion. Un jour, j’ai vu un requin être repoussé dans les basses eaux par un poisson-lion. Devine qui a fini par mourir ? (Verin tapota une page.) Voilà, c’est le plus grave : les Seanchaniens utilisent le Pouvoir de l’Unique au combat. Pour eux, c’est une arme.

Siuan plaqua les mains sur ses hanches et les referma sur le tissu de sa robe. Les rapports qu’elle avait reçus par pigeon voyageur mentionnaient ce dernier point. Le plus souvent, c’étaient des témoignages indirects, mais quelques femmes avaient vu de leurs yeux ce qu’elles décrivaient. Le Pouvoir utilisé comme une arme. En couchant ces mots sur le parchemin, les espionnes avaient tant d’angoisses que leur écriture en tremblait.

— Ce point précis nous vaut déjà des problèmes, ma fille, et ça s’aggravera à mesure que ces histoires seront connues et dramatisées à souhait… Mais que puis-je y faire ? On m’a assurée que ces envahisseurs étaient partis. As-tu des preuves du contraire ?

— Eh bien, pas vraiment, mère, mais…

— Jusqu’à ce que tu en obtiennes, occupons-nous des brochets argentés, avant qu’ils commencent à s’en prendre à la coque de notre bateau.

À contrecœur, Verin referma son carnet et le remit en place dans sa ceinture.

— Qu’il en soit ainsi, mère… Si je puis me permettre de demander, que comptes-tu faire de Nynaeve et des deux autres filles ?

La Chaire d’Amyrlin prit le temps de peser ses mots.

— Avant que j’en aie fini avec elles, nos fugueuses regretteront de ne pas pouvoir retourner au bord du fleuve et se vendre comme appâts à des pêcheurs…

Le simple énoncé d’une vérité qui pouvait cependant être prise de bien des façons différentes.

— Bien, assieds-toi, ma fille, et rapporte-moi tout ce que ces gamines ont dit et fait pendant qu’elles étaient avec toi. Je veux tout savoir.

13

Les punitions

Étendue sur son lit étroit, Egwene contemplait le mouvement des ombres projetées au plafond par la flamme de son unique lampe à huile. Elle aurait aimé pouvoir réfléchir à un plan, ou essayer de déterminer ce qui l’attendait. Peine perdue… Les ombres, là-haut, semblaient mieux organisées et plus cohérentes que ses pensées. Même au sujet de Mat, elle devait se forcer pour éprouver une once d’inquiétude. En temps normal, elle en aurait conçu une écrasante culpabilité. Là, cette honte la titillait à peine.

Comme toutes celles des novices, la chambre sans fenêtres était minuscule, rigoureusement carrée et uniformément peinte en blanc. Des portemanteaux tenaient lieu d’armoire, le lit occupait tout un mur et une étagère, sur celui d’en face, permettait de ranger quelques objets personnels. En des temps désormais révolus, la jeune fille y gardait des livres empruntés à la bibliothèque de la tour…

À force d’être frotté, le sol était presque aussi blanc que les murs et le plafond. Chaque jour qu’elle avait passé ici, Egwene s’était livrée au rituel du nettoyage – à quatre pattes, pour mieux briquer. Une corvée parmi tant d’autres, puisque la vie des novices, qu’elles soient filles d’aubergiste ou Fille-Héritière, était à la fois très simple et très rude.

Egwene portait de nouveau la tenue blanche d’une novice – entièrement immaculée, y compris la ceinture et la bourse. Mais être débarrassée du gris tant détesté ne la réjouissait pas. Car sa chambre, désormais, ressemblait à s’y méprendre à une cellule.