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Des épinoches et des petites truites s’enfuirent devant les sabots des chevaux, éclairs d’argent dans l’eau transparente. Un cerf qui était au gagnage leva la tête, hésita quand le groupe sortit du lit du ruisseau, puis s’enfonça en bondissant dans les bois et un grand lynx rayé de gris et tacheté de noir sembla jaillir du sol, contrecarré dans sa chasse. Il examina les chevaux un instant puis, fouettant l’air de sa queue, il disparut à la poursuite du cerf. Cependant, il y avait encore peu de vie visible dans les montagnes. Seulement une poignée d’oiseaux étaient juchés sur les branches ou becquetaient le sol à l’endroit où la neige avait fondu. Il en reviendrait davantage vers ces hauteurs d’ici quelques semaines, mais pas encore. Ils ne virent pas d’autres corbeaux.

L’après-midi approchait de sa fin quand Perrin les précéda entre deux montagnes escarpées, leurs pics enneigés toujours noyés dans les nuages, et remonta le long d’un cours d’eau plus petit qui dévalait la pente en giclant par-dessus des pierres grises dans une série de minuscules cascades. Un oiseau poussa son cri dans les arbres et un autre lui répondit de plus loin en avant.

Perrin sourit. L’appel d’un gorge-bleue. Un oiseau des Marches. Nul ne s’engageait dans cette direction sans être vu. Il se frotta le nez et ne regarda pas l’arbre d’où le premier cri d’oiseau était parti.

Leur sentier se rétrécit à mesure qu’ils montaient à travers des lauréoles rabougris et quelques chênes de montagne noueux. Le terrain suffisamment plat pour longer le torrent devint à peine assez large pour qu’y passe aisément un cavalier, et le torrent lui-même se fit étroit au point d’être franchi d’une enjambée.

Perrin entendit derrière lui Leya qui parlait entre ses dents. Quand il tourna la tête, elle jetait des regards inquiets sur les pentes abruptes qui les encadraient. Çà et là, des arbres s’y cramponnaient en équilibre instable au-dessus d’eux. Qu’ils ne tombent pas semblait impossible. Les hommes du Shienar chevauchaient paisiblement, commençant enfin à se détendre.

Tout à coup, une profonde cuvette ovale s’ouvrit devant eux entre les montagnes, ses pentes raides mais loin d’être aussi à pic que l’étroit défilé. Le torrent naissait d’une petite source à son autre extrémité. Les yeux perçants de Perrin repérèrent un homme au chignon du Shienar dans les branches d’un chêne à sa gauche. Qu’un geai aux ailes rouges ait lancé un appel au lieu d’un gorge-bleue, il n’aurait pas été seul et l’entrée dans cette cuvette n’aurait pas été aussi facile. Une poignée d’hommes pouvait défendre ce défilé contre une armée. Si une armée se présentait, une poignée serait obligée de suffire.

Au milieu des arbres entourant la cuvette se trouvaient des cabanes en rondins, pas visibles facilement au premier coup d’œil, de sorte que les hommes réunis autour des feux de cuisine au fond paraissaient d’abord sans abri. Il y en avait moins d’une douzaine en vue. Et guère davantage hors de vue, Perrin le savait. La plupart se retournèrent au bruit des chevaux, et quelques-uns saluèrent en agitant le bras. La cuvette semblait emplie des odeurs d’hommes, de chevaux, de cuisine et de bois qui brûle. Une longue bannière blanche pendait mollement d’un haut mât à côté d’eux. Une silhouette, au moins une fois et demie plus grande que les autres, était assise sur une bûche et s’absorbait dans un livre qui était minuscule dans ses mains de géant. L’attention de cette silhouette-là ne se détourna pas, même quand la seule autre personne sans chignon cria : « Alors vous l’avez trouvée, enfin ? Je pensais que vous y passeriez la nuit, cette fois-ci. » C’était une voix de jeune femme, mais elle portait un bliaud et des chausses de garçon et avait les cheveux coupés court.

Une rafale de vent tourbillonna dans la cuvette, faisant claquer les manteaux et onduler la bannière sur toute sa longueur. Pendant un instant, la créature qui y figurait donna l’impression de chevaucher le vent. Un serpent à quatre pattes aux écailles pourpre et or, avec une crinière dorée comme un lion et les pattes terminées par cinq griffes dorées. Une bannière légendaire. Une bannière que la plupart des gens ne reconnaîtraient pas s’ils la voyaient mais craindraient quand ils sauraient son nom.

Perrin eut un geste de la main qui englobait tout cela tandis qu’il entamait le premier la descente vers le fond de la cuvette. « Bienvenue au camp du Dragon Réincarné, Leya. »

2

Le saidin

Le visage impassible, la Tuatha’an regarda la bannière retomber mollement, puis tourna son attention vers ceux qui entouraient le feu. Surtout vers celui qui lisait, celui qui était une fois et demie plus grand que Perrin et deux fois plus massif. « Vous avez un Ogier avec vous. Je n’aurais pas cru… » Elle secoua la tête. « Où est Moiraine Sedai ? » La Bannière du Dragon aurait pu ne pas exister pour le cas qu’elle en faisait.

Perrin indiqua la cabane rudimentaire la plus éloignée sur la pente, à l’autre extrémité de la cuvette. Avec ses parois et son toit pentu en rondins, elle était la plus imposante, encore que pas très vaste, à la vérité. Peut-être juste suffisamment pour qu’on l’appelle chalet plutôt que cabane. « C’est celle-là, la sienne. La sienne et celle de Lan. Il est son Lige. Quand vous aurez eu à boire quelque chose de chaud… – Non. Il faut que je parle à Moiraine. » Il ne fut pas surpris. Toutes les femmes qui venaient insistaient pour parler sur-le-champ à Moiraine, et seule à seule. Les nouvelles que Moiraine jugeait bon de communiquer au reste d’entre eux n’avaient pas toujours l’air très importantes, mais ces femmes avaient la concentration d’un chasseur traquant pour sa famille affamée le dernier lapin existant sur terre. La vieille mendiante à demi gelée avait refusé des couvertures et une assiettée de ragoût bouillant et s’en était allée monter péniblement jusqu’au chalet de Moiraine, pieds nus dans la neige qui tombait toujours.

Leya se laissa glisser à bas de sa selle et tendit les rênes à Perrin. « Voulez-vous veiller à ce qu’elle soit nourrie ? » Elle caressa le nez de la jument pie. « Piesa, n’est pas habituée à me porter dans un pays aussi accidenté.

— Le fourrage est encore rare, répondit Perrin, mais elle aura ce que nous pouvons lui donner.

Leya inclina la tête et, sans rien dire de plus, gravit la pente en hâte, relevant sa jupe vert cru, la cape rouge brodée de bleu ondoyant derrière elle.

Perrin mit pied à terre en échangeant quelques mots avec les hommes qui avaient quitté les feux pour venir s’occuper des chevaux. Il confia son arc à celui qui se chargea de Steppeur. Non, à part un corbeau, ils n’avaient vu que les montagnes et la Tuatha’an. Oui, le corbeau était mort. Non, elle n’avait pas parlé de ce qui se passait au-delà des montagnes. Non, il ne savait pas s’ils partiraient bientôt.

Ou jamais, ajouta-t-il en son for intérieur. Moiraine les avait retenus là tout l’hiver. Les guerriers du Shienar ne pensaient pas que c’était elle qui donnait les ordres, pas ici, mais Perrin avait appris que les Aes Sedai s’arrangent toujours d’une manière ou d’une autre pour obtenir ce qu’elles veulent. Moiraine en particulier.

Quand les chevaux furent conduits à l’écurie primitive en rondins, les cavaliers allèrent se réchauffer. Perrin rejeta sa cape en arrière par-dessus ses épaules et tendit avec reconnaissance les mains vers les flammes. La grande marmite, fabriquée à Baetlon à en juger d’après son aspect, laissait échapper un fumet qui lui avait fait monter l’eau à la bouche depuis déjà un bon moment. Quelqu’un avait eu de la chance à la chasse aujourd’hui, semblait-il, et des racines protubérantes entouraient un autre foyer à proximité, dégageant en rôtissant sous les braises un arôme rappelant vaguement les navets. Il plissa le nez et se concentra sur le ragoût. De plus en plus, il préférait la viande au reste.