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Tu es présent ici trop fortement ! Chaque transmission causait un choc. Tu vas mourir, Jeune Taureau !

Si je ne libère pas le faucon, cela m’est égal, frère.

Alors partons en chasse, frère.

Nez au vent, les deux loups s’élancèrent à travers la plaine, en quête du faucon.

54

À l’intérieur de la Pierre

Les toits de Tear n’étaient pas un lieu de promenade nocturne pour quelqu’un de raisonnable, conclut Mat en scrutant les ombres projetées par la lune. Un peu plus de cinquante pas d’une large rue, à moins que ce ne fût une place étroite, séparaient la Pierre du toit de tuiles où il se trouvait, lui-même deux étages au-dessus des pavés. Mais quand ai-je jamais été raisonnable ? Les seules personnes de ma connaissance qui étaient tout le temps raisonnables étaient si ennuyeuses que rien que les regarder donnait envie de dormir. Rue ou place, il l’avait suivie tout autour de la Pierre depuis la tombée de la nuit ; le seul endroit où elle ne passait pas était le côté du fleuve, où l’Erinin coulait au pied même de la forteresse, et rien ne lui faisait obstacle sinon le rempart de la cité. Ce rempart n’était qu’à deux maisons sur sa droite. Jusque-là, le sommet du rempart semblait être le meilleur chemin jusqu’à la Pierre, mais un chemin qu’il ne se réjouirait pas follement d’emprunter.

Ramassant son bâton de combat et une petite boîte en fer-blanc avec une poignée en fil de fer, il s’avança avec précaution vers une cheminée de brique un peu plus proche du rempart. Le rouleau de fusées d’artifice – ce qui avait été rouleau avant qu’il le bricole dans sa chambre – se déplaça sur son dos. On aurait plutôt dit un ballot, à présent, toutes les fusées jointes ensemble aussi serré qu’il l’avait pu, mais encore trop gros pour être transporté dans le noir sur des toits. Un peu plus tôt, son pied avait glissé à cause de lui et avait envoyé une tuile glisser par-dessus le bord du toit, réveillant l’homme qui dormait dans une pièce au-dessous et qui avait crié « Au voleur ! », ce qui avait fait fuir Mat. Il remit en place le ballot d’un coup d’épaule machinal et s’accroupit dans l’ombre de la cheminée. Au bout d’un moment, il posa la boite en fer-blanc ; la poignée en fil de fer commençait à devenir désagréablement chaude.

Cela donnait un sentiment d’un peu plus de sécurité, d’observer dans l’ombre la Pierre, mais ce n’était pas beaucoup plus encourageant. Le rempart de la cité n’était pas, et de loin, aussi épais que ceux qu’il avait vus ailleurs, à Caemlyn ou à Tar Valon, pas plus d’un pas de large, renforcé par de grands contreforts de pierre pour le présent invisibles dans l’obscurité. Un pas était une largeur plus que suffisante pour marcher, bien sûr, à part que de chaque côté la hauteur de chute était de près de neuf toises. Dans le noir, jusqu’à des pavés. Mais quelques-unes de ces fichues baraques s’y adossent, je peux atteindre le sommet du rempart assez facilement, et il va fichtrement droit à cette bon sang de Pierre !

C’était exact et, par contre, pas particulièrement réconfortant. Les flancs de la Pierre ressemblaient à des falaises. Mesurant de l’œil la hauteur, Mat se dit qu’il serait capable de l’escalader. Bien sûr que je le peux. Exactement comme ces falaises des Montagnes de la Brume. Plus de quinze toises à la verticale avant d’atteindre des créneaux. Il devait y avoir des archières plus bas, mais il ne les distinguait pas dans la nuit. Quinze bon sang de toises. Peut-être dix-huit. Que je brûle, même Rand ne tenterait pas une escalade pareille. Seulement, c’était l’unique moyen d’entrer qu’il avait trouvé. Toutes les portes qu’il avait vues étaient hermétiquement fermées et paraissaient assez solides pour résister à l’assaut d’un troupeau de taureaux, pour ne rien dire de la douzaine environ de soldats les gardant pratiquement toutes, avec casques, cuirasses et épées à la ceinture.

Tout à coup, il cligna des paupières et plissa les yeux pour mieux voir la paroi de la Pierre. Oui, un fou l’escaladait, juste visible au clair de lune comme une ombre mouvante, et déjà à mi-hauteur, dix toises au-dessus de la rue pavée. Un fou, lui ? Eh bien, j’en suis un du même calibre puisque je vais grimper aussi. Que je brûle, il va probablement donner l’éveil là-dedans et provoquer ma capture. Il ne distinguait plus le grimpeur. Par la Lumière, qui est-ce ? Qu’importe qui il est ! Que je brûle, mais c’est un sacré moyen pour gagner une gageure. Je vais exiger un baiser d’elles toutes, même de Nynaeve !

Il changea de position pour regarder en direction du rempart, et soudain il eut de l’acier en travers de la gorge. Sans réfléchir, il l’écarta et du même mouvement de son bâton balaya de dessous lui les jambes de son adversaire. D’un coup de pied quelqu’un d’autre le déséquilibra de la même façon et Mat tomba presque par-dessus l’homme qu’il avait abattu. Il roula plus loin sur les tuiles, perdant le ballot de fusées – si ce ballot tombe dans la rue, je leur tords le cou ! – dans un grand moulinet de son bâton ; il le sentit heurter de la chair et pour la seconde fois entendit des grognements. Puis il y eut deux lames posées sur sa gorge.

Il se figea, un bras de-ci un bras de-là. La pointe de courtes lances, mates de sorte qu’elles ne reflétaient pour ainsi dire pas la faible lueur de la lune, s’appuyait sur sa chair à la limite d’en tirer du sang. Son regard remonta le long des lances Jusqu’au visage de qui les tenait, mais leurs têtes étaient cachées, la figure voilée de noir sauf les yeux qui le regardaient fixement. Que je brûle, faut-il pas que je tombe sur de vrais voleurs ! Qu’est-ce qui arrive à ma chance ?

Il arbora un sourire découvrant bien les dents pour qu’ils le distinguent au clair de lune. « Je n’ai pas l’intention de vous déranger dans vos occupations, alors si vous me laissez passer mon chemin je vous laisserai passer le vôtre et ne dirai rien. » Les hommes voilés ne bougèrent pas, non plus que leurs lances. « Je ne tiens pas plus que vous à alerter les gens. Je ne vous trahirai pas. » Ils restèrent immobiles comme des statues, les yeux sur lui. Que je brûle, je n’ai pas de temps à perdre avec ça. C’est le moment de lancer les dés. Pendant une seconde glaçante, il trouva étrange cette phrase surgie dans son esprit. Il resserra sa prise sur le bâton de combat gisant près de lui – et retint de justesse un cri comme quelqu’un plaquait brusquement un pied sur son poignet.

Il tourna les yeux pour voir qui. Quel imbécile bon à brûler je fais, j’ai oublié celui sur lequel je suis tombé. Néanmoins il vit une autre forme remuer derrière celle pesant sur son poignet et conclut que c’était peut-être aussi bien qu’il n’ait finalement pas pu se servir de son bâton.

Ce qui lui clouait le bras sur place était une botte souple, lacée jusqu’au genou. Cela mit en branle sa mémoire. Quelque chose concernant un homme rencontré dans les montagnes. Il examina jusqu’en haut la forme drapée de nuit, s’efforçant de distinguer la coupe et les couleurs de ses vêtements – ils semblaient tout ombre, les couleurs se fondant trop bien dans le noir pour les voir clairement – remontant le long d’un poignard à grande lame, suspendu à la ceinture du compagnon, jusqu’au voile sombre en travers de sa figure. Une face voilée de noir. Voilée de noir.

Des Aiels ! Que je brûle, qu’est-ce que des bon sang d’Aiels fabriquent ici ! Son estomac se serra comme il se rappelait avoir entendu dire que les Aiels se voilent quand ils tuent.

« Oui, dit une voix d’homme, nous sommes des Aiels. » Mat eut un sursaut ; il ne s’était pas rendu compte qu’il avait parié à haute voix.