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— Je sais qu’elles sont dans la Pierre. Et je connais une petite porte près du fleuve où un preneur-de-larrons a la possibilité d’entrer avec un prisonnier pour le conduire aux cellules. Les cellules où elles doivent se trouver. Si vous voulez me faire confiance, joueur, je nous mènerai jusque-là. Ce qui se passera ensuite est affaire de hasard. Peut-être votre chance nous permettra d’en ressortir vivants.

— J’ai toujours eu de la chance », répliqua lentement Mat. Est-ce que je me sens assez porté par la chance pour me fier à lui ? Il n’aimait pas beaucoup l’idée de feindre d’être un prisonnier ; le passage de la simulation à la réalité paraissait trop facile. D’autre part, le risque n’était pas plus grand que de tenter d’escalader dans le noir une paroi quasi verticale de près de cinquante toises de haut.

Il regarda machinalement vers le rempart et ses yeux s’écarquillèrent. Un flot d’ombres circulaient dessus ; des silhouettes indistinctes courant au pas gymnastique. Des Aiels, il en était sûr. Il devait y en avoir plus d’une centaine. Ils disparurent mais, à présent, il distinguait des ombres sur la façade pareille à une falaise qui était le côté à pic vertigineux de la Pierre de Tear. Autant pour monter par là. Ce grimpeur solitaire de tout à l’heure avait peut-être réussi à s’introduire à l’intérieur sans donner l’éveil – l’appel aux armes de Rhuarc – mais cent Aiels ou davantage produiraient l’effet de cloches sonnant à toute volée. Néanmoins, ils provoqueraient peut-être une diversion. S’ils causaient de la bagarre quelque part là-haut, à l’intérieur de la Pierre, alors celui qui gardait les cachots ne prêterait probablement pas grande attention à un traqueur-de-voleurs amenant un malandrin.

Ce serait aussi bien que j’ajoute un peu à la confusion. J’ai travaillé assez dur là-dessus. « Très bien, traqueur-de-voleurs. Seulement ne décidez pas en dernière minute que je suis un vrai prisonnier. Nous partirons pour votre porte dès que j’aurai donné un petit coup de pied dans la fourmilière. » Il eut l’impression que Sandar avait un air soucieux, mais il n’avait pas l’intention de lui expliquer plus qu’il n’y était obligé.

Sandar le suivit sur les toits, grimpant à des niveaux plus élevés aussi aisément que lui. Le dernier toit était juste un peu plus bas que le sommet du rempart et s’étendait jusqu’à lui, une question de se hisser plutôt que d’escalader.

« Qu’est-ce que vous faites ? chuchota Sandar.

— Attendez-moi ici. »

La boite en fer-blanc se balançant au bout d’une main par sa poignée en fil de fer et son bâton d’escrime tenu horizontalement devant lui, Mat respira à fond et se mit en marche vers la Pierre. Il s’efforça de ne pas penser à la distance qui le séparait de la chaussée pavée en bas. Par la Lumière, ce fichu machin a près de deux coudées de large ! Je pourrais le parcourir avec un bon sang de bandeau sur les yeux, en dormant ! Deux coudées de large dans le noir, et plus de huit toises jusqu’au pavé d’en bas. Il tenta aussi de ne pas se dire que Sandar ne serait pas la à son retour. Il était pratiquement engagé à jouer ce rôle stupide de voleur capturé par cet homme, mais ce n’était que trop probable qu’il reviendrait sur le toit pour constater la disparition de Sandar, peut-être amenant du renfort qui ferait de lui un prisonnier pour de bon. N’y pense pas. Contente-toi d’exécuter le travail qui t’attend. Au moins vais-je enfin voir ce que cela donne.

Comme il s’en était douté, il y avait une archière dans la muraille de la Pierre, une profonde entaille en forme de coin dans le roc aménageant une ouverture haute et étroite permettant à un archer de décocher une flèche. Si la Pierre était attaquée, les soldats de la garnison auraient besoin d’un moyen d’arrêter toute tentative pour suivre cette voie. La meurtrière était obscure, pour l’instant. Apparemment, personne n’était au guet. Cela aussi, c’était quelque chose à laquelle il s’était contraint de ne pas réfléchir.

Il posa vivement la boite en fer-blanc à ses pieds, plaça son bâton bien équilibré en travers du rempart tout contre la paroi de la Pierre et se délesta du ballot suspendu dans son dos. Il l’inséra précipitamment de force dans la meurtrière, le poussant aussi loin que possible ; il voulait obtenir dans la mesure de ses moyens que le maximum de bruit retentisse à l’intérieur. Relever de côté un coin de l’enveloppe en toile huilée révéla des fusées reliées ensemble. Après avoir un peu réfléchi, quand il était dans sa chambre, il avait coupé les plus longues mèches à la dimension des plus petites, se servant des morceaux obtenus pour lui faciliter d’attacher toutes les fusées ensemble. Vraisemblablement, elles prendraient feu en même temps, et un éclair joint à l’explosion qu’elles produisaient devraient suffire à alerter quiconque n’était pas sourd comme un pot.

Le couvercle de la boîte en fer-blanc était assez brûlant pour qu’il soit obligé de se souffler deux fois de suite sur les doigts avant qu’il réussisse à l’ouvrir – il regretta de ne pas connaître ce qu’avait été le truc d’Aludra pour allumer cette lanterne aussi facilement – et découvre le bout de charbon de bois sombre gisant à l’intérieur sur une couche de sable. La poignée en fil de fer se détacha pour devenir des pinces, et souffler un peu sur le bout de charbon le fit rougir de nouveau. Mat approcha la braise ardente du faisceau de mèches, laissa pinces et braise choir par-dessus le rempart tandis que les mèches s’enflammaient en sifflant, saisit vivement son bâton de combat et s’en retourna comme une flèche sur le rempart.

C’est fou, pensa-t-il en courant. Je me moque du vacarme que cela déclenchera. Je risque de me casser le cou comme un idiot en galopant comm… !

Le grondement derrière lui était le plus retentissant qu’il avait jamais entendu de sa vie ; un poing monstrueux le frappa dans le dos, lui coupant complètement le souffle avant même qu’il s’affale à plat ventre sur l’étroit chemin de ronde, retenant de justesse son bâton qui basculait par-dessus le bord. Il resta étendu un moment, s’efforçant de remettre ses poumons en marche, essayant de ne pas se dire qu’il devait avoir épuisé totalement sa chance cette fois-ci en ne tombant pas du haut du rempart. Ses oreilles bourdonnaient comme toutes les cloches de Tar Valon.

Se relevant avec précaution en s’appuyant sur ses bras, il regarda en arrière, en direction de la Pierre. Un nuage de fumée flottait autour de l’archière. Derrière cette fumée, la forme obscure de l’archière même semblait différente. Plus large. Il ne comprit pas comment ni pourquoi, mais elle semblait plus grande.

Il ne réfléchit qu’une seconde. À une extrémité du rempart Sandar attendait peut-être, avec l’intention de le conduire dans la Pierre comme pseudo-prisonnier – ou peut-être revenait précipitamment avec des soldats. À l’autre bout se pouvait qu’existe un moyen d’entrer sans risque d’être trahi par Sandar. Mat reprit à toutes jambes en sens inverse le chemin qu’il venait de parcourir, sans plus s’inquiéter de l’obscurité ou du précipice de chaque côté du rempart étroit.

L’archière était effectivement plus grande, la majeure partie de la pierre plus amincie au milieu ayant disparu, ce qui donnait un trou irrégulier comme si quelqu’un s’était acharné dessus à coups de marteau pendant des heures. Un trou juste suffisant pour qu’un homme y passe. Comment, au nom de la Lumière ! Le temps manquait pour se livrer à des spéculations.

Il s’inséra par l’ouverture déchiquetée, toussant à cause de la fumée âcre, sauta à l’intérieur et avait parcouru une douzaine d’enjambées rapides quand apparurent des Défenseurs de la Pierre, dix au moins, qui tous poussaient des exclamations confuses. La plupart n’étaient vêtus que de leur chemise et aucun n’avait de casque ou de cuirasse. Quelques-uns tenaient une lanterne, quelques autres une épée nue.