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Elle dénoua et réarrangea les flux de ses tissages avant même de s’en rendre compte, puis s’arrêta un instant pour considérer ce à quoi elle avait abouti. Trois tissages séparés et non seulement n’avait-elle eu aucune peine à les maintenir tous à la fois mais maintenant elle avait exécuté quelque chose ayant pour résultat qu’ils se maintiennent eux-mêmes. Elle sentait aussi qu’elle se rappelait comment elle s’y était prise. Et cela pouvait être utile.

Un moment après, elle désentortilla l’entrelacement d’une des tissures et l’Amie des Ténèbres sanglota autant de soulagement que de souffrance, « Je ne suis pas comme vous, dit Egwene. C’est la seconde fois que je fais une chose de ce genre et je n’aime pas ça. Il va falloir qu’à la place j’apprenne à trancher des gorges. » À voir l’expression de la Sœur Noire, elle pensait qu’Egwene avait l’intention de commencer son apprentissage par elle.

Avec un grognement de dégoût, Egwene la laissa plantée là, piégée et « isolée », et s’enfonça en hâte dans la forêt de colonnes lisses en grès rouge. Il devait y avoir quelque part un moyen de descendre jusqu’aux cachots.

Le silence envahit le couloir de pierre quand le dernier cri d’agonie fut interrompu par les mâchoires de Jeune Taureau qui se refermaient sur la gorge du Deux-Pattes, la broyant. Le sang avait un goût amer sur sa langue.

Il savait que c’était ici la Pierre de Tear, bien qu’incapable d’expliquer comment il le savait. Les Deux-Pattes gisant autour de lui, l’un lançant une ultime ruade avec les dents de Sauteur enfouies dans sa gorge, avaient émis l’odeur fétide de la peur en combattant. Ils avaient aussi émis une odeur d’ahurissement. Il ne pensait pas qu’ils étaient au courant de l’endroit où ils se trouvaient – ils n’appartenaient sûrement pas au rêve de loup – mais ils avaient été postés là pour l’empêcher d’atteindre cette haute porte devant lui, avec sa serrure de fer. Pour la garder, du moins. Ils avaient paru surpris de voir des loups. Il avait l’impression qu’ils avaient été stupéfaits de se voir là eux-mêmes.

Il s’essuya la bouche, puis regarda fixement sa main sans comprendre, pendant un instant. Il était de nouveau un homme. Il était Perrin. De retour dans son propre corps, dans le gilet de forgeron, avec le lourd marteau à son côté.

Nous devons nous dépêcher, Jeune Taureau. Il y a quelque chose de malfaisant à proximité.

Perrin dégagea le marteau de sa ceinture en se dirigeant à grands pas vers la porte. « Faile doit être ici. » Le marteau s’abattit, brisant la serrure. Il ouvrit la porte d’un coup de pied.

La salle était vide à part un long bloc de pierre au milieu. Faile gisait sur ce bloc comme si elle dormait, ses cheveux noirs déployés, son corps tellement enveloppé de chaînes que Perrin mit un moment à se rendre compte qu’elle était dévêtue. Chaque chaîne était fixée à la pierre par un boulon épais.

Il prit seulement conscience qu’il avait franchi l’espace qui les séparait quand sa main toucha le visage de Faile, son doigt suivant le contour de ses pommettes.

Elle ouvrit les yeux et lui sourit. « Je ne cessais de rêver que vous alliez venir, forgeron.

— Je vais vous libérer en une minute, Faile. » Il leva son marteau, écrasa un des boulons comme s’il était en bois.

« J’en étais sûre, Perrin. »

Comme son nom s’éteignait sur sa langue, elle aussi disparut. Avec fracas, les chaînes s’affaissèrent sur la pierre où elle avait été étendue.

« Non ! cria-t-il. Je l’avais trouvée ! »

Le rêve n’est pas comme le monde de chair, Jeune Taureau. Ici, la même chasse peut s’achever de nombreuses façons.

Il ne se tourna pas pour regarder Sauteur. Il savait que ses dents étaient découvertes dans un grondement. De nouveau, il brandit le marteau, l’abattit de toutes ses forces sur les chaînes qui avaient lié Faile. Le bloc de pierre se fendit en deux sous son coup ; la Pierre de Tear elle-même résonna comme une cloche.

« Alors je vais repartir en quête », dit-il d’un ton furieux.

Marteau en main, Perrin sortit à vive allure de la salle, Sauteur à côté de lui. La Pierre était un lieu d’hommes. Et les hommes, il le savait, étaient des chasseurs encore plus cruels que ne l’avaient jamais été les loups.

Des gongs d’alarme quelque part au-dessus envoyaient dans le couloir des « clangs » sonores, qui ne noyaient pas totalement le cliquetis du métal contre le métal et les cris d’hommes qui se battaient assez près de là. Les Aiels et les Défenseurs, supposait Mat. De hauts lampadaires dorés, chacun avec quatre lampes dorées, s’alignaient dans la salle où se trouvait Mat et, sur les murs de pierre polie, étaient suspendues des tapisseries de soie représentant des scènes de bataille. Il y avait même des tapis de soie sur le sol, rouge foncé sur bleu foncé, tissés dans le labyrinthe de Tear. Pour une fois, Mat était trop occupé pour évaluer le prix des objets.

Ce fichu gaillard est de première force, songea-t-il en réussissant à écarter de lui la pointe d’une épée, mais le coup qu’il se préparait à asséner sur la tête de son adversaire avec l’autre bout de son bâton de combat dut se transformer encore en parade de cette lame agressive. Je me demande si c’est un de ces fichus Puissants Seigneurs ? Il réussit presque à atteindre d’un coup vigoureux un genou, mais son adversaire recula d’un bond, sa lame verticale, dressée en garde.

L’homme aux yeux bleus portait évidemment la tunique à manches bouffantes, jaune à bandes en fil d’or, mais elle n’était pas boutonnée du tout, sa chemise était enfilée seulement à moitié dans ses chausses, et ses pieds étaient nus. Ses cheveux coupés court étaient ébouriffés comme ceux de quelqu’un tiré brusquement du sommeil, par contre il ne se battait pas comme tel. Cinq minutes plus tôt, il avait jailli d’une des hautes portes sculptées qui s’alignaient le long de cette salle, une épée dépourvue de fourreau dans les mains, et Mat n’était que trop content qu’il ait surgi devant eux et non derrière. Il n’était pas le seul homme habillé ainsi que Mat avait déjà affronté, mais il était sûrement le plus habile.

« Pouvez-vous passer à côté de moi, preneur-de-larrons ? » dit à haute voix Mat, en prenant soin de ne pas quitter des yeux l’homme qui l’attendait, l’épée prête à frapper. Sandar avait insisté avec irritation sur l’appellation « preneur-de-larrons » au lieu de « traqueur-de-voleurs », bien que Mat ne vit pas la différence.

« Je ne peux pas, répondit Sandar derrière lui. Si vous vous écartez pour que j’y aille, vous perdrez de la place pour vos moulinets avec cette rame que vous appelez bâton de combat, et il vous embrochera comme un grunt. »

Comme un quoi ? « Eh bien, trouvez quelque chose, homme de Tear. Ce gueux me porte sur les nerfs. »

L’homme à la tunique rayée d’or ricana. « Vous serez honoré de mourir sur la lame du Puissant Seigneur Darlin, paysan, si je le permets. » C’était la première fois qu’il daignait parler. « Au lieu de cela, je crois que je vais vous faire pendre tous les deux par les talons et regarder pendant qu’on vous arrachera la peau du corps…

— Je ne pense pas que cela me plairait », commenta Mat.

De s’entendre interrompre, la face du Puissant Seigneur s’enflamma d’indignation, mais Mat ne lui laissa pas le temps d’émettre un commentaire furieux. Son bâton virevoltant dans une double boucle serrée, si rapidement que les extrémités en devinrent floues, il bondit en avant. Tout ce que put faire un Darlin rageur fut de maintenir le bâton à l’écart de sa personne. Pour le moment. Mat savait qu’il ne serait pas capable de maintenir ce rythme bien longtemps et alors, s’il avait de la chance, on en reviendrait au jeu de l’attaque et de la parade. S’il avait de la chance. Cependant il n’avait pas l’intention de compter sur la chance cette fois-ci. Dès que le Puissant Seigneur eut le loisir de se mettre en posture de défense, Mat modifia son attaque à mi-évolution. L’extrémité du bâton que Darlin avait attendue à sa tête plongea pour faucher ses jambes sous lui. L’autre bout le frappa alors à la tête comme il tombait, d’un coup sec qui lui remonta les yeux vers le haut du crâne.