Выбрать главу

— Peut-être, répliqua lentement Moiraine. J’étais venue pour empêcher Be’lal de tuer Rand. Je ne m’attendais pas à voir tomber la Pierre de Tear.

Peut-être que nous le sommes. Les Prophéties s’accomplissent selon ce qu’elles sont censées annoncer et non pas comme nous pensons qu’elles le devraient. »

Be’lal. Mat frissonna. Il avait entendu ce nom la nuit dernière et il ne l’aimait pas davantage en plein jour. S’il avait été au courant qu’un des Réprouvés était en liberté – et à l’intérieur de la forteresse – il ne se serait jamais approché de la Pierre. Il jeta un coup d’œil à Egwene, Nynaeve et Élayne. Ah bah, je serais entré comme une fichue souris, en tout cas, pas en assommant des gens à droite et à gauche ! Sandar s’était esquivé hâtivement de la Pierre à la pointe du jour ; pour porter la nouvelle à Mère Guenna, avait-il prétendu, mais Mat pensait que c’était simplement pour échapper à ces regards inquisiteurs des trois jeunes femmes, qui avaient l’air de ne pas avoir encore définitivement déterminé ce qu’elles lui réservaient.

Rhuarc s’éclaircit la voix. « Quand un homme désire devenir chef de clan, il doit se rendre à Rhuidean, dans les terres des Aiels Jenn, le clan qui n’en est pas un. » Il parlait avec lenteur et regardait souvent le tapis de soie à franges rouges sous ses bottes souples, comme quelqu’un s’efforçant d’expliquer ce qu’il n’a pas du tout envie d’expliquer. « Les femmes qui souhaitent devenir Sagettes font aussi ce voyage, mais leur marque, si elles sont marquées, est gardée secrète entre elles. Les hommes qui sont choisis à Rhuidean, ceux qui survivent, reviennent marqués au bras gauche. Ainsi. »

Il releva ensemble les manches de sa tunique et de sa chemise pour découvrir son avant-bras gauche, la peau beaucoup plus pâle que celle de ses mains et de son visage. Gravée dans la peau comme si elle en faisait partie, enroulée deux fois autour du bras, se campait la même forme rouge et or qui ondulait sur la bannière flottant au-dessus de la Pierre.

L’Aiel laissa retomber ses manches avec un soupir. « C’est un nom qui n’est pas prononcé sauf parmi les chefs de clan et les Sagettes. Nous sommes… » Il s’éclaircit de nouveau la gorge, incapable de le dire ici.

« Les Aiels sont le Peuple du Dragon. » Moiraine parlait doucement, mais Mat ne se rappelait pas l’avoir jamais entendue s’exprimer avec un accent aussi proche de la surprise. « Ceci, je l’ignorais.

— Alors c’est réellement terminé, conclut Mat, exactement comme les Prophéties l’annonçaient. Nous n’avons plus qu’à nous en aller chacun de notre côté sans plus nous tourmenter. » L’Amyrlin n’aura plus besoin de moi pour emboucher ce fichu Cor maintenant !

« Comment peux-tu dire cela ? s’exclama Egwene avec emportement. Ne comprends-tu pas que les Réprouvés sont libres comme l’air ?

— Pour ne pas mentionner l’Ajah Noire, ajouta Nynaeve sévèrement. Nous n’avons pris qu’Amico et Joiya ici. Onze se sont échappées – et j’aimerais bien comprendre comment – et seule la Lumière sait combien d’autres il y en a que nous ne connaissons pas.

— Oui, dit Élayne d’un ton aussi dur. Je ne suis peut-être pas prête à affronter un des Réprouvés, mais j’ai bien l’intention d’avoir la peau de Liandrin, au moins des morceaux.

— Bien sûr, dit Mat avec aisance. Bien sûr. » Sont-elles folles ? Elles ont envie de donner la chasse à l’Ajah Noire et aux Réprouvés ? « Je voulais seulement dire que la partie la plus difficile est faite. La Pierre est tombée aux mains du Peuple du Dragon, Rand a Callandor, et Shai’tan est mort. »

Le regard de Moiraine se fit si féroce qu’il crut sentir la Pierre vaciller un instant.

« Tais-toi, espèce d’imbécile ! ordonna l’Aes Sedai d’une voix coupante. Tiens-tu à attirer son attention sur toi en nommant le Ténébreux ?

— Mais il est mort ! protesta Mat. Rand l’a tué. J’ai vu le cadavre ! » Et une belle puanteur qui en sortait. Je ne me suis jamais douté que quelque chose pouvait se décomposer aussi vite.

« Tu as vu “le cadavre”, rétorqua Moiraine en pinçant les lèvres. Le cadavre d’un homme. Pas celui du Ténébreux, Mat. »

Il regarda Egwene et ses deux compagnes ; elles semblaient aussi déconcertées que lui. Rhuarc avait l’air de penser à une bataille qu’il croyait gagnée et dont il apprenait maintenant qu’elle n’avait même pas été livrée. « Alors qui était-ce ? s’exclama Mat. Moiraine, ma mémoire a des trous assez grands pour y loger un chariot et son attelage, mais je me rappelle Ba’alzamon dans mes rêves. Je m’en souviens ! Que je sois brûlé, je ne vois pas comment je pourrai jamais l’oublier ! Et j’ai reconnu ce qui restait de cette face.

— Tu as reconnu Ba’alzamon, répliqua Moiraine. Ou plutôt l’homme qui disait s’appeler Ba’alzamon.

Le Ténébreux vit toujours, emprisonné dans le Shayol Ghul, et l’Ombre s’étend encore en travers du Dessin.

— Que la Lumière nous illumine et nous protège, murmura Élayne d’une voix faible. Je pensais… je pensais que les Réprouvés étaient ce que nous avions à nous soucier de pire, à présent.

— En êtes-vous sûre, Moiraine ? insista Nynaeve. Rand était certain – est certain – d’avoir tué le Ténébreux.

— Je peux en être sûre pour la plus simple des raisons, Nynaeve. Aussi vite que la décomposition l’ait dissous, c’était un corps d’homme. Pouvez-vous croire que si le Ténébreux était tué il laisserait un cadavre humain ? L’homme que Rand a tué était bien un homme. Peut-être était-il le premier des Réprouvés à être libéré ou peut-être n’avait-il jamais été entièrement enfermé. Connaîtrons-nous jamais la vérité sur ce point, c’est possible que non.

— Je… je pense avoir un renseignement sur son identité. » Egwene marqua un temps, hésitante. « Du moins ai-je quelque chose qui ressemble à un indice. Vérine m’a montré une page d’un vieux livre qui mentionnait ensemble Ba’alzamon et Ishamael. C’était presque écrit en Grand Chant et pratiquement incompréhensible, mais je me rappelle qu’il était question “d’un nom caché derrière un nom”. Il se pourrait que Ba’alzamon ait été Ishamael.

— Peut-être, convint Moiraine. Peut-être était-ce Ishamael. Mais si c’était le cas, au moins neuf des treize vivent encore. Lanfear, Sammael, Ravhin et… Bah ! Même savoir qu’une partie de ces neuf au moins sont libres n’est pas le plus important. » Elle posa la main sur le disque noir et blanc placé sur la table. « Trois des sceaux sont brisés. Seulement quatre tiennent encore. Seuls ces quatre s’interposent entre le Ténébreux et le monde, et cela se peut que même avec ceux-ci intacts il ait jusqu’à un certain point une prise sur le monde. Quelque bataille que nous ayons remportée ici – bataille ou escarmouche – c’est loin d’être la dernière. »

Mat regarda leur expression s’affermir – celle d’Egwene, de Nynaeve et d’Élayne – lentement, à regret, mais aussi avec détermination – et secoua la tête. Fichues bonnes femmes ! Elles sont toutes prêtes à continuer ça, à pourchasser l’Ajah Noire, à essayer de combattre les Réprouvés et ce fichu Ténébreux. Eh bien, qu’elles ne s’imaginent pas que je vais me précipiter pour de nouveau les tirer de la marmite. Qu’elles ne comptent pas là-dessus, un point c’est tout !