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Kolpakov ne se gênait ni devant le facteur ni devant les amies de Pâcha ; pourtant il prit à brassée, à tout hasard, ses habits et passa dans la chambre voisine. Pâcha courut ouvrir.

A son grand étonnement, elle vit sur le seuil non pas le facteur, ni une amie, mais une inconnue, jeune, belle, bien mise, et, selon toute apparence, une femme comme il faut.

8

(x) Diminutif de Prascovia (nom de la choriste). (Tr.)

IE DUEL

L'inconnue était pâle, et essoufflée comme si elle eût monté un long escalier.

— Que désirez-vous? lui demanda Pâcha.

La dame ne répondit pas tout de suite. Elle fit quelques pas en avant, jeta avec lenteur un regard cir­culaire sur la chambre, et s'assit comme si, fatiguée ou malade, elle ne pouvait tenir debout. Ensuite elle remua longtemps ses lèvres pâles, faisant effort pour dire quelque chose.

— Mon mari est ici ! fit-elle enfin, levant vers Pâcha ses grands yeux aux paupières rougies de larmes.

— Quel mari? marmotta Pâcha.

Et soudain elle s'effraya au point que ses pieds et ses mains devinrent froids.

— Quel mari? répéta-t-elle, se mettant à trem­bler.

— Mon mari... Nicolâï Pétrôvitch Kolpakov.

— No... non, madame... Je... je ne connais aucun mari.

Une minute s'écoula dans le silence. L'inconnue passa plusieurs fois son mouchoir sur ses lèvres pâles, et, pour surmonter son tremblement, retenait son souffle. Pâcha, comme fichée, restait immobile devant elle et la regar­dait avec crainte et perplexité.

— Alors, demanda la dame, d'une voix déjà plus ferme, avec un sourire étrange, vous dites qu'il n'est pas ici?

—• Je... je ne sais pas qui vous demandez.

— Vous êtes mauvaise, lâche, exécrable!... souffla l'inconnue en examinant Pâcha avec haine et dégoût. Oui, oui... vous êtes mauvaise ! Je suis très contente de pouvoir vous le dire !

Pâcha sentit qu'elle produisait sur cette dame en noir, aux yeux fâchés et aux doigts blancs, effilés, une impression atroce, abominable, et elle eut honte de ses joues rouges, pleines, dë son nez picoté de petite vérole, et de ses mèches sur le front, qu'elle ne pouvait jamais ramener en arrière. Il lui semblait que si elle eût été mince, non poudrée, et différemment coiffée, elle aurait pu cacher qu'elle n'était pas honnête. Il eût été alors moins effrayant et moins honteux de se trouver devant une dame mystérieuse.

— Où est mon mari?... continua la dame. Du reste qu'il soit ici ou ailleurs, peu importe... Je dois seule­ment vous dire qu'on a découvert dans sa gestion une irrégularité et qu'on cherche Nicolaï Pétrôvitch... On veut l'arrêter. Voilà votre œuvre !

L'inconnue se leva et se mit à marcher dans la chambre avec une vive agitation. Pâcha la regardait effarée, sans comprendre.

— On va le retrouver aujourd'hui même et l'arrêter, dit la dame avec un sanglot, dans lequel on sentait l'offense et le dépit. Je sais qui l'a entraîné à cette abomination ! Mauvaise, exécrable femme ! Dégoûtante, vénale créature !... (Les lèvres de la dame se crispèrent, et, de dégoût, son nez se fronça.) Je suis sans force... écoutez-moi, femme vile !... Je suis faible, vous êtes plus forte que moi, mais il est quelqu'un qui me dé­fendra, moi et mes enfants. Dieu voit tout ! Il est juste ! Il vous fera payer chacune de mes larmes, toutes mes nuits sans sommeil ! Un temps viendra où vous vous souviendrez de moi !...

Derechef un silence s'établit. La dame marchait dans la chambre et se tordait les mains; Pâcha continuait à la regarder d'un air stupide, perplexe, attendant quelque chose de terrible.

— J'ignore tout, madame, balbutia-t-elle.

Et elle se mit tout à coup à pleurer.

— Vous mentez, s'écria la dame, les yeux brillants, la -regardant avec colère. Je sais tout ! Je vous connais depuis longtemps. Je sais que, ce dernier mois, mon mari passait toutes ses journées ici.

— Oui. Et qu'est-ce que cela prouve? Je reçois beau­coup de gens, mais je ne force personne à venir ; chacun est libre.

— Je vous dis que l'on a découvert un détourne­ment. Il a dépensé l'argent qui ne lui appartenait pas. Pour une femme... comme vous.-., pour vous, il s'est décidé au crime ! Écoutez, dit-elle d'un ton résolu, s'ar- rêtant devant la choriste, vous ne pouvez pas avoir de principes ; vous ne vivez que pour faire le mal ; c'est votre but ; mais on ne peut croire que vous soyez tombée si bas qu'il ne subsiste en vous aucune trace de senti­ment humain ! Nicolâï Pétrôvitch a une femme, des enfants... Si on le condamne, si on le relègue, mes enfants et moi nous mourrons de faim... Comprenez ça ! Et pourtant, il y a un moyen de le sauver, lui et nous, de la pauvreté et du déshonneur. Si je verse aujourd'hui neuf cents roubles, on le laissera en paix. Rien que neuf cents roubles !

— De quels neuf cents roubles me parlez-vous? de­manda doucement Pâcha. Je... je ne sais pas... Je ne les ai pas pris...

— Je ne vous demande pas neuf cents roubles... Vous n'avez pas d'argent, et je n'ai besoin du vôtre. Je demande autre chose... Les hommes offrent d'ordi­naire à des femmes comme vous des bijoux. Rendez- moi seulement ceux que mon mari vous a donnés !

— Madame, dit Pâcha, d'une voix perçante, com­mençant à comprendre, il ne m'a jamais donné aucun bijou !

— Où donc est l'argent? Il a dépensé le sien, le mien, celui des autres... Où tout cela est-il passé?... Écoutez, je vous en prie ! Je me suis laissé emporter et vous ai dit des choses désagréables, mais je m'excuse. Vous devez me haïr, je le sais, mais, si vous êtes capable de pitié, mettez-vous à ma place ! Je vous en supplie, rendez-moi les bijoux !

— Hm... dit Pâcha, haussant les épaules, je le ferais avec plaisir; mais, que Dieu me confonde, monsieur votre mari ne m'a jamais rien donné ! Croyez-en ma parole. Mais pourtant, vous avez raison, fit la chan­teuse troublée ; il m'a apporté une fois deux petits objets. Si vous le voulez, je vais vous les remettre...

Pâcha ouvrit un des tiroirs de sa coiffeuse et en sortit un bracelet en or creux et une mince bague, ornée d'un rubis.

— Voici, prenez, je vous en prie ! dit-elle, tendant ces objets à la visiteuse.

La dame devint pourpre et son visage trembla sous l'insulte.

— Que me donnez-vous là? dit-elle. Je ne demande pas la charité ; je demande ce qui ne vous appartient pas..., ce que vous avez extorqué à mon mari... cet homme faible et malheureux... profitant de votre situa­tion... Jeudi, quand je vous ai vue avec lui, au débar­cadère, vous aviez des broches et des bracelets de prix. Pourquoi jouer avec moi à l'agneau innocent? Je vous le demande, une dernière fois : me remettez-vous les bijoux?

— Que vous êtes étrange, en vérité!... dit Pâcha, commençant à s'offenser. Je vous assure que je n'ai rien reçu de votre Nicolâï Pétrôvitch, sauf ce bracelet et cette petite bague. Il ne m'apportait que des gâteaux.

— Des gâteaux !... ricana la dame. A la maison, les enfants n'ont rien à manger, et, ici, il y a des gâteaux !... Vous refusez, décidément, de me rendre les bijoux?

Ne recevant pas de réponse, la dame s'assit, et, pen­sive, regarda fixement devant elle.

— Que faire maintenant? marmotta-t-elle. Si je ne trouve pas neuf cents roubles, il est perdu et je le suis, ainsi que mes enfants. Tuer cette misérable ou me jeter à genoux devant elle?...

La dame s'enfouit le visage dans son mouchoir de poche et se mit à sangloter.

— Je vous en prie ! dit-elle à travers ses sanglots. Vous qui avez ruiné et perdu mon mari, sauvez-le à présent!... Si vous n'avez pas pitié de lui, il y a les enfants... les enfants!... Quelle est leur faute, à eux?

Pâcha s'imagina les petits dans la rue, pleurant de faim, et elle se mit à pleurer elle aussi.

— Que puis-je faire, madame? demanda-t-elle. Vous dites que je suis une misérable et que j'ai ruiné Nicolâï Pétrôvitch; et je vous le dis, comme devant Dieu lui- même..., je vous assure que je n'ai tiré de lui aucun profit... Seule, parmi nous, Môtia a un ami riche ; toutes les autres nous avons à peine le pain et le beurre (i). Je recevais Nicolâï Pétrôvitch parce qu'il est instruit