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Le regardant d'un air soupçonneux, Rothschild s'ap­procha lentement ; il s'arrêta à quelques pas.

— Faites-moi la grâce, lui dit-il en s'inclinant, de ne pas me battre!... Moïssey Ilytch m'envoie ici une se­conde fois. « N'aie pas peur, me dit-il, retourne chez Iâkov, et dis-lui, dit-il, qu'on ne peut pas se passer de lui! Mercredi il y a une noche... » Oui, M. Chapovâlov marie sa fille à un brave homme... Et la noche sera riche, ouh!... ajouta le juif en fermant un œil.

— Je ne peux pas... prononça Iâkov, la respiration coupée ; je suis malade, frère !

Et il se remit à jouer; des larmes coulèrent tout à coup sur son violon.

Rothschild écoutait attentivement, placé de biais, les mains croisées sur la poitrine. L'expression effarée, in­compréhensible de son visage se changea peu à peu en une expression triste et douloureuse. Il leva les yeux en l'air comme s'il ressentait une torturante extase, et il fit : Vakh!

Et des larmes coulèrent lentement sur ses joues et dégouttèrent sur sa redingote verte.

Toute la journée ensuite Iâkov resta couché, le cœur serré. Quand le prêtre, en le confessant, le soir, lui demanda s'il ne se rappelait pas quelque péché parti­culier, faisant effort pour se souvenir malgré sa fai­blesse, il se remémora le visage malheureux de Mârfa et le cri désespéré du juif que le chien mordait ; et il dit d'une voix à peine perceptible :

— Mon violon, vous le donnerez à Rothschild.

— Bien, répondit le prêtre.

*Maintenant tout le monde se demande en ville où Rothschild a pris un si bon violon. L'a-t-il acheté ou volé, ou peut-être le lui a-t-on remis en gage pour de l'argent prêté? Il a depuis longtemps abandonné la flûte ; il ne joue maintenant que du violon. Sous son archet filent des sons aussi plaintifs qu'il en sortait jadis de sa flûte; mais, quand il tâche de répéter ce que jouait lâkov, assis sur le seuil de son isba, il s'en envole quelque chose de si triste, de si douloureux que les auditeurs pleurent, et lui-même, à la fin, les yeux reversés, s'écrie : vakh!...

Et cette nouvelle chanson a tellement plu en ville que les marchands et les fonctionnaires invitent Rothschild à qui mieux mieux et la lui font jouer jusqu'à dix fois.

1894.