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— Ça venait de cette maison, cria quelqu’un dont la voix montait des broussailles, dans le jardin.

Des pieds froissèrent les feuilles mortes qui envahissaient tout et résonnèrent sur les marches de bois du perron.

Gordon rengaina son poignard et, laissant la boîte intacte auprès du lit, se rua dans la cage d’escalier.

Ce n’étaient pas les circonstances rêvées pour faire connaissance avec d’autres hommes.

Certes, à Boise ou dans d’autres champs de ruines similaires, on en était presque arrivé à respecter une sorte de code. Les glaneurs venus des ranches des alentours pouvaient librement tenter leur chance en ville et, quoique chacun observât une élémentaire prudence, il était rare de voir des groupes ou des individus s’entre-dépouiller. Une seule chose restait néanmoins susceptible de les amener à s’unir sur le mode agressif : une rumeur concernant la présence d’un holniste dans les parages. Sinon, ils avaient plutôt tendance à ne pas s’occuper des autres.

Mais il y avait toujours des endroits où les notions de territoire restaient la règle… une règle qu’on se chargeait de faire cruellement respecter. Gordon marchait peut-être, pour l’heure, sur les plates-bandes de quelque clan sourcilleux.

Dans le doute, il était plutôt conseillé de s’éclipser vite fait et sans demander son reste.

D’accord… se dit-il en couvant d’un œil angoissé le coffre qu’il était contraint d’abandonner. Mais c’est tout de même à moi, ça, bon sang !

Des bottes gravissaient bruyamment les marches. Il n’était plus temps de refermer la trappe ou de dissimuler quelque part le lourd trésor. Gordon jura tout bas et, le plus silencieusement possible, traversa le palier pour gagner l’étroite échelle de meunier qui conduisait au grenier.

Le dernier étage de la demeure se réduisait à la longue nef d’une charpente nue. Gordon avait déjà inventorié les objets inutilisables amassés là et que personne n’avait jamais pu se résoudre à jeter. À présent, il n’y cherchait rien d’autre qu’une cachette. Il passa au ras des poutres pour éviter de faire craquer le plancher puis, avisant une grande malle devant le renfoncement d’une petite lucarne, alla y poser son sac et son carquois. Vite, il raccrocha la corde de son arc.

Allaient-ils fouiller la maison ? Si oui, le coffre leur sauterait aux yeux, sans le moindre doute.

En ce cas, y verraient-ils un don du ciel dont il était l’intermédiaire et accepteraient-ils de partager avec lui son contenu ? Gordon avait déjà constaté de pareilles survivances d’un sens primitif de l’honneur.

Abrité derrière la malle, il pourrait tenir en joue quiconque se présenterait à l’entrée du grenier… quoiqu’il ne se fît pas d’illusions sur ce qu’on pouvait attendre, acculé comme il l’était au dernier étage d’une maison de bois. Si régressifs qu’ils fussent devenus, les gens du coin n’avaient certainement pas oublié comment faire du feu.

Il distinguait maintenant pour le moins le bruit de trois paires de bottes qui grimpaient l’escalier d’un pas vif, franchissant à tour de rôle l’espace découvert de chaque palier. Lorsque tout le monde fut au deuxième étage, Gordon entendit un cri :

— Hé, Karl, vise un peu ça !

— Qu’est-ce qui se passe ? T’as coincé deux gosses qui jouent au docteur dans un vieux plumard… oh… merde !

Il y eut un bruit sourd, suivi par le martèlement d’un objet métallique sur du métal.

— Merde !

Gordon leva les yeux au ciel. Karl avait un vocabulaire sommaire mais particulièrement expressif.

Il y eut des bruits de papiers froissés et déchirés, accompagnés d’un surcroît d’exclamations scatologiques. Puis une troisième voix monta, beuglant à la cantonade :

— Ah sûr ! C’est chouette de la part de ce type de nous avoir déniché ça ! J’aimerais qu’on puisse le remercier. Ah, ouais ! Faudrait vraiment qu’on fasse sa connaissance pour être sûr de ne pas lui tirer dessus si par hasard on le croise.

S’il s’agissait d’un appât, Gordon n’était pas près d’y mordre. Il attendit.

— Bon, ce type mérite tout de même qu’on lui donne un conseil, enchaîna plus fort encore la première voix. La règle à Oakridge, c’est de tirer le premier. Aussi ferait-il mieux d’évacuer le secteur avant que quelqu’un ne s’avise de lui creuser dans le corps un trou deux fois plus grand que celui que les survivalistes ont entre les oreilles.

Gordon hocha la tête, appréciant le conseil à sa juste valeur.

Les pas s’éloignèrent. De plus en plus faiblement, ils résonnèrent jusqu’au bas des marches puis sur le plancher du porche.

Par la lucarne, Gordon vit trois hommes traverser le jardin puis se diriger vers un boqueteau de tsugas. Ils étaient armés de fusils et chargés de sacs à dos gonflés de butin. Le temps pour lui de gagner une autre fenêtre mieux placée, ils avaient disparu dans les bois, mais nul autre mouvement ne semblait rompre l’immobilité des choses. Personne à l’autre bout de la rue n’effectuait un brusque crochet pour se mettre à couvert.

Gordon était pratiquement sûr d’avoir reconnu trois paires de pieds. Et il avait entendu trois voix. De toute façon, il était peu probable qu’un homme fût resté seul pour lui tendre un piège. Il ne regagna toutefois l’entrée du grenier qu’avec une extrême prudence et, dès qu’il fut en vue des premières marches, s’étendit à plat ventresac, arc et carquois près de lui – pour ramper jusqu’à ce qu’il eût la tête et les épaules au-dessus de l’ouverture, à quelques centimètres du niveau du plancher. Il sortit alors son revolver et le tint à bout de bras, droit devant lui, puis laissa basculer le haut de son corps dans une chute en arc de cercle dont la soudaineté avait toutes les chances de déjouer un éventuel guet-apens. Le sang se rua dans son crâne, et Gordon se retrouva en position de vider instantanément son chargeur sur tout ce qui bougeait.

Mais rien ne bougea. Il n’y avait personne dans le couloir du deuxième étage.

Sans relâcher sa surveillance, il récupéra son sac et le jeta sur les marches qu’il dévala jusqu’au palier inférieur.

Le vacarme ne suscita aucune intervention.

Gordon ramassa le restant de ses affaires et emprunta le même chemin que son sac. Puis il remonta le couloir dans le plus pur style d’une progression de commando.

Le coffre gisait au pied du lit, ouvert et vide ; tout autour des papiers déchirés étaient éparpillés. Gordon s’y était attendu : il reconnut les vestiges de titres boursiers, d’une collection de timbres et de l’acte de propriété de la maison.

Puis il aperçut des débris d’une tout autre nature.

Le couvercle éventré d’une boîte de cartonrestée jusqu’à ce jour intacte dans son emballage de cellophane – montrait deux joyeux canoteurs, fiers d’exhiber la carabine démontable qu’ils venaient d’acheter. En examinant de plus près l’arme représentée sur le dessin, Gordon réprima un cri de désespoir. Elle devait avoir été livrée avec des boîtes de munitions.

Putains de voleurs ! songea-t-il avec amertume.

Mais ce fut pire encore lorsqu’il découvrit l’étiquette d’un autre carton piétiné qui traînait par terre, codéine, érythromycine, mégavitamine composée, morphine… les vignettes et les boîtes étaient là, quoique réduites en miettes, mais les flacons avaient disparu.

À condition de s’y prendre avec prudence… de commencer par mettre les médicaments en lieu sûr pour les négocier ensuite, au coup par coup… Gordon aurait pu tirer de ce marché de quoi payer son admission dans n’importe quel village. Et peut-être même de décrocher une place de stagiaire dans l’un de ces ranches communautaires prospères du Wyoming !