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Gordon n’avait pas la moindre idée de ce dont elle parlait. Il prêtait une oreille vague au bavardage de la jeune femme. Il se demandait comment trouver le moyen de transporter Dena en plein délire, et souffrant de blessures désespérées, sur des kilomètres et des kilomètres de lignes ennemies. Ils devaient s’enfuir avant le retour de Macklin et de ses holnistes.

La mort dans l’âme, il s’avoua que leurs chances étaient nulles.

— J’crois qu’on a tout gâché, Gordon… pourtant, on a fait ce qu’on a pu ! On a essayé…

Elle secoua la tête et des larmes roulèrent sur ses joues lorsque Gordon la prit dans ses bras.

— Oui, chérie, je sais. Tu as fait de ton mieux.

À son tour, il sentit sa vision se brouiller. Sous les effluves douceâtres de la sueur et des plaies infectées, il reconnaissait l’odeur naturelle de Dena. Et il prenait conscience – beaucoup trop tard, hélas ! – de ce que ce parfum représentait pour lui. Il la serra très fort, plus fort qu’il n’aurait dû, refusant de la voir partir.

— Tout ira bien, maintenant. Je t’aime. Je suis là, je vais m’occuper de toi.

Dena soupira.

— Tu es là. Oui, tu es… (Elle lui étreignit le bras.) Tu… (Son corps se tendit soudain et un frisson la parcourut de la tête aux pieds.) Oh, Gordon ! cria-t-elle. Je vois… Est-ce que, toi aussi, tu… ?

Ses yeux croisèrent les siens. Il reconnut la flamme qui brûlait en eux.

Puis ce fut la fin.

— J’ai vu, dit-il avec douceur. (Elle reposait toujours au creux de ses bras.) Peut-être pas aussi clairement que toi, mais j’ai vu…

18

De retour dans la grande pièce, il vit Marcie et Heather penchées sur une tâche dont il préférait ne pas connaître les détails.

Plus tard, il prendrait le temps de pleurer Dena. Pour l’heure, il avait autre chose à faire : emmener les deux femmes loin d’ici, par exemple. Leurs chances de réussir étaient minces mais, s’il parvenait à leur faire gagner les Callahans, elles y seraient en sécurité.

Quelles que dussent être les difficultés rencontrées dans la réalisation de ce premier objectif, Gordon savait qu’il ne serait pas au bout de ses peines. Il avait de multiples obligations à remplir. Il devait regagner Corvallis d’une manière ou d’une autre – si la chose était humainement possible – et tenter de conformer sa vie à la ridicule et superbe image que Dena s’était faite d’un héros… en mourant pour défendre Cyclope, peut-être, ou en prenant la tête d’une charge désespérée des « postiers » contre un ennemi invincible.

Il se demanda un instant si les chaussures de Bezoar seraient à sa pointure ou si, avec les chevilles vilainement gonflées qu’il avait, il ne ferait pas mieux de rester pieds nus.

— Assez perdu de temps, dit-il aux femmes. Filons !

Il se penchait pour ramasser l’automatique de Bezoar quand une voix grave et rocailleuse l’immobilisa net.

— Très bon conseil, mon jeune ami. Savez-vous que j’aimerais vraiment pouvoir considérer comme un ami un homme tel que vous. Bien sûr, ça ne m’empêchera pas d’ouvrir une jolie boutonnière dans votre corps si vos doigts viennent à toucher ce pistolet.

Gordon laissa l’arme où elle était et se redressa lentement. Le général Macklin était sur le seuil, une dague au poignet, en position de jet.

— Écartez-le de vous, reprit le chef holniste d’une voix tranquille.

Gordon obéit. D’un coup de pied, il expédia l’automatique dans un coin sombre.

— Voilà qui est mieux. (Macklin rengaina sa lame. Il fit un signe de tête aux femmes.) Foutez le camp, leur dit-il. Et au galop. Tâchez de vivre, si ça vous dit, et si vous en êtes capables.

Les yeux fous de terreur, Heather et Marcie rasèrent les murs pour se glisser entre Macklin et la porte puis disparurent dans la nuit. Gordon ne doutait pas qu’elles allaient courir sous la pluie jusqu’à tomber d’épuisement.

— Je suppose que les mêmes dispositions ne me sont pas applicables, dit-il d’une voix lasse.

Macklin sourit et fit non de la tête.

— Je suis venu vous demander de m’accompagner là-bas. J’ai besoin de votre concours.

Une lampe-tempête dispensait sa lumière sur un coin de la clairière, de l’autre côté de la route, relayée de temps à autre par l’éclair lointain de l’orage ou par l’exceptionnelle et fugace apparition de la lune dans une trouée de nuages. Gordon était trempé jusqu’aux os. La pluie battante l’avait assailli dès qu’il était sorti en boitillant sur les talons de Macklin. Ses chevilles saignaient et rougissaient l’eau des flaques sous ses pas.

— Votre Noir est meilleur que je ne pensais, dit Macklin en tirant Gordon sous la lanterne. Ou c’est ça, ou il bénéficie d’une aide… quoique la dernière hypothèse soit assez peu vraisemblable : s’il n’était pas seul, mes gars auraient relevé d’autres traces que les siennes. Quoi qu’il en soit, Shawn et Bill ont payé le prix de leur imprudence. C’est justice.

Pour la première fois, Gordon entrevit ce qui se passait.

— Vous voulez dire…

— Il est encore trop tôt pour vous réjouir, l’interrompit Macklin, cinglant. Mes troupes sont à moins d’un kilomètre et je dispose d’un pistolet lance-fusées dans mes fontes. N’allez pas croire cependant que j’irai appeler au secours. (Son sourire revint.) Bon, maintenant je vais vous montrer ce que signifie cette guerre. Vous et votre éclaireur, vous êtes précisément de la trempe des holnistes, et vous êtes destinés à le devenir. Si vous ne l’êtes pas encore, c’est uniquement parce que vous avez été détournés de cette voie dès votre plus jeune âge par une propagande débilitante. Je vais profiter de l’occasion pour vous convaincre que votre éducation vous a rendu faible.

Refermant l’étau de sa poigne sur le bras de Gordon, Macklin cria dans la nuit :

— Soldat noir ! C’est le général Volsci Macklin qui vous parle. J’ai là votre commandant… votre inspecteur des postes ! (Il accompagna ces derniers mots d’un rire moqueur.) Il ne tient qu’à vous d’obtenir sa mise en liberté. Mais vous avez très peu de temps pour vous décider car, à l’aube, mes hommes m’auront rejoint. Je vous propose un combat singulier dont il sera l’enjeu ! Je vous laisse le choix des armes !

— N’accepte pas, Philip ! C’est un ac…

L’avertissement de Gordon se perdit dans un cri de douleur. Macklin lui tira violemment le bras et lui déboîta presque l’épaule. Il plia les genoux et s’écrasa à terre. La douleur lancinante dans ses côtes était un supplice ; sa poitrine était le foyer d’ondes de choc qui lui coupaient le souffle.

— Allons, allons ! Comprenez : si votre homme n’est pas déjà au courant pour Shawn, c’est qu’il ne doit qu’à la chance d’avoir descendu mon garde du corps. Auquel cas, vous serez d’accord avec moi pour dire qu’il ne mérite aucun égard particulier, non ?

Au prix d’un effort immense, Gordon parvint à relever la tête, son souffle s’échappait en sifflant entre ses dents serrées. Surmontant la nausée qui l’assaillait par vagues, il se releva sur ses jambes chancelantes. La forêt tournait autour de lui mais il refusait d’être surpris à genoux aux pieds de Macklin.

Le général le gratifia d’un grognement sourd, comme s’il n’avait pas espéré autre chose d’un homme digne de ce nom. L’« accru » frémissait de tous ses muscles, comme un chat prêt à bondir. Ensemble, ils attendirent, à l’extérieur du cercle de lumière. Les minutes passèrent. L’averse continuait, accompagnée de rafales intermittentes.

— C’est votre dernière chance, Blackie ! (En un clin d’œil, Gordon eut sur la gorge le poignard de Macklin tandis qu’une étreinte d’anaconda lui tordait le bras jusqu’entre les omoplates.) Dans trente secondes, votre inspecteur est mort si vous ne vous êtes pas montré ! Le compte à rebours est commencé !