Il s’époussette.
LEO
Vous êtes sûr ? Vous n’êtes pas blessé ?
MICHAEL
Je crois que j’aurais dû regarder où j’allais. C’est de ma faute. J’étais du mauvais côté de la rue… oh, bon Dieu, mon devoir !
MICHAEL considère avec horreur les feuilles de papier dispersées autour de lui et à l’intérieur de la voiture.
LEO
Je les ramasse pour vous. Je les ramasse, pas de problème. S’il vous plaît, restez où vous êtes.
MICHAEL regarde à l’intérieur de son sac.
MICHAEL
La plus grosse partie est encore là. Bon sang, j’ai cru que j’étais mal barré.
LEO bondit en collectant les feuilles à l’intérieur de sa voiture et sur le trottoir.
LEO
Tenez. Elles n’ont rien. Elles…
Il s’interrompt. Il a vu la page de titre. MICHAEL le regarde innocemment.
MICHAEL
Elles sont toutes là, monsieur ? Je crois qu’il me manque…
(il inspecte sa sacoche)
…les pages 1 à 24.
LEO parcourt les pages en comptant. MICHAEL scrute avec attention son expression.
LEO
(intrigué, mais vigilant)
Toutes là. Vous êtes étudiant en histoire ?
MICHAEL
Moi ? Oh, non, monsieur. En philosophie.
LEO
En philosophie ? Mais le titre de votre travail, c’est…
MICHAEL
Oh, oui ! Vous voyez, j’écris un essai sur le Mal.
LEO
Le Mal ? Un essai sur le Mal ?
MICHAEL
Ouais ouais. Pour mon cours d’éthique. Je me suis documenté sur les premières années de Rudolf Gloder. Tous les détails de son enfance. Elle n’est pas très étudiée. Vous seriez surpris de ce que j’ai découvert. Des trucs sur sa mère, sa naissance. Tout. J’ai une théorie sur… Oh, excusez-moi, monsieur. Je vous embête.
LEO
Non, non. Pas du tout. M’embêter ? Non.
MICHAEL tend la main.
MICHAEL
Si je peux les récupérer, monsieur ?
LEO
(la tête ailleurs)
Pardon ?
MICHAEL
Les pages ?
LEO
Oh, oui. Bien sûr. Tenez. Excusez-moi.
(tend les pages à MICHAEL, qui les range dans le sac)
C’est simplement que ça parait tellement injuste. Un garçon comme vous, ici… dans ce pays. En Amérique.
MICHAEL
Monsieur ?
LEO
Que vous vous préoccupiez d’un tel sujet. Que pouvez-vous savoir du Mal ?
MICHAEL
Oh, je crois qu’on en connaît tous un peu sur le Mal, monsieur. Je veux dire, il suffit d’ouvrir le journal, vous ne croyez pas ? Le crime. Des enfants assassinés. La corruption. Et au cours de l’histoire. Les bombes sur Moscou et Leningrad. L’ELJ. Les…
LEO
Euh, pardon ? L’Elgi ? Qu’est-ce que c’est, cet Elgi ?
MICHAEL
E-L-J, monsieur. L’État-Libre juif ?
LEO
Ah, bien sûr. ELJ. Je comprends. Que savez-vous de cet ELJ ?
MICHAEL
(haussant les épaules)
Ben, pas plus que n’importe qui, je suppose. Il y a des rumeurs. Mais vous savez…
LEO
(opinant)
Oui. Toujours il y a des rumeurs.
MICHAEL
Bon, je suis désolé pour l’accident, monsieur… Je crois qu’il vaudrait mieux que j’y aille…
MICHAEL considère avec abattement la roue avant de son vélo, qui est tordue, le pneu à plat, les rayons cassés.
LEO
Y aller ? Grand Dieu, qu’est-ce que vous dites ? Vous devez entrer et vous nettoyer. Je vais faire réparer votre bicyclette.
MICHAEL
Oh… ce n’est pas nécessaire, monsieur…
LEO
Non, non, j’insiste. S’il vous plaît. Et après, je vous donne un… quel est le mot ? Où vous voulez aller.
MICHAEL
Lift.
LEO
(surpris)
Lift pour déposer ? C’est l’expression anglaise, non ?
Oups…
MICHAEL
(précipitamment)
Nous employons parfois lift. Ou ride.
LEO
Ah, oui, Ride. C’est le mot que je cherchais. Beaucoup plus américain. Je vous propose un ride jusqu’en ville, partenaire. D’abord, vous vous nettoyez, s’il vous plaît.
MICHAEL ramasse son vélo et l’appuie contre la haie. Ils marchent ensemble, MICHAEL boitant bravement, et remontent l’allée jusqu’à la porte d’entrée de la maison.
SCÈNE 27 :
UN AUTRE ANGLE :
LEO et MICHAEL, à travers une TRÈS LONGUE FOCALE qui tremble légèrement, entrent dans la maison et la porte se ferme.
UN AUTRE ANGLE :
STEVE, perché dans un arbre, regarde par son appareil photo auquel est fixé un gros téléobjectif.
Il le pose et s’assoit sur la branche de l’arbre, balançant sa jambe sous lui. Tout semble se dérouler selon le plan.
Un détail capte son attention. Il se redresse et applique l’appareil photo contre son œil.
UN AUTRE ANGLE :
DU POINT DE VUE DE L’OBJECTIF DE L’APPAREIL PHOTO DE STEVE :
Nous remontons la file de voitures garées sur Mercer Street.
Nous remontons, nous arrêtons brusquement et revenons le long de la file de voitures jusqu’à un coupé bordeaux qui nous fait face. La vitre sur la portière du coupé est baissée et un coude qui dépasse est visible. Le bras se déplie et sort complètement pour laisser tomber sur l’asphalte la cendre d’une cigarette.
Trop de lumière se reflète sur le pare-brise pour discerner le visage de l’homme assis derrière le volant.
UN AUTRE ANGLE :
STEVE fouille dans son sac en nylon bleu et manque de dégringoler de l’arbre dans sa précipitation.
Il se redresse et extrait de son sac une petite boîte argentée qu’il ouvre. Il en sort un cercle de verre qu’il élève dans la lumière pour regarder au travers.
Il nettoie le cercle avec un carré de soie sorti de la boîte. Il ferme celle-ci et la range dans son sac et, un bras passé par précaution autour d’une branche, il fixe avec précaution le cercle de verre au bout de son téléobjectif. À présent, il porte de nouveau l’appareil photo à son œil.
NOUVEL ANGLE :
DU POINT DE VUE DE L’APPAREIL PHOTO DE STEVE :
Nous remontons une fois de plus la file de voitures. Cette fois-ci, le filtre polarisant nous permet de voir à travers l’éclat des reflets sur les pare-brise. Nous nous arrêtons au coupé bordeaux.
STEVE
(hors champ)
Oh, merde…
STEVE connaît bien l’homme derrière le volant. C’est HUBBARD.