RETOUR SUR STEVE qui lâche son appareil photo, lequel pend au bout de sa lanière contre sa poitrine. Il ouvre de nouveau le sac en nylon en cherchant furieusement son comPad.
SCÈNE 28 :
CHEZ LEO, MERCER STREET – INTÉRIEUR, MÊME MOMENT
MICHAEL se trouve dans la cuisine, une jambe posée sur la table. LEO se détourne de l’évier, un morceau de coton imbibé d’eau à la main. Il tapote le genou écorché de MICHAEL.
MICHAEL fait une légère grimace.
LEO
(inquiet)
Vous avez mal ?
MICHAEL
Non, non. Tout va bien. Ça pique un peu, c’est tout. Je me sens comme le gamin dans Le messager.
LEO
Comment ?
MICHAEL
C’est un film. Un gamin se coupe au genou en glissant sur une meule de foin et Alan Bates le tapote exactement comme ceci.
LEO
Ce film, je ne l’ai jamais vu.
MICHAEL
Non. Non, je suppose. Excusez-moi, j’aurais dû me présenter. Je m’appelle Michael Young.
LEO
Enchanté, Michael Young. Je m’appelle Franklin. Chester Franklin.
MICHAEL
(retenant un éclat de rire)
Vraiment ? Hé bien, enchanté, Mr Franklin.
Il tend la main.
LEO
(la lui serrant)
Vous trouvez ce nom amusant.
MICHAEL
(précipitamment)
Non ! Je vous en prie, pardonnez-moi. C’est juste que… Bon, vous comprenez…
LEO va à la corbeille et laisse choir le morceau de coton.
LEO
Vous avez raison. Bien sûr, ce n’est pas mon vrai nom.
MICHAEL
Non, mais ça va. Ça ne me regarde pas, Mr Franklin. Ou devrais-je dire, Dr Franklin ?
LEO
Professeur Franklin. Mais, je vous en prie, appelez-moi Chester.
MICHAEL
C’est d’accord, Chester. Les gens m’appellent Mikey.
LEO
Alors, dites-moi… euh… Mikey. Je trouve cet essai que vous écrivez très…
Un bip-bip-bip bruyant interrompt les commentaires de LEO.
MICHAEL
Oh, oh, mon comPad. Ça ne vous dérange pas ?
LEO
Je vous en prie…
Le sac de MICHAEL se trouve à côté de lui sur la table de la cuisine. Tournant le dos à LEO, il sort son comPad et regarde l’écran. Il ferme les yeux une brève seconde, son cerveau fonctionnant à toute vitesse.
Il se retourne vers LEO.
MICHAEL
(d’une voix forte)
Mince, c’est sympa de votre part de me nettoyer comme ça, Chester.
En parlant, il va vers un bloc de papier jaune et prend un stylo placé à côté. Il commence à écrire avec une hâte frénétique, le stylo courant sur la page.
MICHAEL
(suite – d’une voix forte tout en écrivant)
Je suis vraiment maladroit, vous savez. C’est la troisième fois que je tombe de vélo, cette semaine.
LEO
Je suis sûr que vous n’y êtes pour rien…
MICHAEL
(lui coupant la parole)
Mes amis me disent que je devrais me mettre au tricycle. Vous savez, avec trois roues ? Ce serait peut-être plus sûr. Vous avez une belle maison, Chester. Une petite rue tranquille. Je vis en résidence universitaire. Vous êtes fan de base-ball, Chester ?
LEO
(plutôt interloqué par tout ceci)
Hé bien, je…
MICHAEL
Le base-ball, c’est ma vie. Je mange base-ball, je bois base-ball, je dors base-ball. Vous devriez essayer d’aller voir un match. C’est à ça que jouent les anges au Paradis. Je suppose que vous aimez le football ? On n’y joue pas beaucoup par ici. Le football américain, vous avez déjà vu ? Le basket, peut-être. Je ne suis pas tout à fait assez grand pour le basket. Il faut avoir une sacrée taille pour atteindre le panier, vous savez ? Moi, j’ai juste une taille moyenne, il me semble, j’aurais toujours aimé être plus grand. Enfin, on n’a pas toujours ce qu’on voudrait, pas vrai ?
Durant ce flot de paroles, MICHAEL a arraché au bloc la page du dessus pour la tendre à LEO. Il la tient devant ses yeux, une expression pressante sur le visage. Décontenancé, LEO cherche ses lunettes et lit.
De son POINT DE VUE, nous voyons nous aussi le message. Il est écrit en grosses majuscules.
MESSAGE
Faites-moi confiance. On nous observe. Je sais que vous êtes Axel Bauer. Je suis un ami. Je peux vous aider. Je sais pour votre père et Kremer, Braunau et Auschwitz. Vous devez me faire confiance. Je peux vous aider.
La crainte arrondit les yeux de LEO. Abasourdi, il dévisage MICHAEL.
MICHAEL tient un doigt sur ses lèvres.
MICHAEL
(à voix haute)
Houlà ! C’est l’heure, ça ? Bon sang, faut que j’y aille. Vous avez dit que vous pouviez me déposer ?
LEO reste cloué sur place, tremblant légèrement.
MICHAEL hoche la tête avec vigueur. LEO émerge en sursautant de son état de transe.
LEO
Hein ? Vous déposer ? Bien sûr. Certainement.
MICHAEL
(d’une voix forte et nonchalante)
Je crois qu’on devrait pouvoir charger mon vieux vélo à l’arrière, si ça ne vous dérange pas d’avoir un peu de boue sur les coussins ?
LEO secoue la tête, puis comprend qu’il est censé répondre au bénéfice d’éventuels dispositifs d’écoute.
LEO
(encore plus fort)
NON ! PAS DE PROBLÈME ! LA BOUE, C’EST TRÈS BIEN.
MICHAEL fait une petite grimace et secoue la tête en souriant. Il prend par l’épaule LEO, totalement perdu et ébranlé, et le guide au long du couloir. Une idée lui vient soudain.
Il regagne précipitamment la cuisine, à l’endroit où se trouve le bloc de papier à lettres jaune. Il arrache la feuille du dessus, puis la suivante. Et puis, merde. Il en arrache une trentaine d’un coup et les emporte toutes avec lui.
MICHAEL
(en rejoignant Leo dans le couloir)
Bon, très bien, à cheval. Bon, ce n’est sans doute pas la métaphore la plus heureuse, mais vous voyez ce que je veux dire, hein ?
LEO
(encore trop fort)
OUI. JE VOIS CE QUE VOUS VOULEZ DIRE. À CHEVAL ! HA HA ! TRÈS AMUSANT.
Ils vont à la porte d’entrée.
SCÈNE 29 :
MERCER STREET – EXTÉRIEUR, MÊME HEURE
Plan LARGE sur LEO et MICHAEL, chargeant le vélo sur la banquette arrière et s’installant à l’avant de la voiture.
UN AUTRE ANGLE :
STEVE observe depuis son arbre.
La voiture sort en reculant de l’allée. LEO doit freiner de toutes ses forces, tandis qu’une autre bicyclette passe à pleine allure.
SCÈNE 30 :
INTÉRIEUR DE LA VOITURE.
LEO
Mon Dieu. Non ! Pas deux fois !