MICHAEL
(regardant par-dessus son épaule)
C’est bon. La voie est libre, maintenant.
SCÈNE 31 :
POINT DE VUE DE L’APPAREIL PHOTO DE STEVE.
La décapotable bleue de LEO recule, redresse et s’en va.
Nous REMONTONS vers le coupé bordeaux, un mégot de cigarette est jeté par la portière, la voiture déboite et suit la décapotable bleue de Leo.
SCÈNE 32 :
STEVE, baissant l’appareil photo, une expression inquiète sur le visage.
SCÈNE 33 :
LES RUES DE PRINCETON – EXTÉRIEUR MATIN
La voiture de LEO émerge sur Nassau.
SCÈNE 34 :
VOITURE DE LEO – INTÉRIEUR, MÊME HEURE
LEO, l’air paniqué, conduit mal.
MICHAEL
Si vous pouvez simplement me déposer sur University Place, ce sera parfait.
LEO
S’il vous plaît, dites-moi ce que…
MICHAEL l’arrête en lui posant une main sur le bras. LEO le regarde. MICHAEL indique le tableau de bord de la voiture et montre du doigt ses oreilles. LEO comprend le message. La voiture elle-même pourrait contenir des micros.
MICHAEL a une idée. Il allume l’autoradio, fort.
MUSIQUE : le prélude de l’acte III de Lohengrin rugit, les trompettes éclatent.
MICHAEL
(criant par-dessus la musique)
Désolé, Axel. Mais on ne peut jamais être trop prudent.
LEO
Qui êtes-vous ? Comment connaissez-vous mon nom ? Mon Dieu ! Je sais ! Vous êtes celui qui… C’est vous !
MICHAEL fronce les sourcils, perplexe.
MICHAEL
De quoi parlez-vous ?
LEO
(suite)
C’est vous, l’étudiant dans le train, oui ? Ils m’ont dit que j’ai parlé dans mon sommeil. Ils m’ont donné des médicaments pour empêcher que ça arrive encore.
Vous êtes l’étudiant qui m’a entendu parler dans le train.
MICHAEL
Oh. Bien sûr. Écoutez, pour ça, je regrette, Axel. C’est simplement ce que je leur ai raconté. Mais ce n’est pas vrai. Je n’ai jamais pris le train avec vous. Je suis certain que vous ne parlez pas en dormant. J’ai dû inventer une histoire pour expliquer tout ce que je savais sur vous, voyez-vous. C’est tout ce qui m’est venu à l’esprit, sur le moment.
LEO
(terrifié)
Vous êtes anglais ! Vous avez l’accent anglais ! Pour qui travaillez-vous ? J’arrête la voiture tout de suite.
La voiture fait un écart. Les freins crissent. Des coups de klaxon s’élèvent par-derrière.
MICHAEL
(en redressant désespérément le volant)
Non ! Par pitié, continuez à conduire ! On nous suit, c’est pratiquement certain.
LEO
Nous suivre ? Nous suivre ? Mais qui ?
MICHAEL
Vous connaissez Hubbard et Brown ?
LEO
Je les connais, oui.
MICHAEL
Hubbard surveille votre maison.
LEO
Mais Hubbard est mon ami ! Vous. Vous travaillez pour l’Europe. Vous êtes un Nazi !
MICHAEL
(s’évertuant pour se faire entendre par-dessus la musique)
Non ! Je vous en prie, croyez-moi. Je ne suis pas un Nazi. Écoutez. Je sais des choses. Des choses que vous devez savoir. Si je ne me trompe pas, vous essayez de mettre au point une machine.
LEO
Une machine ? Quelle machine ?
MICHAEL
Pour créer une singularité quantique artificielle. Afin de créer une fenêtre sur le passé. La culpabilité de votre père vous obsède. L’usine qu’il a construite à Auschwitz pour fabriquer en masse l’eau de Braunau. Vous avez peut-être l’intention de renvoyer quelque chose dans le passé. Quelque chose pour détruire l’usine, peut-être. Peut-être pour empêcher la naissance de Rudolf Gloder. Mais je sais ce qu’il faut que vous fassiez vraiment. Je connais la réponse.
(regardant autour de lui)
Rangez-vous ici, devant le marché.
La voiture vient de déboucher sur University Place.
Le prélude de l’acte III de Lohengrin, pendant ce temps, a enchaîné sur la Marche nuptiale qui suit.
LEO arrête la voiture dans un couinement de freins devant le Wawa Minimart. À côté se trouve une boutique de vélos appelée CYCLORAMA.
MICHAEL
(suite)
Je connais le secret de l’eau de Braunau. Je connais son origine première. Je sais qui l’a introduite dans l’alimentation en eau à Braunau il y a plus d’un siècle. Croyez-moi. Je le sais.
LEO le regarde fixement.
UNE VOIX
Hé !
LEO manque de faire un bond sur son siège. UN PASSANT regarde dans la voiture et crie par-dessus la musique.
PASSANT
Bon, félicitations pour le mariage, les gars. Et si vous baissiez un peu la musique, maintenant ?
MICHAEL lui fait signe de la main pour le chasser.
MICHAEL
(en criant dans l’oreille de Leo)
Le lac. West Windsor. Ce soir. Huit heures. Je vous en prie. Je suis un ami. Croyez-moi. Quoi que vous fassiez, assurez-vous qu’on ne vous suit pas. Un ami à moi surveillera vos arrières. Il sera habillé en rouge.
Le PASSANT introduit la main dans la voiture et baisse d’autorité le volume.
PASSANT
Connards !
Le PASSANT se redresse et puis, conformément à sa description, passe.
MICHAEL
(criant après lui)
Désolé, vieux.
(à Leo, avec une normalité feinte)
Bon, merci de m’avoir déposé, Chester. Ravi de vous avoir rencontré. J’espère que tout ira bien. Vous devriez vraiment aller voir un match de base-ball, un de ces quatre.
MICHAEL descend de la voiture, récupère son vélo sur la banquette arrière et se tourne vers Cyclorama.
LEO, assis, regarde devant lui sans rien voir.
MICHAEL
(en l’appelant)
Bon, ben, au revoir, Chester. Je suppose que vous devez y aller, à présent ?
LEO se tourne pour regarder MICHAEL une fois de plus, le doute et l’angoisse dans les yeux.
MICHAEL articule en silence les mots FAITES-MOI CONFIANCE, lui adresse un salut d’adieu de la main, et entre dans la boutique.
À l’arrière-plan, nous voyons l’avant du COUPÉ BORDEAUX, garé au coin de la rue. Il ne suit pas la voiture de LEO. Il demeure sur place tandis que MICHAEL entre dans la boutique.
FONDU AU NOIR
Faire l’histoire
Les rats
J’aurais préféré qu’on soit en hiver. L’hiver, m’avait dit Steve, le froid devenait âpre. Jusqu’à moins vingt degrés, parfois. Il y aurait eu de la neige et de la glace partout et cela aurait rendu le trajet en vélo jusqu’à Windsor difficile, pénible et dangereux. Mais au moins, il aurait fait noir. Un noir bienfaisant, merveilleux. En pédalant, j’aurais pu voir des phares derrière moi et ce luxe aurait compensé bien des inconforts physiques.