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— Tu veux que je fasse quoi ?

— Il s’appelle Steve Burns. Je croyais le trouver à Dickinson House, mais il n’est pas répertorié sur la page web. Il prend assez régulièrement son déjeuner chez PJ, le restaurant de pancakes sur Nassau, et il va parfois boire un Sam Adams à l’A&B.

— P’tit Chiot, tu n’es pas en train de me raconter que tu connais Princeton ? Je croyais qu’en allant en Autriche, l’an dernier, tu mettais pour la première fois les pieds dans un endroit plus excitant qu’Inverness.

— Bah, je connais des trucs, répondis-je d’un ton négligent. Tu serais stupéfaite de ce que je sais. Oh, et si par hasard tu passes toi-même chez PJ, tu peux laisser un message à Jo-Beth. Elle est serveuse là-bas. Tu devrais lui dire que Ronnie Cain en pince pour elle, mais qu’elle a intérêt à faire gaffe. Il a des morpions. Des morpions et une toute petite queue. Dis-lui bien tout ça.

— P’tit Chiot, tu as bu ?

— Moi ? Boire ?

— C’était le Dimanche du Suicide{Le dimanche qui suit la fin du trimestre des examens, à Cambridge, occasion de nombreuses beuveries. (N.d.T.).}, hier, non ? Ne me dis pas que tu es allé à la soirée au Seraph.

— J’ai peut-être été jeter un coup d’œil, si…

— Et boire un verre de punch à la vodka, et ensuite vomi sur toute la pelouse, exactement comme la semaine dernière. Remets-toi tout de suite au lit, P’tit Chiot. Au fait, tu as enfin terminé ta thèse ?

— Terminé », dis-je et, tandis que je parlais, ma main alla vers la souris près du clavier et je traînai le fichier du Meisterwerk dans la corbeille. « Tout est fini, achevé, consommé et réglé. » J’allai au menu spécial et je choisis Vider la Corbeille.

La Corbeille contient 1 élément. Il utilise 956K d’espace disque. Êtes-vous certain de vouloir le supprimer définitivement ?

« Oh oui, dis-je en cliquant sur OK. Consommé et réglé. Aucun doute.

— Oui, tu es ivre. Je te rappellerai un de ces jours. Souviens-toi, P’tit Chiot. Évite la vodka. »

Je raccrochai et regardai l’écran.

Hé bien. C’était réglé. Un crâne d’œuf du service informatique pourrait toujours le récupérer si je changeais d’avis.

Mais je ne pensais pas que je changerais d’avis.

Je décrochai de nouveau le téléphone et composai un numéro.

« Angus Fraser-Stuart.

— Oh, bonjour, docteur Fraser-Stuart. C’est Michael Young.

— À quoi puis-je vous être utile ?

— Ma thèse…

— Vous m’avez fait les corrections ?

— Hé bien, je sais à présent que vous ne lui avez pas vraiment rendu justice.

— Pardon, monsieur ?

— Est-ce que vous l’avez toujours ?

— L’original ? Je crois bien, oui. Dans un bureau, quelque part. Pourquoi voulez-vous le savoir ?

— Voilà, je me disais, si ce n’est pas trop vous demander, que vous pourriez la sortir et la regarder. »

Il émit de petits bruits de bouche et laissa choir le téléphone. J’entendis des tiroirs s’ouvrir et, en fond sonore, une étrange musique de gamelan toute en plinks, plonks et plunks.

« Je l’ai devant moi. Quelle nouveauté suis-je sensé y déceler ? Y a-t-il des fulgurances historiques rédigées à l’encre sympathique dans la marge qui viennent seulement d’apparaître ? Quoi ?

— Je suis désolé, j’aurais dû vous demander de faire ça depuis des semaines…

— Me demander quoi, jeune Young ? Mon temps n’est pas totalement dénué de valeur.

— Si vous prenez les vingt-quatre premières pages…

— Les vingt-quatre premières pages… oui. C’est fait. Et maintenant ? Je les mets en musique ?

— Non. Ce que je vous demande de faire, c’est de les rouler très très serré, pour former un tube. Ensuite, je vous demande de prendre ce tube et de vous le carrer bien profond dans votre gros cul vaniteux et satisfait et de le laisser là une semaine. Je pense que de la sorte, vous allez l’apprécier davantage. Bon après-midi. »

Je laissai retomber le combiné sur son reposoir et pouffai pendant un moment.

Le téléphone sonna. Je le laissai sonner. J’étais occupé à l’ordinateur. En train de taper toutes les paroles d’une chanson d’Oily-Moily.

Peut-être que j’allais faire fortune dans le rock’n’roll. C’était possible. Tout était possible.

Au bout d’un quart d’heure environ, je me levai et je me promenai d’une pièce à l’autre.

J’avais toujours adoré cette petite maison. À distance commode de Grantchester Meadows et des grands prés, mais pas trop éloignée du centre de l’action, je l’avais toujours vue ainsi. Pourtant, elle paraissait désormais à des kilomètres de tout.

À moins que ce ne soit moi qui me sente à des kilomètres de tout. Qu’est-ce qui n’allait pas ? D’où venait ce néant en moi ? Qu’est-ce qui manquait ?

J’entendis le volet du courrier s’ouvrir et se refermer, et j’entendis quelque chose tomber sur le paillasson. J’y allai voir de plus près.

Ce n’était que le journal local, le Cambridge Evening News, vis-je en baissant les yeux. Je devrais penser à résilier mon abonnement, me dis-je. Pas besoin de gaspiller de l’argent.

Je me mis à la table de la cuisine et je commençai à débarrasser la vaisselle du petit-déjeuner. Les choses se dérouleraient-elles ainsi, désormais ? Une vie passée à débarrasser la vaisselle de son propre petit-déjeuner ? Couverts pour une personne. Lave-vaisselle réglé sur lavage économique, bouchon sous vide pour le vin, dormir au milieu du lit.

Soudain, un petit farfadet surgit dans ma tête et se mit à danser.

Non… impossible. Je secouai la tête.

Le farfadet, sans se démonter, poursuivit sa gigue.

Écoute, me dis-je. Je ne vais même pas donner à ce démoniaque petit drôle la satisfaction d’aller voir et de vérifier. Ce n’est pas possible. Ce n’est pas possible. Point barre.

Les talons pointus du farfadet commencèrent à me faire mal.

Oh, bon, ça va, bon sang. Je vais te montrer. Il n’y a rien. Rien.

Je gagnai le vestibule d’une démarche déterminée, furieux contre moi-même d’avoir cédé. Je me penchai, ramassai le journal et revins à la cuisine.

Ce n’est rien, dis-je. Ce ne sera absolument rien.

Je posai le journal sur la table, n’osant toujours pas vérifier. Mais j’aurais tout fait pour réduire au silence ce lutin obstiné.

UNE VICTIME D’AMNÉSIE ADMISE À ADDENBROOKE.

Je ne sais vraiment pas pourquoi je m’embête avec ça, me dis-je. Franchement, c’est lamentable. De toute évidence, un pauvre vieux pochard qui cherchait un lit pour la nuit. Pourquoi devrais-je même…

Un étudiant du collège St-John a été admis hier au soir à l’hôpital Addenbrooke, après avoir été découvert par la police de Cambridge en train de divaguer autour de la Place du marché dans un état de confusion aux petites heures du matin. On a découvert qu’il était parfaitement sobre, mais n’avait pas la moindre idée de son identité. Les tests anti-drogue se sont révélés négatifs. L’aspect singulier de l’affaire vient de ce que l’étudiant (dont le nom n’a pas été révélé tant que sa famille n’a pas été contactée), connu à St-John et originaire du Yorkshire, parlait avec ce qu’un observateur a qualifié d’“accent américain absolument parfait”. Un porte-parole d’Addenbrooke a déclaré ce matin…